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d'être même en même-temps laboureur, soldat, juge, prêtre, ministre, et roi.

Les BIENS de même, ne sauroient être égaux. Le travail amasse une fortune; l'industrie l'augmente; des héritages l'accumulent; l'économie la conserve. Tout au contraire, le paresseux demeure dans la mendicité, et le prodigue y tombe. Cela ne peut être autrement, et quand on partageroit les biens aujourd'hui, demain l'égalité cesseroit.

Mais la plus grande différence que la nature ait mise entre les hommes, c'est celle des QUALITÉS. L'un en naissant, a reçu un grand génie; l'autre n'a reçu qu'un esprit médiocre. L'un renferme dans son ame une valeur et une activité miraculeuse; l'autre est venu au monde avec des organes foibles, ou avec un cœur pusillanime. Enfin, sur cent mille hommes, il en existe quelques-uns de supérieurs, plusieurs de capables, une foule de médiocres, et un nombre d'ineptes. La société doit juger les talens et les mettre à leur place. Quel. quefois l'intrigue l'emporte sur le mérite; quelquefois même le mérite trop modeste ou peu sociable, nuit à lui-même; mais aussitôt qu'un talent ou une vertu sont reconnus, ils sont payés ce qu'ils valent. Une comparaison va vous rendre cela évident. Vous avez plusieurs champs; vous y semez les mêmes grains; 'ils viennent en abondance dans l'un et mesquinement dans l'autre. La culture est égale : c'est l'image des lois. Lam oisson est différente : c'est le résultat, c'est le fruit. des qualités.

se

LE PAYSAN. J'ai tout compris, et l'égalité des droits, et l'inégalité des choses.

LE SEIGNEUR. Alors vous comprenez que l'égalité des

dr its n'autorise personne à détruire l'inégalité des choses. Depuis le prince jusqu'au manœuvre, chacun doit remplir ses fonctions, chacun doit conserver ses biens, chacun doit faire valoir ses qualités. C'est en cela que consiste l'union de Fordre et de la liberté. Vivre sans crainte, travailler à son gré, élire ses magistrats, selon les lois, être élu soi-même, si on le mérite, voilà les droits de tout homme et de tout citoyen. Désobéir à ses supérieurs légitimes; nuire à ses concitoyens et à ses semblables; voler qui que ce soit et quoique ce soit; blesser, tuer sans être en guerre ou en péril, voilà des crimes, voilà des attentats.

LE PAYSAN. Encore une petite explication, Monsieur: les fonctions n'étant pas égales, comment saurai - je qu'elle est la plus respectable? comment apprendrai-je à les estimer juste ?

LE SEIGNEUR. Votre demande est déja d'un esprit juste. Je vais y faire une juste réponse.

Les fonctions sont des services publics ou des services particuliers les services publics sont plus respectables que les particuliers.

:

Les fonctions supposent des talens rares ou des talens communs ; des talens rares sont plus estimables que des talens communs.

Les fonctions produisent des avantages bornés et vulgaires, ou des avantages étendus et distingués: ces derniers l'emportent sur les autres dans l'opinion.

Ainsi le respect, ainsi l'estime, doit toujours être en raison de la RARETE' ET DE L'UTILITE'. Un laboureur est un manœuvre utile au monde; mais tout homme peut devenir laboureur. Un soldat est un instrument nécessaire à la patrie; mais tout citoyen peut devenir soldat.

Un grand général d'armée, un grand administrateur, un grand roi, un grand écrivain, sont en même-temps des hommes très - utiles et fort rares. Le fer est un métal important, mais commun. L'or est un métal moins commun et plus recherché. L'église de notre village est un édifice consacré à Dieu, tout de même que l'église fameuse de Saint-Pierre de Rome; mais tous les villages ont une église comme la nôtre, et l'univers n'en a pas de comparable à celle de Saint-Pierre. En un mot, les fonctions et les qualités diffèrent entre elles, comme les richesses: un sac d'écus est fort bon, mais ne vaut pas un sac de louis, et encore moins un sac de diamans.

LE PAYSAN. Je retiendrai vos distinctions, Monsieur. Je me souviendrai sur-tout que les droits sont inséparables des devoirs. Mais pour aider ma mémoire, pourriez-vous me donner un écrit où cela se trouvât en abrégé ?

LE SEIGNEUR. Venez avec moi dans la chambre où j'instruis moi-même mes enfans.

Ils montèrent tous deux à un petit sallon, élevé au milieu du jardin et placé loin de tout bruit. Les enfans. n'y étoient pas en ce moment. Le sallon avoit, au lieu de tapisserie, une bibliothèque de livres choisis. Parmi plusieurs tables d'étude, on en distinguoit deux qui étoient en marbre. Sur l'une étoit gravé l'abrégé de la déclaration des droits; et sur l'autre l'abrégé des devoirs correspondans. Voici ces deux abrégés, tel que les lut le paysan,

TABLE DES DROITS DE L'HOMME

E T DU

CITOYEN.

Les hommes sont égaux en droits.

Ces droits inaliénables sont : la liberté, la sûreté, la propriété et la résistance à l'oppression.

La liberté est le droit de dire, d'écrire et de faire ce qu'on veut, sans nuire à autrui, ni à l'état, ni à soi

même.

La sûreté est le droit d'être protégé par la force publique contre les malfaiteurs, convaincus par le juge..

La propriété consiste à faire de son bien ce qu'on veut, lorsqu'on n'est pas en état de démence ou de minorité.

La résistance à l'oppression est le droit de s'armer contre la violence manifeste, et la contrainte illégale e tyrannique.

La nation seule est souveraine; tout pouvoir public est délégué par elle, et doit être employé pour elle.

Tout dépositaire d'un pouvoir public est responsable envers la nation: mais ne doit être jugé qu'au tribunal qu'elle a établi pour cet objet.

La nation seule ou ses représentans librement élus, peuvent faire les lois, établir les impôts.

La loi est l'expression unique de la volonté générale, et la règle suprême de tous les pouvoirs particuliers. On ne peut élire ni être élu, on ne peut juger ni être jugé, on ne doit obéir ni désobéir qu'en vertu de la loi.

OTEZ CES DROITS, UN PEUPLE EST ESCLAVE.

TABLE DES DEVOIRS DE L'HOMME

ET DU CITOYEN.

Les hommes sont liés par des devoirs mutuels. Ces devoirs inviolables sont la subordination, la bienveillance, la justice, et l'obéissance aux lois.

La subordination est le respect, la docilité due par les enfans à leurs parens, par les disciples à leurs maîtres, et par les inférieurs à leurs chefs.

La bienveillance consiste dans les égards, les soins, les secours que nous nous devons les uns aux autres, dans toutes les situations pénibles de la vie.

La justice oblige à garder les promesses, à respecter les propriétés, à être reconnoissant des services reçus, et prompts à les rendre au besoin.

L'obéissance aux lois renferme l'observation des règłemens, la fidélité aux magistrats, l'union des citoyens pour repousser toute révolte.

L'insurrection n'est permise que dans les cas extrêmes, et après les remontrances légales.

Tout perturbateur de l'ordre public, mérite nonseulement d'être arrêté, d'être puni, mais encore d'être

exécré.

La nation seule, ou ses représentans, librement élus, peuvent toucher à l'ordre établi et au gouvernement.

La loi, faite par le corps législatif, et sanctionnée par le monarque, est une sorte de religion civile, qui doit lier tous les cœurs et tous les bras ; et le nom seul de la loi doit tenir lieu de fusils et de bayonnettes.

OTEZ CES DEVOIRS, UN PEUPLE EST SAUVAGE.

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