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agréable souvenir, qui les attendrit et les jette dans une rêverie, laquelle a donné lieu à ce mot si connu rêver à la Suisse. Les sensations vives et fortes que leur enfance a reçues de l'aspect si varié et si frappant des Alpes, peuvent contribuer aussi à leur faire trouver nos plaines trop uniformes, et nos campagnes monotones. Quoi qu'il en soit cet amour machinal du pays, cette passion naturelle qu'ils ont sucée avec le lait et respiréc avec l'air, fonde et fortifie en eux le patriotisme, qui n'est autre chose que la préférence donnée à sa patrie sur l'univers et sur soi-même. En voyageant dans la Suisse, on voit éclater ce noble sentiment dans les moindres paysans. Ils semblent s'agrandir quand ils parlent de la Mère-Patrie. Vivre pour la patrie, servir pour la patrie, payer pour la patrie, mourir pour la patrie, sont des expressions qui animent chaque phrase de leurs entretiens. Un ordre envoyé par la patrie à un Suisse qui seroit à mille lieues, le rameneroit sur-le-champ à son Canton ef à son devoir. Je demandois à un homme de ces montagnes qui avoit plusieurs fils au service de la France, s'il ne craignoit pas qu'ils ne perdissent leur patriotisme helvètiqué? Non me répondit-il, en me montrant sa demeure adossée à un vieux rocher, je les ai nourris la dédans, je les ai portés là-dessus 5. ils n'oublieront jamais notre vieux rocker et notre vieille cabane. Enfin, pour achever le portrait de la Suisse, je dirai, que c'est le pays où l'on prend le plus aisé ment deux grandes affections, le goût de la nature et l'amour du peuple ou de l'humanité., 19951.0.9

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LETTRE d'un Curé de Normandie, aux Rédacteurs de la Feuille Villageoise.

MESSIEURS,

J'ai lu votre prospectus,, et j'ai tout de suite souscrit pour votre feuille, que je compte bien prêter, expliquer, commenter à mes bons paroissiens. Ne croyez-pas qu'ils soient dépourvus d'intelligence, et qu'il faille des dictionnaires ou des académies pour se faire entendre par eux. Vous autres savans des villes vous regardez les habitans de la campagne, comme des ignorans, aussi brutes que leurs troupeaux. Vous croyez que Dieu n'a donné le génie qu'aux citadins, et qu'il a réservé la foi, ou même la sottise aux paysans. Combien vous vous trompez le bon sens, il est vrai, compose notre apanage; mais le bon sens, raisonne et combine quelquefois mieux que ne peut le faire l'esprit frivole et gâté des villes. Apprenez, Messieurs, que nos villageois savent fort bien lire tous les décrets de l'assemblée nationale, et distinguer la nouvelle fabrique de la vieille, Ainsi dispensez-vous de leur épeler chaque lettre, et de leur enseigner un alphabet qu'ils pourroient souvent enseigner eux-mêmes à plusieurs de vos aristocrates, de vos discoureurs.

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nous a bien avancés ;

La révolution, Messieurs, nous sommes mûrs pour vos leçons. Choisissez seulement celles dont nous avons un véritable besoin ; n'allez pas traiter des objets que nous connoissons mieux que vous. Je me souviens de l'ancien Seigneur de notre village; il reprochoit à notre maître-d'école,

D

arpenteur

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qui est bon d'avoir mal mesuré son domaine; tout en parlant de mesure, il confondoit les toises avec les coudées. L'arpenteur alla chercher sa toise, et se mit à mesurer le seigneur qui lui demanda ce qu'il faisoit : je regarde, dit-il, sur ma toise combien vous avez de coudées : j'ai voulu faire l'entendu, dit le seigneur, et tu fais l'insolent. Sans être ni l'un ni l'autre, Messieurs, je finis en bon curé, par un sermon en trois points. Soyez clairs, premier point; soyez utiles, deuxième point; soyez intéressans, troisième point; instruisez-nous, ne nous ennuyez pas, sans quoi vos disciples préféreront la feuille de la vigne à votre feuille.

Nous avons reçu un grand nombre de lettres de Messieurs les Curés et Vicaires; elles sont remplies d'un zèle pastoral qui a charmé le nôtre. De temps en temps nous insérerons dans notre feuille quelques-unes de ces lettres, afin de détromper un certain public qui croit que les paysans et les pasteurs même sont bien loin de la vraie lumière.

Un maire villageois nous a écrit aussi pour nous demander un catéchisme de toute la constitution, afin, dit-il, d'être le catéchisme de mon village. Un pareil catéchisme, n'est pas chose facile : il exige une précision, une clarté, une exactitude parfaites. Un Député à l'assemblée nationale, connu par ses bons principes et par son assiduité aux séances délibératives, en a composé un qui nous a paru tout réunir et tout expliquer. Nous le donnerons dans la feuille prochaine.

Dans le dialogue suivant, nous avons laissé le mot feigneur, par une dernière complaisance pour l'habitude où sont encore les paysans d'employer ce vieux mot. Nous les prévenons que désormais nous retrancherons ce titre féodal.

SECOND DIALOGUE

Du Paysan et de son ancien Seigneur.

LE PAYSAN. Je reviens à vous, Monsieur, et c'est pour vous parler encore de cette belle déclaration des droits.

LE SEIGNEUR. Le sujet est aussi intéressant qu'inépuisable.

LE PAYSAN. Oui, Monsieur, mais il me semble toujours obscur, et s'il faut vous parler vrai, je n'ai entendu qu'à demi ce que vous avez eu la bonté de m'apprendre.

LE SEIGNEUR. C'est ma faute, ce n'est pas la vôtre. Le PAYSAN. Non, Monsieur, l'obscurité me semble dans la chose. Du moins je ne conçois pas cette égalité de droit dans certaines positions, par exemple, suis-je votre égal lorsque vous m'employez dans vos jardins ?....

LE SEIGNEUR. Assûrément, puisque je ne puis pas exiger de vous plus de travail que vous n'en devez, et puisque vous ne pouvez pas exiger de moi plus d'argent qu'il vous en est dû.

LE PAYSAN. Mais le domestique est-il l'égal de son maître ?

LE SEIGNEUR. Le maître est obligé à un salaire, et le domestique à un service. C'est un contrat dont les devoirs sont égaux, quoique les charges soient diffé

rentes.

LE PAYSAN. Et le soldat, Monsieur, comment est-il l'égal de son officier?

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LE SEIGNEUR. Ils servent la patrie, l'un au premier rang, l'autre au second; tous deux ne peuvent être au premier. Si le soldat désobéit, il est un rebelle ou un lâche. Si l'officier quitte son poste, il est un lâche ou un traître. Si tous deux font de belles actions tous deux peuvent devenir célèbres.

LE PAYSAN. J'entends cela parfaitement, mais expliquez-moi encore comment l'homme du peuple est l'égal du magistrat ?

LE SEIGNEUR. Rien n'est plus facile. Premièrement, le magistrat est élu par le peuple: secondement, le magistrat exécute les lois du peuple: troisièmement, le magistrat veille à la sûreté du peuple; vous voyez donc qu'il est l'homme du peuple: il obéit donc au peuple, en même temps que le peuple obéit.

LE PAYSAN. Cela est clair comme le jour; cependant il me revient une difficulté. Lorsque j'ai choisi le magistrat, je l'ai choisi de préférence: donc j'ai trouvé qu'il n'étoit pas l'égal d'un autre; donc j'ai trouvé qu'un autre avoit moins de droit que lui.

LE SEIGNEUR. Vous avez raison, mais cette égalitélà n'est pas celle dont il s'agit. Ecoutez-moi bien, il faut distinguer les DROITS, les FONCTIONS, les BIENS les QUALITÉS.

Les DROITS Sont égaux, parce qu'ils consistent dans la part égale que nous avons tous à la propriété, à la sûreté, à la liberté, et à la vigilance des lois : les lois veillent également sur les chaumières et sur les châteaux.

LES FONCTIONS Sont inégales, et doivent l'être, parce que si chacun n'avoit pas les siennes bien distinctes, nous serions obligés de les remplir toutes à la fois, et

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