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sur le modèle des parlemens de France : la fierté polonoise s'indigna de l'idée seule d'une aristocratie magistrale qui, à l'ombre des lois, eût tantôt protégé, tantôt opprimé tous les ordres de l'Etat. Enfin les nobles, non contens de posséder seuls la puissance électorale et la puissance législative, s'arrogèrent encore la puissance judiciaire ; et ils établirent, sous le règne d'Etienne Battori, deux cours suprêmes de justice dont les membres sont nommés tous les ans dans les diétines de chaque palatinat, et choisis, moitié dans l'ordre équestre, moitié dans l'ordre ecclésiastique. Ces magistrats n'ont d'autre salaire que l'honneur. Ils rendent la justice gratuitement. Leur personne est sacrée et la moindre insulte seroit payée de la vie. Mais si les juges sont respectés, les jugemens ne le sont guères. La loi n'oseroit forcer les châteaux des grands, ou si elle y parvient, ils en appellent à la nation. Les crimes de lèze-majesté, de rebellion, de péculat sont jugés en pleine diète. Les évêques concourent sans scrupule à prononcer la sentence de mort: une bulle du pape les a relevés de la maxime que l'église abhorre le sang.

D. Le clergé polonois est-il riche?

R. Il a hérité, siècle par siècle, de tous les sots et de tous les superstitieux de cette nation crédule, et il possède ainsi le tiers des biens du royaume. C'est une restitution immense, c'est une superbe succession, ouverte au peuple Polonois, qui seul aujourd'hui observe la pauvreté évangélique. Peut-être qu'il se lassera un jour d'une vertu forcée. Un jour, peut-être, la liberté en armes transportera les paysans sur les tours des églises, et leur découvrant au loin tant de magnifiques abbayes, tant de prieurés opulens, leur dira: tout cela fut à vos ancêtres; tout cela est aux pauvres; tout cela est

à vous.

D. Quel est le sort de ce qu'on appelle la petite noblesse?

R. La petite noblesse rampe devant la grande. Point de prélat, ni de palatin, ni de castellan, ni de staroste qui n'ait à son service une foule de ces gentilshommes mendians. Ils ne sont pas mieux traités, ni mieux payés que les autres esclaves. Pour la faute la plus légère,

on leur inflige le châtiment honteux de la fustigation. Seulement, pour les distinguer des animaux-roturiers et des automates-serfs, on met un tapis sous les genoux du noble-délinquant, et après l'avoir bien fustigé, on l'embrasse, ce qui n'empêche pas la nature de souffrir, mais ce qui empêche la vanité de se plaindre.

D. Quels sont les premiers corps de l'armée polonoise?

R. Les hussards et les pancernes; les hussards, revêtus d'une peau de panthère et montés sur des chevaux superbes; les pancernes, couverts d'une cotte de maille et d'une cape de fer. Ces deux corps de gendarmerie sont composés de nobles qui se donnent entre eux le nom de tamarit ou camarades. Chacun d'eux peut avoir jusqu'à trente valets, surnommés pacolets, armés, et combattant à la suite de leur maître et aux frais de la république. Mais tous ces gentilshommes apportent dans les camps le même esprit d'indépendance et d'insubordination qu'ils montrent dans les diètes; et ce manque de discipline a rendu leur valeur, presque toujours inutile, et souvent funeste.

D. Qu'est-ce que la pospolite?

R. C'est l'arrière-ban que l'on convoque dans les grands dangers de l'empire, et qui est composé de toutes les classes de citoyens, obligés au service militaire. Cette armée succursale seroit formidable par son nombre, si elle étoit facile à mouvoir, facile à conduire, facile à nourrir: mais elle sert bien plus à dévaster la patrie qu'à la défendre. Affamant tout le pays, au bout d'une semaine ou deux, ce corps dévorant est chassé par la disette ou par l'ennemi, et il disparoît comme un torrent, après avoir ravagé son propre lit.

D. Qu'est-ce que la saline fameuse de Wiliska?

R. Une ville souterraine, creusée dans un roc de sel, voutée et soutenue par des colonnes du même minéral qui brille de cent conleurs, comme des pierres précieuses, de manière qu'en y descendant à la clarté des flambeaux, on croit entrer dans un palais de fée ou dans un monde de cristal. Cette mine inépuisable fournit du sel à toute la Pologne, et attire une quantité de voyageurs, frappés de trouver, sous terre, des vil

lages, des chapelles, des atteliers, des comptoirs, des places publiques, de grandes routes où l'on voiture des masses de sel, un peuple d'ouvriers, et une multitude de chevaux. Descendus une fois dans ces cavernes resplendissantes, les chevaux n'en sortent plus, et ý deviennent tous aveugles. Une circonstance bien heureuse pour les habitans de cette montagne de sel, c'est que dans ses profondeurs coule un ruisseau d'eau douce.

D. Qu'est-ce qu'une autre montagne, nommée la montagne merveilleuse?

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R. C'est une roche escarpée, d'où sort une fontaine limpide qui diminue, ou grossit, selon le cours de la lune; dont le limon passe pour un remède souverain contre plusieurs maladies; et dont l'eau pure a une saveur balsamique et une vertu fortifiante. Dans les plus grands froids, elle ne gèle jamais, et si par ha sard on approche de la source un flambeau allumé elle s'enflamme comme l'esprit de vin. Cette propriété phosphorique, ou inflammable, vient des esprits de soufre dont son onde est imprégnée; mais le peuple qui n'est pas physicien et qui souvent est visionnaire, s'est laissé persuader que la foudre, étant tombée dans cette fontaine, y est restée captive, et qu'elle fait, pour s'échapper de sa prison aquatique, de continuels efforts, cause de tous ces phénomènes.

D. Qu'est-ce que le Socinianisme établi dans le palatinat de Lublin?

par

R. C'est une secte, fondée Lelio Socin, et propagée par Fauste Socin, son neveu. Usant de la liberté que Luther, Calvin, Zuingle, Henri VIII et Fox s'étoient donnée d'interprêter les livres saints et de réformer l'église romaine, ces deux hérésiarques enseignoient hardiment: que Dieu n'avoit point eu de fils; que ce"lui de Marie n'avoit été que l'image de l'Eternel et l'ora"cle du genre humain; que le péché originel, la grace, la prédestination, et tous les mystères les › plus révérés, n'étoient que des inventions papales et ,, des illusions théologiques; enfin que la prêtrise for"moit une profession sanctifiante, et non un ordre sacramentel ". L'éloquence, l'érudition et les mœurs

de Fauste Socin lui gagnèrent de nombreux prosélytes qui se sont maintenus en Pologne, sous le nom de Frères Polonois. Fauste étoit l'ennemi des Athées autant que des Romains. On mit sur son tombeau cette épitaphe impie Luther à découvert le toit de Babylone ; Calvin en a démoli les murailles; Socin en a déraciné les fondemens.

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D. Enfin, jusqu'où s'étend la servitude des paysans

Polonois ?

R. Elle enchaîne leur berceau, leur tombe, leur fortune, leurs enfans. Esclaves nés du seigneur qui les commande, ils font partie de son domaine. Il les employe, il les achète, il les revend comme une production de sa terre, ou comme un troupeau nourri dans ses étables. Tout ce qu'ils amassent par leur travail, est à lui, et ils ne peuvent, ni tester en faveur de leurs proches, ni léguer la moindre chose à leurs amis, ni s'éloigner de la demeure du seigneur, à moins que ce ne soit pour entrer dans un cloître.

Quand un nouveau paysan vient se lier au joug d'un noble propriétaire, celui-ci, pour le mieux clouer à sa chaîne, lui prête une méchante baraque, deux petits chevaux, une vache, des poules, des oies, et du seigle ou du millet pour vivre l'espace d'un an. Ensuite on lui assigne, pour se nourrir dans les années suivantes, une étendue modique de terrein qu'il ne possède pas en propre, mais dont il a le labour et l'usufruit. Ainsi établi, le nouveau paysan est obligé, lui et sa famille, de travailler quatre jours de la semaine pour son maître et le reste du temps pour sa propre subsistance. Aux jours de la moisson, tous les habitans du village vont couper les bleds pour le seigneur. Le bâton fait marcher les paresseux. Les indociles sont punis à coups de fouet. S'ils se révoltent, on les suspend et on les presse entre deux longues planches.

Les meubles des paysans Polonois consistent en quelque vaisselle de terre ou de bois, en un lit de paille, et en un méchant poële qui sert de four et de cuisine, et autour duquel se traînent par terre leurs enfans tout nuds. Le père est habillé, en hiver, d'une peau de mouton, et en été d'un juste au corps noirâ

tre, avec un bonnet de laine et des souliers d'écorce. Le manque de richesse n'est pas le plus grand malheur: c'est le manque de propriété qui décourage et qui dégrade l'homme laborieux. Aucun paysan ne peut dire en Pologne mes enfans, ma femme, mon attelage, mon bien. Tout appartient à son sultan. Les poules, les oies, le beurre, le fromage sont apportés chaque jour au château. Si un paysan vendoit un œuf à son profit, il ne seroit, ni épargné au château, ni absous à l'église. Voilà le gouvernement féodal. Voilà ce que seroient tous les paysans de la terre, si les nobles y régnoient.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

Décret sur le respect dû à la loi.

UNE Société sans loix n'est rien; elle est méprisable comme un homme sans moeurs. Or, il n'y a point de loi, où la loi n'est point respectée. Ce sont là des vérités bien connues de nos lecteurs. Mais comment, dans quel cas, à quelles personnes devons-nous témoigner ce respect? voilà ce que le nouveau décret vient nous apprendre.

Ceux qui assistent aux audiences des juges de paix ou à toute autre, doivent, se tenir découverts dans le respect et dans le silence. Chacun d'eux obéira surle-champ à tout ce que les juges ordonneront pour le maintien de l'ordre.

Si quelqu'un rompt le silence, s'il donne des marques d'approbation ou d'improbation, s'il occasionne le moindre tumulte, il sera averti par l'huissier; et s'il continue le désordre, il sera conduit à la maison d'arrêt où il demeurera vingt-quatre heures.

Si quelques mauvais citoyens osoient outrager ou menacer les juges et les officiers de justice dans l'exercice de leurs fonctions, ils seront arrêtés sur-le-champ, interrogés par les juges, et pourront être condamnés jusqu'à huit jours de détention; et si les injures étoient graves, leur procès leur sera fait.

On poursuivra criminellement toute rebellion des

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