Page images
PDF
EPUB

d'élire leur monarque, ils consoloient tous les royaumes qui avoient perdu et qui regrettoient cette dangereuse prérogative. Nous disons dangereuse, parce que l'expérience a démontré que les choix de l'intrigue sont plus mauvais encore que ceux du hasard; et que les rois, élus par la cabale, ne valent pas mieux que les rois établis par la naissance.

Les Polonois l'ont bien éprouvé : ils ont vu l'éclat de la couronne se ternir à chaque élection, et le destin du peuple empirer sous chaque règne. Il leur est arrivė cependant deux fois de bien choisir, la première fois lorsqu'ils élurent Sobieski pour roi, la seconde lorsqu'ils ont élu Poniatouski.

Ce dernier, doué d'un esprit supérieur et d'une équité sublime, auroit pu faire beaucoup de bien au peuple Polonois, et d'abord rompre la chaîne qui lie et qui écrase le paysan. Car en Pologne le paysan gémit sous le double fardeau de l'infâme roture et de l'abominable servitude.

Malgré le christianisme, malgré la philosophie, malgré la saine politique, malgré la simple humanité, cinq à six millions de Polonois sont esclaves de deux à trois cent mille. Ceux-ci se croyent d'un autre limon que ceux-là. Ils confondent ensemble le laboureur et le bœuf ils les logent tous deux, à-peu-près, dans les mêmes étables, et les nourrissent, à-peu-près, avec la même parcimonie.

:

Cependant la Pologne, par sa fertilité territoriale, a été nommée le grenier du Nord; mais le paysan y meurt de faim à côté du grenier que ses mains ont rempli. A peine lui laisse-t-on sa subsistance pour le récompenser de celle qu'il procure au monde. Quand on enlève le miel d'une ruche, on y laisse du moins de quoi vivre à l'essain des abeilles, et la prévoyance remédie à l'ingratitude.

On distingue en Pologne trois classes de paysans:

ceux qui sont d'origine Allemande ; ils jouissent de quelques privilèges dont les naturels du pays sont privés: les paysans de la couronne qui cultivent ses fiefs et ses domaines; ceux-ci sont moins opprimés, ou du moins ils peuvent recourir à la justice du roi enfin les laboureurs, esclaves des nobles; ceux-là sont des captifs, des forçats véritabies. Le seigneur d'un village en est pour ainsi dire le grand-turc. Il peut dépouiller, il peut assommer son esclave, comme il peut dépouiller ses moutons de leur laine, et assommer les bêtes qui traversent son champ. Une première maxime en Pologne, c'est qu'un esclave ne peut intenter un procès contre son seigneur. Une seconde maxime, c'est qu'un seigneur n'est comptable à personne de ses jugemens. Teloit le code féodal de nos ancêtres. Telle est la jurisprudence des lions Vandales ou Sarmates.

D 1

Stanislas II, dirige par des maximes plus humaines, a obtenu, à force de sollicitations généreuses, une loi qui prononce la peine de mort contre le seigneur qui tueroit son esclave; mais la noblesse a éludé encore le châtiment, et a exigé que pour convaincre un seigneur-assassin, son assassinat fût attesté par deux nobles et quatre paysans. Un noble déposer contre un noble il aimeroit mieux voir noyer cent esclaves.

Ces impitoyables tyrans sont mauvais calculateurs. Leur barbarie envers leurs paysans contribue, et à dépeupler leurs villages, et à tarir leurs revenus. Le palatin de Mazovie, en 1760, rendit la liberté à six de ses hameaux. Le nombre des habitans a doublé, et le produit des terres a presque triplé en peu d'années. Ce salutaire exemple n'a été suivi que par un très-petit nombre de seigneurs Polonois, et de ce petit nombre a été le prince Stanislas, neveu du roi. Rien n'a pu tenter les autres, ni l'éternelle justice, ni l'honneur magnanime, ni même l'intérêt pécuniaire. Un stupide orgueil retrécit les têtes, et une tête étroite devient une tête inflexible.

Ces despotes, si aveugles sur leur intérêt particu lier, ont ils été plus clairvoyans sur l'intérêt public? Ont-ils défendus leur patrie avec la même constance qu'ils ont défendu leurs usurpations? Ont-ils du moins préservé la Pologne des invasions étrangères? Hélas! non, esclaves eux-mêmes, et quelquefois pensionnaires des puissances voisines, ils ont par leurs discordes, et souvent par leurs trahisons, ouvert, livré, sacrifié la république.

C'est ainsi qu'ils ont lâchement souffert le partage que l'Autriche, la Russie et la Prusse ont fait de la Pologne en 1772. Par ce démembrement, concerté entre la dévote Marie-Thérèse, la magnifique Catherine seconde, et le philosophe Frédéric-le-grand, l'Autriche a conquis ou plutôt volé la portion la plus peuplée ; la Russie, la portion la plus étendue; la Prusse, la portion la plus commerçante. Par ce démembrement la Pologne a perdu, à-peu-près cinq millions de sujets et sept mille lieues de terrein.

Voilà quel a été le fruit de tant de confédérations dont aucune n'avoit pour but l'utilité publique et encore moins la délivrance populaire. Voilà quelle a été la punition de l'aristocratie la plus insensée, la plus indisciplinée et la plus dure. Voilà quel a été le sort inévitable d'un roi sans pouvoir, d'un sénat sans jus tice, d'une noblesse sans humanité, et d'un peuple sans

armes !

On uous demandera quel rôle joue en Pologne le clergé celui qu'il a joué dans tous les pays ignorans et superstitieux; il occupe les premières places et les dignités les moins conformes à l'évangile. L'archevêque de Gnesne est, en même temps, le primat du royaume, le chef du sénat, le légat du pape, le censeur du roi, et roi lui-même, en quelque sorte, dans les interrègnes, pendant lesquels il prend le nom d'Inter-Roi. On le traite d'Altesse et de Prince. Il a, comme le monarque,

[ocr errors]

il

un maréchal, un chancelier; un escadron à cheval et un pompeux cortège. Lorsqu'il va chez le roi, s'avance en cérémonie, et le roi se lève pour le recevoir. A tant de puissance, le primat joignoit autrefois les foudres de l'excommunication, et quelquefois même il a joint le poignard de la rébellion et du régicide.

Les nobles polonois qui abandonnoient ainsi le trône à la superstition, avoient du moins réussi à se soustraire eux-mêmes à son glaive et à ses bûchers. Ils avoient établi, par une loi sage, la tolérance de toutes les religions. Qui le croiroit? C'est au milieu du dix-huitième siècle, c'est quand l'Europe commençoit à guérir de la rage du fanatisme, que la Pologne, dans un accès de fièvre religieuse, a stupidement aboli la loi de la tolérance. Ce seul trait de folie annonçoit à tous les sages que la Pologne se précipitoit vers sa ruine, et sa ruine n'a pas tardé à suivre, à punir l'oubli de tous les bons principes.

La nature avoit mis dans ce vaste empire tout ce qu'il falloit pour l'enrichir, blés, pâturages, bestiaux, salines, minéraux, et néanmoins il est resté toujours pauvre au milieu de tant de richesses. C'est que l'in

ustrie y est étrangère, malgré le génie des habitans ; c'est que le commerce y est captif malgré la liberté nationale; c'est que la navigation intérieure y est négligée, malgré des fleuves nombreux ; c'est que la culture manque à des terres même excellentes ; enfin, c'est que la popu lation des hommes y est desséchée dans sa première source, par l'esclavage du paysan.

Les paysannes polonoises sont cependant féconde'; mais leurs enfans couchés dans une misérable chaumière, pêle-mêle avec le bétail, sont plus à plaindre que lui, car ils sont tout nuds, et le froid en consume une grande partie sous les yeux d'une mère, qui glacée elle-même, ne peut les réchauffer dans ses bras engourdis.

Aussi ce royaume, aussi grand que la France, ne compte guères que six millions d'habitans, et peut à peine soudoyer quarante mille hommes. Il n'abonde pas en ouvriers ni en marchands. Encore sont-ils Allemands', ou François, ou Juils. Le monarque régnant n'a rien oublié pour y attirer les artistes, et pour y élever les lettres, les sciences et la prospérité publique. Les nobles ont eu peur de son génie, et pour l'enchaîner, ils lui ont ravi jusqu'au pouvoir de conférer les starosties ou les bénéfices de la république, sans l'avis du conseil permanent: ils ne lui ont laissé que le nom de roi et le cœur d'un sage.

On appelle conseil permanent, un conseil qui exerce, de concert avec le roi, le pouvoir exécutif dans lequel consiste la royauté.

On appelle champ électoral, un champ très-vaste qui est aux portes de Varsovie, et qui est le théâtre de l'élection du monarque. Les Polonois campent sur la rive gauche de la Vistule, les Lithuaniens sur la droite. Ceux qui aspirent ouvertement à la couronne, sont exclus du champ électoral, de crainte que leur présence n'y gêne les suffrages. Le roi doit être élu par toutes les voix, unanimité qui seroit impossible, si elle n'étoit facilitée par l'argent ou forcée par le sabre. Aussi le champ électoral est-il sans cesse arrosé d'or, et quel quefois inondé de sang.

On appelle pacta conyenta, ou pactes convenus, une charte, accordée aux nobles par Sigismond-Auguste, et dans laquelle sont contenues toutes les concessions que la couronné leur a faites. Le premier acte de la diète, c'est toujours la lecture des pacta conventa.

On appelle Palatin, un gouverneur de province, héréditaire, et chef de la noblesse de son palatinat ou de sa province.

On appelle Castellan, le principal seigneur qui représente le palatin dans son absence, et ce nom de cas

« PreviousContinue »