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"Le principe d'humanité qui a dicté cette loi est cette grande maxime; il vaut mieux que dix coupables soient sauvės, plutôt qu'un seul innocent périsse. Un citoyen accusé a droit à toutes les ressources qui peuvent manifester son innocence. Tant qu'il n'est pas convaincu, il n'est que notre ami, puisqu'il est malheureux. Il faut donc, pour le condamner, des preuves plus claires que la lumière du jour. Cependant les mêmes moyens qui le justifient, s'il est innocent, s'élèvent contre lui, s'il est coupable; la société sera satisfaite, il ne peut échapper à la peine. Supposez-vous juré, mon cher Etienne? et moi accusé. Vous voudrez sans doute, pour me croire coupable, des preuves évidentes: mais si je suis convaincu d'un crime, est-il rien qui vous empêche de prononcer mon arrêt? Non, votre amitié même ne balancera pas, la puissance de la vérité, votre serment, votre honneur, la présence du peuple et des juges, votre intérêt, votre sûreté et celle de tous vos conci toyens qui demandent le châtiment et l'exemple. Vous me condamnerez en pleurant, mais vous n'hésiterez point à me condamner.

,, Demandez-vous maintenant quels sont les principes do liberté qui rendent cette loi si sainte et si chère aux nations qui en jouissent? Le peuple qui est la source de tous les pouvoirs, doit se réserver ceux qu'il peut exercer lui-même. Celui d'infliger des peines aux citoyens, de leur ôter l'honneur ou la vie, ce pouvoir qui réprime et prévient les désordres, qui maintient la paix et la justice, ce pouvoir redoutable ne peut sans danger être abandonné à un petit nombre d'individus, qui l'exercent dans tous les cas et sur toutes les personnes. N'est il pas évident que s'il n'est confié qu'à des jurés, il reste entre les mains du peuple. Le peuple est donc plus libre et moins dependant de ses chefs, sitôt qu'il a établi cette forme de jugement. Car le plus puissant de l'état craindra d'opprimer le plus foible, quand il sera sûr que ses vexations seront examinées par douze personnes indifférentes, nommées par le sort, au moment même de l'examen.

N'est-ce pas maintenant le plus beau droit de l'individu comme de la nation, que celui de ne pouvoir.

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jamais recevoir aucune atteinte à sa personne et subir aucune peine, que du consentement de douze de ses voisins et de ses égaux. Certes, s'il est condamné, c'est que rien ne pouvoit le sauver. Si même, par un prodige, un innocent pouvoit ainsi périr, il me semble qu'il n'auroit à se plaindre que de la cruauté du sort et de la foiblesse de l'humanité. Il ne pourroit rien reprocher à ses juges, ni sur-tout à la société et à la loi. Car que pouvoient-elles faire de plus en sa faveur? Au contraire cet homme de bien, en succombant, bé-, niroit encore cette loi presque divine, se souvenant que jusqu'alors elle seule avoit à tous les instans défendu sa liberté, son honneur sa vie et toutes ses jouissances.

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"Et vous, mon cher Etienne, vous qui fûtes accusé, rappelez-vous cette longue prison, cette secrette inquisition de la procédure, ces perfides interrogatoires ces juges ennemis tendant des pièges à votre innocence, ces faux témoins entendus séparément, et sans vous;: ce tribunal jugeant le fait et prononçant la peine; rappelez-vous vos terreurs, vos angoisses, votre ruine. Voyez quel tableau contraire vous présentent les JuRÉS. Ici tout est humain, tout est public, tout est impartial; comparez et jugez.

Il cessa de parler; et moi, le cœur serré, les yeux humides, je l'embrassai pour toute réponse. Et bien reprit-il alors en souriant, je ne vous fais donc plus tant de peur. Vous voyez que jamais votre ami ne

sera votre assassin. Telle est même la beauté de cette loi, qu'il n'y a personne en France dont un autre puisse dire VOILA L'HOMME QUI DECIDERA DE MA VIE OU DE MA MORT. L'institution des jurés divise tellement le pouvoir judiciaire, qu'il se trouve par-tout, sans appartenir à personne; et l'on peut dire que la justice est d'autant mieux rendue, qu'il n'y a point de juge. Car des magistrats qui ne font qu'appliquer une loi à un fait, ne peuvent s'appeler des juges, pas plus que douze citoyens pris au hasard et toutà-coup du milieu du peuple, qui souvent remplissent pour la première et la dernière fois la fonction de juré.

Nous nous séparâmes après cet entretien. Depuis ce temps, je n'ai cessé de m'en rappeler toutes les circonstances. J'étois impatient, ô mes amis, de me réjouir avec vous de cette loi salutaire. Allez donc embrasser vos enfans, et félicitez-les d'être nés plus libres, plus heureux, plus hommes que leurs pères.

Événemens.

CONSTANTINOPLE. Après une résistance vigoureuse, les Turcs ont abandonné aux Russes la forteresse d'Ismaïl; et le grand Visir s'est retiré à Schulma pour occuper les défilés des montagnes et pour en disputer lé passage aux vainqueurs. Ceux-ci parlent déja de marcher vers Constantinople et de reléguer les Turcs en Asie. Si les Russes ne renversent le despotisme Ottoman que pour établir le despotisme Moscovite, Constantinople ne feroit que changer de tyrans.

STOCKOLM. Le roi de Suède s'occupe, dit-on, de la réforme de ses finances et du changement de ses monnoies. De fréquentes ambassades entre lui et l'Impératrice de Russie annoncent des projets communs et une alliance prochaine. Le roi de Suède fait espèrer à ses peuples une convocation des états-généraux afin de concerter avec eux un plan de défense. Voilà le meilleur traité, que puisse contracter un monarque, et le meilleur conseil qu'il puisse assembler.

VARSOVIE. Les nobles Polonois, si l'on en croit des lettres arrivées de Pologne, se proposent de donner à un des fils de l'empereur la survivance de leur roi. Ce sera tout ensemble un superbe héritage et une école instructive. Le prince survivancier auroit le temps d'étudier, sous Léopold son père et sous Stanislas son dévancier, l'art de gouverner les hommes. Léopold lui apprendra à épargner le sang, et Stanislas à soulager l'infortune. Tous deux paroissent aimer la lumière et la justice. Léopold a chassé de sa cour deux esclaves titrés qui blasphémoient en sa présence notre constitution. Stanislas ne pouvant affranchir son peuple, prépare de loin la liberté Polonoise, en faisant traduire nos meilleurs livres : il forme les têtes avant que d'armer les bras.

MADRID. La monarchie espagnole est, en quelque sorte, le royaumé des ténèbres. La superstition et la tyrannie y éteignent toutes les lumières. Tous les che mins et toutes les douanes sont assiégées d'inquisiteurs et de brûleurs de livres. Cependant un Espagnol, et ce qui étonnera bien plus un évêque a osé élever sa voix contre le fisc et la cour d'Espagne." L'évêque d'Orense a publié une lettre pastorale dans laquelle il représente le peuple Espagnol comme écrasé par les impôts, par les grands, et par les moines. C'est le premier mandement fait en faveur du peuple.

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HESSE. Autre miracle non moins surprenant le Lan grave de Hesse-Darmstadt, le même qui vendant aux Anglois ses soldats, trafiquoit de ses sujets et transmuoit leur sang en or, a voulu expier ce crime et repeupler ses états, en accordant la tolérance de religiom Peu à peu l'humanité convertira les princes et gagnera les cours germaniques, ainsi qu'une plante, flexible fait éclater les rochers où elle s'enracine.

BERNE. L'aristocratie d'un sénat est plus dure que les rochers et que les despotes même. Un ministre de l'église protestante ayant prêché le dogme vraiment évangelique de l'égalité, le sénat de Berne l'a fait arrêter, et traîner de la chaire en prison. Le peuple de Berne s'y est porté en foules et a délivré l'éloquent et vertueux prisonnier. Le sénat de Berne a cédé sa proie, mais en frémissant. On demande souvent quel est le sens véritable du mot ARISTOCRATE : il signifie au juste l'ennemi de l'égalité. Jesus-Christ qui a fondé son église sur cette égalité, a fait du christianisme une sainte république qui vaut mieux que celle de Berne, et il a été le dieu des démocrates.

DOMFRONT. Une ancienne sœur hospitalière, accoutumée aux œuvres de charité et aux opérations de chirurgie, faisoit gratuitement des guérisons qui sembloient miraculeuses. Des hommes de loi dignes de l'ancienne jurisprudence, et des prêtres ennemis de l'humanité comme de la constitution, ont accusé cette soeur-chirurgienne, de sortilège et de magie, La populace de Domfront aussi crédule qu'ignorante l'a saisie et conduite au tribunal criminel provisoire,

Les juges de ce tribunal qui heureusement étoient instruits et philosophes, ont renvoyé la pauvre accusée en la comblant d'autant d'éloges que ses malades lat combloient de bénédictions. Hélas! plusieurs villages. de France semblent encore à demi-barbares !'.

INDES ORIENTALES. Tippo-Sultan, fils du célèbre Hider-Aly, et l'héritier de ses ressentimens implacables contre, les oppresseurs anglois qui ont envahi et dépouillé ce riche empire, vient de remporter une victoire sur le général Meadows. Lazcompagnie angloise pour soutenir cette guerre et pour continuer ses rapines, est obligée d'emprunter de l'argent au faux le plus excessif. Elle se ruine. en forfaits. Que conclure de là? Que tôt ou tard les Anglois seront exterminés dans l'Inde. Faut-il nous en réjouir? Non: les Anglais sont nos frères: mais les Indiens le sont aussi ; et noust devons desirer que le peuple oppresseur soit puni, et le peuple opprimé indépendant.open

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VALENCE, département de la Drome. Deux frères. nommés Marcellin, conduisoient un bateau sur le Rhône: ce fleuve étoit débordé et le courant très-rapide; un tournant fit chavirer le bateau, et les deux frères, ainsi que deux citoyennes de Valence, fu rent engloutis par les flots. L'aînë Marcellin, après avoir cherché vainement à s'accrocher à un mur qui bordoit le fleuve, succombalet fut perdu. Une des femmes, entraînée sous des bateaux, y périt misérablement. L'impétuosité et le débordement des vagues ne purent retenir la courageuse humanité de plusieurs habitans de Tain et de Tournon. S'avançant sur des batelets, ils atteignirent le jeune Marcellin et la jeune femme qui se débattoient contre les flots, et les portèrent sur le rivage. M. Picard, maréchalferrant, se distingua parmi ces hommes intrépides et généreux. La jeune femme fut rendue à la vie. Elle étoit mère de trois enfans. Ainsi, M. Picard, en la sauvant, sauva toute une famille. La société des amis de la constitution, établie à Valence, touchée des soins vraiment héroïques de M. Picard et de M. Ollier, les a proclamés membre de la société d'une voix unanime, et leur a fait la députation la plus honorable et la réception la plus éloquente.

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