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pays, celle même des Grecs et des Romains; et quoique ce peuple ait la réputation d'aimer un peu à boire, il est rare, sur tout dans les cantons réformés, qu'il aille au cabaret le dimanche. Nul peuple enfin ne connoît mieux le prix de la liberté, celui du travail, et celui de l'instruction. On ne doit excepter qu'une race malheureuse qui existe dans une partie du Valais et autour de la ville de Sion, capitale des Valaisans. Cette race s'appelle, les Cretins ou les Idiots. Dès leur naissance, ils tombent dans une langueur et une imbécillité qui durent toute la vie. On les voit couchés dans les rues, ou étendus sur des rocs se tenir tout le jour immobiles aux rayons' du soleil, la tête renversée, la langue pendante et les yeux stupidement ouverts. Quelques-uns sont tout-à-fait sourds et muets; d'autres sont réduits à une sensibilité purement animale. Tous sont incapables de se conduire. Les habitans du Valais regardent ces Cretins, nés parmi eux, comme des innocens, recommandés

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par le ciel et l'humanité. Ils leur rendent les soins les plus touchans. Les enfans n'osent les insulter et les vicillards les respectent. C'est un des traits qui montrent le mieux la bonhommie helvétique. Le Valais se distingue en haut et bas Valais. Le premier est souverain du second. Leur pays est divisé en six départemens, gouvernés par autant de baillis, qui quelquefois ont voulu faire les petits despotes, et qui ont excité, comme aujourd'hui, de justes, et cependant terribles insurrections.

LE PAYSAN ET SON SEIGNEUR.

Dialogue.

UN paysan des bords de la Loire disoit, il ya quelques

mois, à son seigneur (car il y avoit encore alors des seigneurs) vous aimez, Monsieur, la révolution actuelle, et je ne crains point de vous exposer les sentimens qu'elle m'a fait éprouver. Je ne sais comment elle m'inspire le, desir de m'instruire et de m'éclairer. Je remarque que, hors les personnes qui ci-devant se faisoient riches à nos dépens, ceux qui ont le plus d'espri et qui ont lû davantage, sont ceux qui aiment le plus la révolution. Il y en a parmi eux qui disent, que c'est sur-tout à une chose, que l'assemblée nationale ap pelle la déclaration des droits que nous devons la liberté dont nous allons jouir, et le bonheur de pouvoir le transmettre à nos enfans. Un de ces Messieurs, qui n'a point honte de causer avec les paysans, nous racontoit qu'il étoit présent à l'assemblée nationale lorsque cette déclaration y fut faite, et qu'il Y avoit un fort parti dans l'assemblée qui ne le vouloit pas. Cela me fait bien penser qu'ils ne vouloient pas que nous connussions nos droits, de peur qu'il ne nous vînt le desir de nous les faire rendre par ceux qui nous les ont pris. J'ai donc voulu lire cette déclaration des droits; mais je vous avoue, Monsieur, que je ne l'ai pas bien entendue; il y a des mots qui sont au dessus de ma portée, car elle a été faite par des gens qui ont plus d'esprit que moi. Vous me rendriez un bien grand service si vous vouliez me l'expliquer, et me faire voir comment elle pourra

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servir à mes enfans et à leurs enfans, pour conserver la liberté; car ce seroit la première chose que je leur ferois apprendre.

Je ne l'ai point ici, lui dit le seigneur, je vous l'expliquerai un autre jour; mais nous pouvons en causer quelques momens. Vous avez du loisir, allons nous asseoir sous ce berceau, où nous ne serons point interrompus.

Mon bon ami, dit alors le seigneur, l'état de liaison où nous vivons nous tous qui sommes dans ce village, dans la province, dans le royaume, s'appelle l'état de la société, au contraire des hommes qui vivent seuls dans les bois, et qu'on appelle solitaires quand ils ont quitté la société, et sauvages quand ils ne l'ont jamais connue. L'homme n'est pas fait pour vivre dans la solitude; le sauvage ne l'est pas long-temas. Les hommes ont besoin de se rapprocher les uns des autres, ou pour s'aider ou pour se défendre réciproquement ainsi l'état de société est bien ancien et bien vieux. Il y a peut-être trois mille ans qu'il y a des sociétés dans ce pays; il y en a quatorze cents que la société que nous appelous le royaume de France subsiste, et il faut espérer qu'elle subsistera encore long

temps.

Vous comprenez, mon ami, que quand des hommes se réunissent pour se dire les uns aux autres : faisons une société, ils ne s'y jettent pas au hasard, , et sans faire leurs conditions. Ils conviennent entre eux de quelque chose je suppose qu'ils ont des champs, des possessions, et ce qu'on appelle des propriétés ; ils se promettent de s'aider et de se soutenir les uns aux autres ; de se réunir pour défendre

celui d'entre eux qui seroit attaqué, ou dont on voudroit prendre les possessions. Enfin ils se lient par des engagemens et des promesses réciproques; ils font des conditions, précisément comme vous faites aujourd'hui, quand vous prenez des associés dans une entreprise.

LE PAYSAN. J'entends, Monsieur, ils se disent les uns aux autres tu protégeras mon champ, je protégerai le tion; tu ne me feras point de mal, je ne t'en ferai point; et si des étrangers viennent nous chercher querelle, nous nous réunirons pour les battre et pour les chasser.

M. DE GREZY. C'est justement cela : ils font leurs conventions, leurs accords; ils s'engagent à les tenir, et ces conventions, qui les lient, il les appellent des lois; car c'est ainsi qu'elles ont commencé : les lois ne sont que des conditions réciproques, précisément comme les conditions d'un contract.

Cependant, vous sentez bien qu'alors il n'y a point d'associé qui osât dire aux autres : vous me recevez dans votre société, à condition que j'y serai le maître, que je serai toujours le premier, que je pourrai empiéter sur le champ de mon voisin, que vous serez obligés de venir à mon secours, et que je ne le serai point de vous aider. On chasseroit bientôt un tel homme, comme un ennemi de la société, comme un tyran qui voudroit l'asservir. Chacun lui diroit: "Quel droit avez-vous de "plus que nous? et qui vous l'a donné? Nous sommes "tous égaux en droits. Vous voulez conserver votre pro"priété; nous voulons aussi conserver la nôtre. Vous "voulez être sûr et tranquille; nous voulons également "être tranquilles, et sûrs. Vous voulez être libre ? nous

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" voulons l'être aussi. Voilà nos conditions; voyez si " vous voulez les remplir; sinon, retirez-vous, nous ne " voulons point dans notre société d'un homme qui pense `, qu'on lui doit tout et qu'il ne doit rien,,. Hé, ne croyez-vous pas, mon ami, que les sociétés ont ainsi commencé ?

LE PAYSAN. Sûrement, Monsieur, personne n'avoit de droit sur les autres, et ils arrivoient tous ce qu'ils étoient auparavant; libres, puisqu'ils n'avoient jamais eu de maîtres, et avec des droits égaux, puisque chacun s'engageoit librement. Vous avez raison d'appeler cela

un contract.

M. DE GRESY. C'est là le nom que l'on donne à cette première convention; et on l'appelle contrat social, ce qui signifie le contrat primitif de la société, celui par lequel ellè a commencé.

LE PAYSAN. Il me semble que les choses ont bien changé dans la suite.

M. DE GRESY. Hélas, oui! et voici comment. Quand les premiers peuples eurent fait leurs conditions, ceux qui savoient écrire, les écrivirent. D'abord, il n'y avoit qu'un petit nombre de ces conditions ou lois, et chacun les exécutoit facilement. A mesure que le peuple grossit, les affaires se multiplièrent, et il fallut multiplier aussi les lois. Il y a toujours des gens qui veulent bien que les autres obéissent; mais qui ne veulent pas obéir. Il fallut les y obliger, et c'est de là que sont venus tous les maux. On avoit des lois, il fallut créer des peines. Pour infliger ces peines et faire exécuter ces lois, il fallut créer des magistrats, des rois, des chefs de quelque espèce, et le peuple, la société les

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