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l'Espagne est en querelle avec l'Angleterre, au sujet d'un combat livré entre deux' vaisseaux de ces nations sur des mers fort éloignées, où les Espagnols prétendent avoir seuls le droit de passer. De part et d'autre, on a disposé de grandes flottes. L'assemblée nationale et le roi ont sagement ordonné des armemens semblables, non-seulement pour que la nation françoise puisse soutenir les Espagnols, suivant le traité; mais pour nous mettre nous-mêmes en défense contre les Anglois, qu'on soupçonne de vouloir nous attaquer.

La querelle de l'Angleterre et de l'Espagne n'est pas la seule cause qui fasse craindre la guerre aux François. La plupart des nations de l'Europe sont gouvernées, comme nous l'étions avant la révolution, par des princes absolus, et par des aristocrates leurs ministres ; ceux-ci disposent à leur fantaisie des hommes et de leurs biens, des armées et des trésors de l'Etat et par conséquent mènent les peuples à la guerre quand il leur plaît. On prétend que des François, mauvais citoyens, pour empêcher que notre consti→ tution s'établisse, excitent ces princes et ces ministres à nous attaquer, en leur persuadant que l'exemple d'un peuple qui s'est rendu libre, notre exemple sera suivi par les autres peuples qui leur arracheront, comme nous l'avons fait, une autorité dont ils tirent de si grands profits. L'Allemagne est le pays où l'on a le plus animé les puissances contre nous. Mais d'autres guerres, d'autres troubles embarrassent ces puissances. L'Autriche et la Russie, depuis trois ans en guerre avec la Turquie et la Suède, sont épuisées d'hommes et d'argent: et quoique la paix soit presque faite de ce côté, la guerre les menace d'autre part. Le roi de Prusse, qui a une grande armée, des trésors, des peuples dont il dispose en maître, `seroit plus à redouter pour nous. Mais ces états sont situés loin de la France, et il paroît occupé d'autres projets.

Il y a trois peuples dont la position actuelle doit intéresser les François. C'est le peuple des Pays-Bas, et sur-tout du Brabant, le peuple de Liége et le peuple d'une partie de la Suisse, nommée le Valais.

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y a environ deux ans que les Brabançons, mécontens du geuvernement de l'Autriche, en ont chassé les ministres et les troupes. Mais, parce que ce peuple est ignorant, livré à la superstition, et par-là, indigne de la liberté, il s'est laissé conduire par des ambitieux, qui, après avoir pris toute l'autorité, ont persécuté ses meilleurs citoyens, ont mal dirigé ses àrmées, enfin ont fait échouer sa révolution. Les troupes autrichiennes. viennent de battre deux fois de suite l'armée brabançonne; cette nation va se soumettre au roi de Hongrie, et retomber sous la servitude dont elle s'étoit affranchie.

Les Liégeois ont donné un exemple contraire. Ils ont chassé un évêque, leur prince, qui avoit détruit leur constitution et leur liberté. Aidés de l'appui du roi de Prusse, ils ont soutenu, depuis près de deux ans, une guerre cruelle avec des princes voisins, excités contr'eux par leur évêque. Ils ont choisi un autre prince, sous le nom de régent, et sont sur le point d'obtenir la paix. avec la liberté, dignes récompenses de leur courage.

Enfin, les Valaisans, bercés par le gouvernement du sénat aristocratique de Berne, ont chassé leurs gouverneurs. On veut les soumettre par la force; mais ces hommes qui vivent dans les montagnes, sont robustes, courageux et ardens pour la liberté.

En Allemagne, dans la Hongrie et dans la Saxe, des paysans se sont armés pour obtenir quelque soulagement aux vexations des nobles, leurs seigneurs.

Ces mouvemens des peuples nous intéressent: car nous devons desirer que nos semblables, que tous les hommes deviennent libres comme nous. Et d'ailleurs, la liberté même de la France sera plus difficile à conserver, tant qu'elle sera environnée de princes despotes et de nations esclaves.

2 Octobre. La procédure faite par le Châtelet de Paris, au sujet des attentats commis à Versailles le 6 octobre 1789, ayant été examinée par l'assemblée nationale, il vient d'être décrété, qu'il n'y a point lieu à inculpation contre les deux membres de l'assemblée que le Châtelet avoit paru croire coupables. Tous les bons citoyens en ont ainsi jugé. C'étoit la révolution même

qu'on vouloit rendre criminelle, et dont on faisoit le procès.

Sur la circulation des grains.

Il y a quelque temps que la municipalité de Soissons (département de l'Aisne) interprêtant mal les décrets s'est cru autorisée à retenir des bleds destinés pour Metz, sous prétexte qu'ils étoient récoltés dans son territoire. L'assemblée nationale l'a rappelée au vrais sens de la loi; c'est que les grains récoltés dans un canton appartiennent, non pas à ce canton, mais à toute la France.

On nous a adressé sur se sujet une pièce intéressante que nous prions nos lecteurs de lire avec attention.

RECIT de la conduite et de l'intention du bon Maire. et des bons habitans du bourg de Crangy.

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Le bourg de Crangy est situé dans un pays fertile et sur le grand chemin. Il y a peu de jours qu'en entrant à Crangy, je vis plusieurs voitures arrêtées, et une centaine de paysans attroupés autour d'elle. L'un d'eux disoit : Il faut les arrêter et faire vendre demain tout ce grain au marché,,; et tous les autres de répondre ; --- Ŏui, oui, au marché. - Doucement, répondit un autre, nous ferions une injustice; nous n'avons pas ce droit là. il faut simplement faite rentrer ce bled à la ferme, et que le fermier nous le garde pour cet hiver. -- Oui, oui, à la ferme...... Et dėja, malgré les cris du voiturier, on saisissoit les chevaux pour les faire retourner. Un homme survint, qui s'adressant à cette foule, d'un air assez calme, leur dit --- Messieurs, je suis le marchand qui viens d'acheter ce bled, il est à moi. J'ai droit de le transporter où il me plaît. --- Non, non. Vous pouvez, continua-t-il, me contester mon droit, mais vous ne pouvez en juger. Vous avez une municipalité, un maire; c'est à eux de décider. Il a raison; allons chez M. le maire. Et chacun y suivit paisiblement le marchand, car les habitans de Crangy sont des hommes justes et raisonnables.

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Le maire sortoit de sa maison. C'étoit un homme de cinquante ans, ayant le regard ferme et la figure

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douce. Lorsqu'on l'eut joint, un des habitans prit la pa-
role et lui exposa le fait, répétant souvent que M. le
maire devoit arrêter les grains, pour l'intérêt de la com-
mune. Le marchand répliqua et soutint qu'on ne pou-
voit lui refuser le passage; il étoit appuyé par le fer-
mier qui lui avoit vendu son grain. Le bon magistrat
rêva un instant. Mes amis, dit-il, ce que vous désirez
" paroit convenable; mais ce que demande Monsieur,
" paroît juste. Il faut donc bien nous consulter. Voulez-
" vous que nous fassions deux choses? D'abord je choi-
" sirai quelques-uns d'entre vous, pour délibérer avec
" moi; car j'ai remarqué que moins de gens parlent,
"plus de choses sont dites. Ensuite ceux que j'aurai
,, choisis, s'asseoieront ici avec moi, ainsi, que le mar
", chand et le fermier; car j'ai toujours vu que ceux qui
,, disputent debout, écoutent mal et s'emportent facile-
"ment. Tout le monde applaudit. On apporta des
siéges; le maire appela ceux qui devoient conférer avec
lui; j'observai qu'il les choisissoit tous parmi les plus ani-
més; il eut encore le soin de prendre des hommes qui
étoient d'une profession différente, comme je l'appris
bientôt de mes voisins. Tout le monde se rangea, en si-
lence, autour d'eux ; et voici la conversation que j'en-
tendis alors.

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Le maire. Parlez, Messieurs. Un boulanger. --- Si tout le grain sort du le marché ne sera point pays, garni; il faudra que j'aille chercher mes farines plus loin; elles s'échaufferont : mon pain né vaudra rien, Un meunier. et il sera plus cher. Si le fermier vend son grain à des étrangers, je ne pourrai pás le moudre, etje ne gagnerai rien. --- Un aubergiste. --- Si le pain manque, et s'il n'est pas bon, les voyageurs ne descendront plus chez moi. --- Un maçon, un charpentier, un tailleur, un maréchal. Si le pain est trop cher, il faudra augmenter les journées des ouvriers, ou bien ils s'en iront. Deux ouvriers. --- Nous ne mangeons que du pain, nous voulons être sûrs d'en avoir, et à bon marché. Plusieurs journaliers. ---Sans doute il nous faut du pain à deux sols la livre Le maire. Messieurs, vos raisons me frappent et m'embarrassent... Il faudroit donc ordonner au fermier

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de garder son grain, et au marchand de se retirer! Cela est dur............ Au surplus, nous ne risquons rien de les entendre, et je suis curieux, moi, de savoir ce qu'on peut répondre à des choses si fortes. --- Tous les assistans, et moi aussi, et moi aussi. Ecoutons-les.---Le fermier. -- Je n'ai rien à dire, sinon que vous me ruinez entièrement. J'ai vendu mon grain pour deux mille écus. Or, voici ce que je comptois faire de cette somme. J'en donne moitié pour mes fermages, dont je dois un terme. Une partie est pour ma cotte d'impositions, une autre pour mes dettes. Vous, monsieur le maçon et monsieur le charpentier, demain je vous paie les réparations de mon écurie et de ma grange; et à vous, monsieur le tailleur, l'habillement de ma famille. Enfin je destinois le reste à faire un défrichement où je comptois mettre une douzaine de journaliers du pays. Vous rompez mon marché ; vous me ruinez; à la bonneheure, je garderai mon grain. Mais vous, messieurs vous payera, qui pourra; et vous, mes enfans, vous fera travailler qui voudra. (Il se fit un silence ; ceux à qui il avoit parlé, se regardèrent tout interdits.) --- Un des assistans. --- C'est égal; nous aurons le pain à deux sols. --- Plusieurs voix. --- Oui, oui, c'est égal. Le fermier. Hélas, mes amis, pas si égal que vous croyez ! Si vous ne me laissez pas vendre ce que vous ne consommez pas, il faudra, ou que je le perde, ou que je le donne à vil prix. Alors je n'ai plus de bénéfice; et cependant comment élèverai -je ma famille? Comment supporterai-je les grêles et les mauvaises années? Direz-vous encore que cela vous est égal? Il s'en faut bien, mes amis; car, si je ne vends pas mon grain à bon marché, je serai forcé d'en vendre une plus grande quantité: et peut-être ne pourrai-je pas même en garder pour mes semailles, ou du moins je n'aurai pas de quoi payer les dépenses de culture de mes terres. Je ne récolterai donc rien l'année prochaiue. Et vous, pour m'avoir empêché de vendre, Vous ne trouverez plus rien à acheter! Pour avoir voulu le pain à trop bon marché, vous n'en aurez plus du tout. (Ce discours sembloit inquiéter, et faisoit même murmurer l'assemblée; mais

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