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des pieds. Les soldats turcs sont très-mal disciplinės et très-peu obéissans. Aussi, dans la plupart des guerres soutenues par la Turquie, a-t-on vu ses armées défaites ou dispersées promptement. Le premier corps de ces milices si insurbordonnées, se nomme les Janissaires. Ils servent à la garde des Sultans qu'ils ont déposés ou même étranglés plus d'une fois. Les Sultans, à leur tour, déposent ou font étrangler, sans forme de procès, leurs ministres, leurs bachas. Toutes ces violences, contraires aux principes de la justice, ont fait regarder, avec raison, le gouvernement Turc comme le gouvernement le plus despotique, le plus arbitraire de l'Europe.

Décret du 29 septembre 1790.

L'assemblée nationale, après avoir consulté les villes commerçantes du royaume, et après de longues discussions, a décrété, pour le remboursement d'une partie considérable des dettes de l'Etat, huit cents millions d'assignats-monnaie, qui, joints aux quatre cents milions déja décrétés, feront douze cents millions. Ce décret porte aussi que l'on ne mettra jamais une somme plus forte d'assignats-monnoie en circulation, et que les assignats seront brûlés, à mesure qu'ils rentreront dans la caisse de l'extraordinaire, créée pour la vente des biens nationaux, et la liquidation de la dette.

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LETTRE d'un jeune Fermier à son frère, citoyen de Magency, village près Paris, sur le nouveau décret des assignats.

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MON CHER FRÈRE,

Je suis venu à Paris, pour voir l'assemblée nationale, comme tu le sais. Je ne pouvois prendre un meilleur moment. Notre bon député m'a conduit lui-même à plusieurs séances. C'est là que j'ai entendu discuter et décider la grande question des nouveaux assignats. En vérité, je n'ai pas perdu une parole, ou du moias un raisonnement, et je puis dire que je connois à présent un assignat tout aussi bien qu'une gerbe ou une charrue. Dans notre village, nous avons cru faire preuve de patriotisme, en payant l'impôt en assignats, et la contribution patriotique en argent. Aujourd'hui que j'ai une véritable idée des assignats, je ne les distinguerois pas des plus beaux écus ni des plus beaux louis. Car l'un vaut l'autre. Cependant, tu aurois été bien surpris, si tu avois entendu, comme moi, les ennemis de la révolution jeter feu et flamme contre ces assignats. Ils disoient que ce papier-monnoie feroit fuir l'argent; et en même-temps ils convenoient que l'argent avoit fui avant qu'il y eût des assignats. Ils disoient que de nouveaux assignats feroient hausser le prix des denrées, et ils convenoient que le prix des denrées n'avoient pas changé de prix, malgré quatre cents millions d'assignats circulant déja dans le public. Ils di soient qu'il seroit horrible de faire, à la face de l'Europe, une banqueroute scandaleuse; et en mêmetemps, ils convenoient que la situation présente et les retards de paiement qu'elle nécessite, sont une banqueroute journalière. Enfin ils disoient que le peuple ne recevroit jamais de bon cœur les assignats mouveaux ; ét en même temps, ils convenoient que le peuple s'attroupoit de toute part pour les demander. Notre dé

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puté m'a dit que ces contradictions, si l'on en exceptoit quelques-unes qui étoient de bonne foi, venoient de ce que l'on vouloit en même-temps montrer de bons principes et cacher de mauvaises intentions. Les gens, attachés à l'ancien gouvernement, vouloient faire échouér une mesure nécessaire pour établir le nouveau. Les personnes qui font le vil métier de l'agiotage, craignoient un papier qui alloit faire baisser d'autres papiers dont ils sont abondamment pourvus. Mais les plus grands ennemis des assignats, c'étoient les prêtres et les evêques aristocrates, qui voyoient fort bien que la vente des domaines nationaux alloit s'avancer par-là. L'église se flattoit toujours de retarder cette vente jusqu'au jour, du jugement dernier. Les artifices et les clameurs n'ont pas empêché l'assemblée nationale de voir clair dans cette affaire, et de décréter que l'on ajouteroit aux quatre cents millions d'assignats qui circulent comme monnoie, huit cents millions nouveaux qui circuleront de même, jusqu'à ce qu'ils soient réalisés en terres.

Cette somme est bien considérable, mais elle a une hypothèque plus considérable encore: ce sont des propriétés immenses que l'on estime, à vue d'œil, deux milliards au moins. Chaque assignat représente une portion de ces biens: un champ, un pré, une vigne, une maison: quiconque possède un assignat, possède la monnoie, et, pour ainsi dire, le contrat de cette portion territoriale qui en répond. Quand tu marches sur le terrein d'une abbaye, tu marches sur l'hypothèque de ton assignat; c'est comme si tu avois un mandat sur ma récolte de l'année prochaine, ou sur le bled qui est dans mes greniers. Enfin veux-tu avoir une idée plus nette de ce papierterritorial, de ce papier-arpent, de ce papier-abbaye, la voici. Figure-toi que l'ancien seigneur de notre village, qui nous doit beaucoup d'argent à nous tous, et qui n'en a guère, vient de rentrer dans la possession des terres que ses intendans lui ont escroqués. Riche alors en terres nouvelles, mais ne pouvant trouver tout de suite à les vendre, il nous dit : Je suis votre débiteur, je n'ai pas de quoi vous rembourser, ni de quoi vous payer les intérêts de la dette: je ne

puis morceler mes terres, et m'acquitter ainsi par morceaux: ón m'annonce des acquéreurs qui, dans un an, acheteront ces terres : elles passent pour valoir cent mille écus. Je vais vous donner des billets pour cinquante mille écus, divisés en différentes sommes. Ces billets peuvent vous servir pour acheter voúsmême en commun la moitié de ces terres et vous les partager; ou bien ils seront échangés en argent, à mesure que je recevrai le prix de la vente. Mais comme d'ici là vous perdriez l'intérêt de votre créance, et comme c'est de mes fermes que vous achetez les grains, les fourrages, les légumes, les bois qui vous sont nécessaires, je vais ordonner à mes fermiers de recevoir vos billets comme argent comptant. Voilà pourquoi je les divise en petites sommes. De petites sommes en argent vous serviroient à l'achat des denrées dont vous faites le commerce: de petites sommes de papier vous procureront ces mêmes denrées au taux courant, et vous aurez en eux une monnoie aussi courante et plus commode, puisque vous tirez de moi toutes vos fournitures. C'est là, mon cher frère, la véritable peinture de l'assignat, donné par la nation aux créanciers de la nation, aux stipendiés de la nation, à tous ceux enfin qui achètent et dépendent de cette nation. Rien n'étoit plus nécessaire à l'Etat. Par-là, il s'acquitte d'une dette désastreuse; par-là, il s'affranchit d'un intérêt exorbitant; par-là, il se dispense d'ajouter à la masse des impôrs une surcharge nouvelle ; par-là, il fournit aux villes et aux villages une monnoie, numéraire qui va faciliter la substance des ouvriers ét le travail de la culture; par-là, il déconcerte, il déjoue tous les complots des mécontens qui voudroient renverser la constitution en renversant la fortune publique; par-là, enfin, il réussit à mettre en vente et en circulation cette quantité immense de biens que le clergé s'étoit appropriés,, qu'il enlevoit au commerce, qu'il mendioit de la faveur des cours, qu'il employoit pour ses plaisirs ou pour ses parens et non pour les pauvres ni pour les églises, qu'il n'avoit donc pas le droit de retenir, et auxquels on supplée par

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des émolumens proportionnés et des salaires honorables. Si donc, quelque prêtre excommunie les assignats, sois sûr qu'il regrette son abbaye ; si quelqu'ancien noble fait la guerre aux assignats, sois sûr qu'il regrette ses droits féodaux; si quelque magistrat plaide contre les assignats, sois sûr qu'il regrette son parlement; si quelque financier fait semblant de craindre les assignats, sois sûr qu'il ne craint que pour ses papiers ou sa banque; enfin si l'on étourdit tes oreilles du mot de papier-monnoie, regarde autour de toi la campagne, et dis comme cet avare qui, ayant chez lui une bonne cassette remplie d'or, et regardant une belle maison, disois j'ai cette maison en petit dans ma cassette. Adieu mon cher frère.

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J'ajoute encore un mot. Tu entendras peut-être parler d'un papier, fabriqué au commencement de ce siècle, par un charlatan écossois, nommé Law, et qui produisit une banqueroute épouvantable. On osera le dire, à toi, qui ignores les papiers et les affaires, que les assignats sont la même chose que ce papier pestiféré de Law. Tu peux répondre, que les plus habiles gens de ce pays ont dit et démontré, que le papier de Law étoit un papier forgé en cachette et au gré des ministres qu'il étoit hypothéqué sur des revenus déja mangés, et sur une prétendue compagnie qui devoit faire le commerce de Mississipi, à deux mille lieues de la France ; que les courtisans s'emparèrent de ce beau papier en remplirent leurs poches; en un mot, que ce papier étoit le contrat de la fraude et de la tyrannie. Le papier-assignat, tout au contraire, ne pourra jamais passer la mesure prescrite par l'assemblée, ni l'hypothèque assignée pour lui; cette hypothèque n'est pas au Mississipi, ni en l'air: elle est en excellente terre, et pour ainsi dire à nos pieds; les ministres les courtisans, les rois n'y peuvent prendre un sol ni ajouter un diard; et l'assignat doit être considéré, chéri, comme LA VÉRITABLE MONNOIE DE LA CONSTITUTION Pour t'en convaincre mieux, je joins ici un papier qui vaut un assignat; c'est un catéchisme

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