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pour les pupilles, pour les mineurs, pour les gens interdits, pour les femmes mariées, pour la nation, pour la commune, c'est-à-dire, pour tous les foibles et les absens qui pourroient être, auprès des tribunaux, sans appuis et sans défenseurs.

Ainsi, vous pourrez espérer que la justice vous sera promptement et exactement rendue. Les tribunaux sont établis presque par-tout. L'ordre va renaître et avec lui la confiance. Goûtez donc la sécurité qui naît de la certitude d'avoir de bonnes lois. Respectez-les surtout; c'est au respect pour les lois que l'on reconnoît l'homme libre et le bon citoyen,

Nous vous donnerons un article détaillé sur le juge de paix et sur ses fonctions: institution précieuse aux campagnes, pour qui particulièrement elle a été faite.

Nous vous parlerons aussi de la cour de cassation, et de la haute cour nationale, lorsque vos représentans l'auront organisée.

Quatrième lettre de Félicie à Marianne.

Ce 25 Novembre 1790.

Je suis charmée que ma chère Marianne ait été contente de mes réflexions sur le bonheur de la vie champêtre tu conviens bien que jamais les villageois n'ont éprouvé cet affreux état que je t'ai dépeint, et qui est causé par l'ennui; mais tu ajoutes que cependant les paysans peuvent, dans certains cas, s'ennuyer à mourir, et que tu en as été la preuve. Tu veux parler de la maladie du pays. Je me souviens très-bien que deux ans avant ton mariage. désirant te garder toujours avec moi, je t'emmenai à Paris, et que peu de temps après, je vis ma pauvre petite Marianne, changer, maigrir, perdre ses brillantes couleurs, et tomber dans une tristesse que rien ne pouvoit dissiper te rappelles - tu notre entretion sur ce sujet, lorsqu'enfin je t'interrogeai, et qu'il fallut m'avouer la vérité? Pour moi je n'oublîrai jamais cette scène touchante ! Je crois te voir encore, partagée entre le

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desir d'embrasser tes parens, et le chagriu de me quitter; craignant de me fâcher, ne pouvant feindre, et n'osant me confier son secret; pleurant, et répétant sans cesse: JE SUIS BIEN HEUREUSE ICI! . . . . Mais MA MÈRE, MON PÈRE, ET MON PETIT FRÈRE CHARLOT!... C'est sur-tout de ce moment que j'ai pris pout toi cette tendre amitié que je te conserverai toujours. Tu voyois Paris pour la première fois; tu te trouvois dans une bonne maison, dont tu connoissois depuis longtemps les maîtres et les domestiques, chacun t'y traitoit avec amitié, on te combloit de présens; on t'envoyoit souvent aux promenades; tu étois bien logée, bien nourrie, bien mise: tu menois la vie la plus douce: au milieu de tout cela, tu n'avois qu'un desir: celui de retourner dans ta petite chaumière; et pour te retrouver au sein de ta famille, tu renonçois sans balancer à tant d'avantages en te consacrant de nouveau à tous les travaux pénibles de ton premier état. As-tu bien réfléchi à ce dessein, te disois-je? Quand il faudra faire le pain, tirer des seaux d'eau, travailler à la vigne, conduire des brouettes; ne regretteras-tu pas Paris? OH NON, répondois-tu : JE TRAVAILLERAI POUR MON PÈRE ET MA mère, cela ne m'a jaMAIS FATIGUE E. Ne compare donc point l'ennui produit par la maladie du pays; avec cet ennui mortel dont je t'ai fait la peinture: celui-ci vient d'un horrible endurcissement du cœur ; l'autre vient d'une excessive sensibilité. Le paysan qui a quitté sa chaumière, ne peut s'amuser à Paris, parce qu'il préfère sa famille et la vie champêtre, à tous les vains plaisirs des villes. Au milieu de toute notre pompe et de notre dissipation, il regrette la nature que rien ne lui retrace, et qui peut seule offrir et donner les vrais biens. Il languit, il dépérit, il a besoin de respirer l'air natal air si pur, si salutaire, quand c'est celui de ta campagne car les gens qui sont nés dans les villes, n'ont jamais LA MALADIE DU PAYS: transportez-les dans une autre ville, aussi belle que la leur, ils oublieront bientôt le lieu de leur naissance, ou du moins ils y penseront sans attendrissement. L'ombre et la fraîcheur des bois; une jolie cabane, des ruisseaux, des prairies,

laissent de doux souvenirs; mais des rues, de la boue, des.murailles, le contraste affreux de la misère et d'un luxe insolent, ne peuvent rappeler que des idées tristes et douloureuses. Enfin LA MALADIE DU PAYS est causée par les regrets les plus purs, par les plus tendres sentimens; elle n'est connue que des habitans des campagnes; on en guérit en retournant dans son hameau; en se retrouvant dans les bras de ses parens. L'ennui des gens riches qu'ils nomment SPLEN ou CONSOMPTION, est une maladie produite par le déssèchement de l'ame, qui ne peut plus ni se repaître d'illusions, ni goûter les vrais biens cette maladie est incurable; elle n'attaque que les cœurs orgueilleux et insensibles, et n'est connue que dans les villes. Bénis ton sort, ma chèrè Marianne, bénis ta douce condition: je t'en fais souvent l'éloge; c'est que tout ce que je vois sans cesse 1 me l'a fait chaque jour envier davantage.

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Evénemens.

CONSTANTINOPLE. Le grand feigneur, où ce qui eft la même chofe, le grand defpote, vient de faire publier que tout Mufulman qui ofera parler de paix avee la Ruffie, fera empâlé. Le Muphti; ou le chef du clergé ottoman, 'a donné un fetfa ou un mandement, par lequel il excite à la guerre tous les croyans de Mahomet. Les jauniffaires, ou les principaux foldats Turcs, défertent néanmoins l'armée. Ils font courageux, ils font fuperstitieux, mais ils font indociles et feroces. La Turquie, mal gouvernée, mål défendue, feroit bientôt conquife fi elle étoit bien attaquée. La difcipline et les bonnes lois peuvent feules rendre un peuple invincible.

ANVERS. Cette ville, la feconde ville du Brabant, perfifte à rejetter les conditions que l'empereur a offertes aux Brabançons. Si les autres villes de cette province perfévèrent à demeurer indépendantes, fi elles font difpofées à tout faire et à tout facrifier pour être libres, on ne pourra les foumettre qu'en les maffacrant, et le vainqueur impitoyable ne régneroit alors que fur des déferts.

LIEGE. La municipalité liégeoife vient d'écrire à l'Affemblée nationale, pour la prier de lui faire connaître, parmi les factieux du régiment Royal-Liégeois, ceux qui feroient véritablement natifs de Liège, afin de les bannir pour jamais d'un pays que leur révolte déshonore.

BRUXELLES. Quatre carmelites Brabançonnes, faisant semblant de craindre pour la religion, étoient parties pour l'Amerique fous prétexte d'y aller établir un couvent de leur ordre. Mais à peine ontelles été embarquées fur leur vaiffeau, qu'elles ont époufé quatre moines qui les fuivoient. La nature eft plus forte que la règle mo

naftique, et la vocation au mariage eft plus ancienne que la vocation

au célibat.

MORMANT. M. de Béthisy, ayant refufé le commandement de la garde nationale de cette ville, madame de Moulins, fa tante sexagénaire, a demandé cette place pour un autre de fes neveux. Comme celui-ci n'étoit pas fur les lieux, en attendant, on a prié sa tante de tenir elle-même fa place. Elle a donc arboré la cocarde nationale, et armée d'un fabre, elle eft venue remercier fes foldats, autrefois fes vaffeaux, et leur a donné une fête fuperbe où la joie et la décence ont démontré que le patriotisme fait réunir tous les fentimens et tous les âges.

CONFOLENS. Voici un trait qui montre encore mieux le courage et le patriotisme dont font capables des femmes vertueufes. Les religieufes de Sainte-Claire de Confolens, ayant appris que ce diftrict avoit beaucoup, de pauvres et de malades, ont ouvert leur cloître à ce monde indigent, et fe font offertes en même-temps, malgré leur âge, d'aller dans les hôpitaux du diftrict foigner de toutes leurs forces les malades, et partager cet emploi charitable et fublime avec les sœurs hospitalières qui ne peuvent y fuffire. Voilà un véritable dévouement évangélique. Moine fainéans, apprenez le travail ! Evêques faftueux, apprenez la charité ! bons Curés de nos hameaux, recommandez au ciel de bonnes religieufes qui fervent le ciel en fervant les malheureux !

ANGOULÊME. Le département de la Charente vient d'adresser à tous les peuples de l'Europe un manifefte, où après avoir juré un pacte de fraternité à toutes les nations, ils jurent de punir, d'exterminer la première qui violera ce pacte fraternel en attaquant la France.

LIMOGES. Une lettre circulaire eft partie de cette ville pour exhorter de même tous les peuples à une amitié et à une paix univerfelle. C'étoit le vœu de Fenelon. C'etoit le plan de l'abbé de SaintPierre. C'étoit la paffion de Jean-Jacques Rouffeau. C'est une des propofitions de l'affemblée nationale. C'eft avant tout la loi du Chrift, loi que les papes et les princes n'ont ceffé d'enfreindre, loi que les primitifs, ou les quakers, ont feuls obfervée jufqu'à prefent, dans cette Philadelphie, dont le nom fignifie, la ville fraternelle, et qui par-là mérite mieux que Rome, d'être la capitale du monde.

LYON. Tandis que les bons citoyens travaillent avec ardeur à pacifier la terre, de mauvais chanoines et d'indignes prélats se tourmentent pour allumer en France une guerre religieufe. Les ci-devant comtes de Lyon, dont l'orgueil etoit paffé en proverbe, et dont la piété ne paffoit pas pour modèle, viennent de publier une proteftation rebelle et scandaleufe contre le décret qui a réformé le clergé. Ces chanoines ont réfifte autrefois aux papes. Ils ont refifté en tout temps à leurs archevêques. Ils ont réfifté a nos rois qu'ils avoient la vanité de compter parmi leurs chanoines. Ils réfiftent aujourd'hui à l'affemblée nationale et au peuple françois. Que fera la première? Elle retiendra leur falaire qu'aflurement ils ne gagnent pas. Et que fera le fecond? Il meprifera des fanfarons d'eglife, qui tiennent plus à leurs croix d'or qu'à la patrie.

PARIS. Trente-trois maisons ont été adjugées et vendues : elles étoient évaluées 792,288 livres; on les a payées 1,307,288.' Si tous les autres domaines nationaux attirent, felon que cela eft vraisemblable, autant d'acheteurs, les biens de l'église feront le falut ou le pérou de la France.

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L'hôtel de Caftries a éprouvé un autre fort. M. de Caftries fils du maréchal de ce nom, s'étoit battu en duel contre M. Charles de Lameth, député comme lui à l'affemblée nationale. Tous deux manquoient à la loi : mais M. de Caftries étoit l'agreffeur; et M. Charles de Lameth étoit provoqué et il avoit reçu une bleffure. Cette bleffure ayant alarmé les patriotes dont M. Charles Lameth eft infiniment chéri, et un bruit s'étant répandu que l'aristocratie avoit formé le deffein d'exterminer par le duel tous les membres de l'affemblée nationale qui soutiennent les intėrêts du peuple, celui-ci, confultant la vengeance, écoutant l'inquiétude, s'eft porté à l'hôtel de Caftries, et en moins d'une demi-heure, glaces, tapifferies, marbres, tableaux, meubles : affignats même, tout a été mis en pièces et jeté par les fenêtres. Si nos villageois nous demandent ce qu'il faut penser d'une telle expédition, nous leur répondrons que tout bien, ainfi perdu, reffemble à une récolte que la rivière emporte; que tout châtiment infligé fans la participation de la loi, eft un brigandage; que toute maison violée par le public, eft un attentat contre la sûreté, contre la liberté, contre la juftice. Si cependant ceux qui ont une maison à défendre, permettent qu'en plaignant celle qui a été affaillie on excufe les affaillans: nous dirons, 1°. que le parti arifto cratique, depuis plufieurs femaines, menaçoit lui-même de tout renverfer; 2°. qu'au milieu de la furic populaire, aucun bijou précieux, aucun fac d'argent, aucun papier-affignat n'a excité la cupidité de personne, et que fi les mains ont été violentes et coupables, elles n'ont pas été avides ni infidelles; 3°. que l'ordre régnoit tellement dans ce défordre, qu'un portrait du roi ayant frappé tous les yeux, chacun l'a refpecté, et qu'on n'a pas même eu besoin d'une garde ou d'une parole pour défendre l'image d'un monarque vertueux; 4°. que l'appartement du maréchal de Caftries, homme eftimé auffi pour les vertus et recommandé pour fes fervices, a été intacte, et que l'impétuofité s'eft arrêtée elle-même à la porte de l'innocence. Il n'a manqué, à cette réserve de la fureur, que d'avoir épargné des tableaux précieux peints par le fameux Vernet.` Dans une invafion femblable, un conquérant célèbre ne permit pas à fon armée de toucher à la maifon d'un grand artifte : nous dépouillons les barbares, s'écria-t-il; ne le foyons pas faifons la guerre aux rebelles et non aux arts, les bienfaiteurs du monde. Puiffe la vengeance exercée par le peuple de Paris être la dernière ! puiffe-t-elle éclairer les ennemis et les amis de la conftitution! puiffe-t-elle terminer les complots impuiffans de l'ariftocratie et les défordres terribles auxquels la liberté s'abandonne trop aisement!

Le mouvement défordonné de Paris s'eft communiqué à l'affemblée nationale, et y a produit une violente altercation. Ce débat

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