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preux invincibles, les tint dans le respect; qui assiégé d'ambitieux prélats, les réduisit à la modération et même à l'obéissance, qui maître absolu d'un peuple abattu et avili par l'ignorance, le releva par le secours des lois et par l'établissement des écoles. Ce fut enfin ce Charle-Magne, qui dans le même temps qu'il chassoit les Sarrazins, protégeoit les papes, rassembloit les états généraux, couronnoit les Troubadours, ou les premiers poètes de ce temps-là, maria bonnement sa fille à un simple sécrétaire qu'elle aimoit, et faisoit vendre au marché les légumes de ses jardins, les œufs de sa bassecour, et les ouvrages fabriqués de ses propres mains.

A peine fut-il expiré que la grandeur françoise succomba avec lui. Les évêques prirent toute l'autorité et toutes les richesses. Les grands usurpèrent les honneurs, les emplois et les provinces. Les rois ne furent plus que les premiers seigneurs suzerains, et les peuples ne furent plus que des vassaux enchaînés, et des esclaves abrutis.

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La troisième race des rois françois, la race Capétienne vint adoucir le joug féodal, mais ne put le briser de sitôt. Il fallut d'abord affranchir les communes, ensuite dompter les seigneurs, ensuite établir les municipalités, ensuite appeler le tiers - état, aux assemblées nationales, ensuite délier la religion gallicane des chaînes terribles de Romé, ensuite récuperer par héritage, ou par conquête les provinces détachées de la France; renverser, conserver la tyrannie féodale ou aristocrate par le despotisme royal ou mi

nistériel.

Louis XI avança cet ouvrage. Le cardinal de Richelieu le consomma. Louis XIV l'embellit par les arts et la gloire. Mais il ruina le royaume en l'illustrant et en l'agrandissant. L'éclat de la royauté et celui de la littérature cachoient les plaies et couvroient les ruines de la nation françoise.

Elle a ressent enfin qu'il falloit, ou périr, ou renaître. De grandes lumières, d'heureuses circonstances ont favorisé la révolution. Elle est complette. Elle a été même exempte de ces guerres civiles qui ont açcompagné et ensanglanté la délivrance des autres peu

ples. Nobles, prêtres, magistrats, financiers, ministres, provinces, capitales, hameaux, tout a changé de face. Les citoyens sont devenus égaux : les administrateurs sont élus librement, l'habitant des villes et l'habitant des campagnes ont reçu en même-temps des armes et des lois; des armes pour défendre les lois, des lois pour commander et discipliner les armes. Car la liberté consiste dans les deux forces combinées des armes et des lois. Le sauvage qui n'a que des armes est un homme libre mais entouré de brigands, et prêt à le devenir lui-même. En un mot, on peut définir l'homme libre, celui qui est armé et désarmé par la loi.

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C'est l'objet de la constitution françoise. C'est par-là que le nouveau gouvernement doit effacer jusqu'à la mémoire de l'ancien. Si cependant il existoit dans les villages quelque citoyen crédule, à qui l'on eût persuadé que l'ordre détruit valoit mieux que l'ordre établi, une simple comparaison de l'un et de l'autre suffira pour le détromper.

La France, considérée sous le rapport de la religion, présentoit des évêques opulens, mais désœuvrés, mais presque inutiles, et des pasteurs utiles, laborieux, et cependant réduits à l'indigence. Cette hiérarchie vicieuse', monstrueuse est corrigée. Les prélats sont forcés d'être citoyens, et les curés ont la faculté de soulager les pauvres au lieu de l'être eux-mêmes.

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La France, considérée sous le rapport militaire, présentoit dans son armée, un instrument de servitude, un peuple de bayonnettes. Elle a aujourd'hui plusieurs millions de soldats qui sont sujets de la discipline et gardes, de la liberté, et qui prêts à repousser l'ennemi ou le désordre, obéissent au roi qui est leur chef, à la loi qui est leur frein, à la nation qui est leur souveraine.

La France, considérée sous le rapport des hommes, offroit parmi eux une classe de demi- dieux et une multitude de demi- brutes. La noblesse nourrissoit d'orgueil les premiers. La roture écrasoit d'ignominie les seconds. Le mot ambitieux de noble est presque un mot proscrit de la langue, et le mot abominable,

de roturier est un mot qu'il faut conserver dans le souvenir pour abhorrer l'insolence et redouter la bassesse.

La France, considérée sous le rapport des arts, des livres, du commerce, de l'agriculture, présentoit un tas de monopoles destructifs, une foule d'entraves accablantes, la féodalité et ses tyrans, le fisc et ses harpies, le despotisme et ses satellites, la sottise et ses censeurs. Mais à présent il n'existe de bornes que celles de la propriété, de censure que celle de la loi, de gêne que celle qui est nécessaire contre la licence et la fraude, de réglemens que ceux qui favorisent le travail et maintiennent l'ordre, enfin de monopoles que celui que le talent supérieur et la confiance publique accordent librement aux grands artistes.

La France, considérée sous le rapport des contributions, offroit des riches exempts et des pauvres surtaxés, des campagnes épuisées, des manufactures dér pouillées, des intendans-oppresseurs, des subdéléguésdespotes, des receveurs - ministres, des exacteursbourreaux. Plusieurs provinces étoient si bien ou si mal imposées, qu'elles payoient dix-huit sols sur vingt sols du revenu net de leur territoire, et ce qui mettoit le comble aux abus, tandis que les peuples étoient réduits à la mendicité, le trésor public étoit réduit à l'aumône, à la banqueroute. Aujourd'hui la contribution est également répartie, c'est-à-dire, proportionnée aux revenus elle embrasse toutes les propriétés et n'en étouffe aucune; elle sera assise dans la plus parfaite impartialité; elle sera perçue avec la plus constante justice; elle sera employée au gré, au profit et au su de tout le monde. En un mot chacun contribuera pour sa part, et chacun recueillera pour son intérêt, ce. qu'il doit et ce qui lui revient. Un écu sorti d'une poche par l'impôt, y rentrera doublé, triplé, quadruplé par la circulation et le travail.

Considérée enfin sous le rapport administratif, la France étoit un cahos, un labyrinthe, partagé en pays d'états, en pays d'élection, en provinces conquises, en provinces étrangères, en gouvernemens de trente espèces, en parlemens d'un ressort exorbitant

et d'une autorité indéterminée, en autorités qui se combattoient, en privilèges qui se dévoroient, en jurisdictions, en barrières, en limites, en mesures, en monnoies même inégales, confuses, désordonnées. Tout cela sembloit irréformable, tout cela est réformé ou va l'être. On n'aura qu'une seule monnoie et une seule mesure. Toutes les barrières sont reculées, sont renvoyées aux extrémités et aux frontières du royaume. La justice sera voisine des justiciables. La magistrature ne sera plus vénale. Les tribunaux seront divisés selon les causes; et les juges bornés à juger. A la hiérarchie terrible des gouverneurs, des commandans, des intendans, des subdélégues, succède la hiérarchie salutaire des départemens, des districts, des directoires, des municipalités. La France ne forme plus qu'un seul état, un seul territoire, un seul tout, gouverné d'après les mêmes principes et les mêmes lois, par le roi, chef suprême de la nation; imposé et réglé par l'assemblée législative, représentante souveraine de la nation ; administré et surveillé par des corps municipaux, et des magistrats civiques, élus au nom et par l'autorité de la nation. Ainsi l'autorité monte de la nation aux législateurs, au monarque, et descend par eux aux administrateurs et aux juges; ainsi quatre-vingt-trois départemens partagent cette vaste et superbe monarchie en quatre-vingt-trois portions de territoire et d'administration, mesurées et unies, divisées et semblables, inébranlables dans leur centre, et inattaquables dans leur circonférence.

Quel est le François qui ne doive aimer un ordre si solide et si heureux ? quel est le François qui ne doive contribuer à rendre cet ordre plus heureux et plus solide encore? quel est le François, citadin ou villageois, qui ne doive étudier selon sa capacité ou expliquer selon sa lumière, toutes les parties de cette organisation, de cette constitution immortelle ? voilà ce qui nous a inspiré notre Feuille. Voilà ce qui anime notre zèle. Voilà ce qui nous fait préférer de donner sur chaque objet un précis instructif au lieu d'éparpiller en détail des décrets qui, appris sans liaison, seroient lus sans utilité, et oubliés aussitôt qu'appris.

Sur les Tribunaux de justice.

Les habitans de la campagne, nos bons amis, n'ont pas oublié les plaintes qu'ils faisoient depuis longtemps sur l'administration de la justice. Il falloit aller chercher le jugement d'un procès à cinquante ou à cent lieues de chez soi. Les frais, presque toujours plus considérables que ia chose contestée, entraînoient souvent la ruine de l'une et de l'autre partie. Une nuée de gens de robe s'enrichissoient aux dépens des pauvres plaideurs, et il n'y avoit point d'impôt aussi destructeur que celui qu'ils levoient sur les habitans du royaume. L'assemblée nationale ayant cru que tout étoit abusif dans l'ordre judiciaire et qu'on ne pouvoit en rien garder, sans conserver quelque abus, a décrété que l'organisation de l'ordre judiciaire seroit refaite en entier. Nous allons développer les principes qu'elle a adoptés, et l'ordre qu'elle a établi pour que le citoyen obtienne désormais une justice prompte, sûre, et en quelque manière à sa portée.

Avant que les hommes eussent établi des juges et des tribunaux, ils terminoient leurs différends à l'amiable, c'est-à-dire qu'ils nommoient des amis communs pour les arranger, ou pour les juger. Encore aujourd'hui les gens de bon sens, qui sont justes, qui aiment la paix, qui ne sont pas entêtés, prennent des arbitres pour juger leurs contestations. L'assemblée nationale a fait, en quelque manière, de cet usage une loi. Elle a défendu que les législatures suivantes pussent rien faire qui empêchât les citoyens de se faire juger par des arbitres. Elle a même ordonné que toutes les fois que deux hommes auront nommés des arbitres, s'ils ne se sont pas réservés la faculté de l'appel, aucun des deux ne pourra appeler de la sentence arbitrale. Ainsi les hommes sages et modérés pourront se faire juger sans frais et en peu de temps. Combien de procès seront épargnés par-là? et par conséquent combien de soucis et d'inquiétudes?

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Cependant, il ne faut pas espérer que les hommes soient assez sages pour s'en tenir à ce moyen. D'ailleurs, il y a beaucoup de contestations que l'on ne croiroit

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