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M. Etienne s'arrêta en cet endroit, et après avoir révé pendant quelques instans, il reprit en ces termes : Dimanche dernier mes amis, quand vous m'eûtes quitté, j'allai me promener dans les champs; je rencontrai deux habitans du village voisin, qui ayant mis la conversation sur les affaires publiques, me parurent singulièrement effrayés des impôts, sur ce qu'ils en avoient entendu dire au château d'où ils sortoient je les rassurai de mou mieux, en leur parlant, comme nous l'avions fai. le matin, de la nécessité des impôts et de la différence des anciennes et des nouvelles contributions. Ils s'obstinèrent; je les laissai mais en revenant au logis, je faisois à part moi, ces réflexions.

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La plupart d'entre nous regardent l'impôt comme une chose funeste : et cependant l'impôt est une chose utile pour nous. D'où vient cette contradiction? il y a ici quelque mal-entendu. Je vois d'abord dans l'impôt une marque sensible de l'égalité des citoyens. Car puisque personne ne paye en proportion plus que moi, personne ne peut se dire supérieur à moi. Mais l'impôt est aussi un signe de liberté. Car il dénote dans celui qui le paye une propriété quelconque, et il prouve par-là que cet homme ne peut être lui-même la propriété d'un maître. Pourquoi donc, nous qui aimons la liberté et l'égalité, avons-nous presque horreur de l'impôt ? Il nous coûte, dit-on, une partie de notre revenu; il nous emporte une partie de ce que nous gagnons: il nous ruine. Mais d'abord cela est-il vrai? Est-ce la faute de l'impôt lui-même ? Alors je repassai dans mon esprit toutes ces dépenses publiques, qui sont acquittées par l'impôt ; je reconnus que toutes servoient à m'éviter une foule de dépenses particulières qui m'auroient coûté beaucoup plus; je vis qu'il n'en est pas une qui ne concoure à augmenter la rente d'une terre ou le produit d'un métier : les armées, les ports de mer, les grands chemins, les tribunaux, les administrations, font valoir mon fonds, tout aussi bien que mes ustensiles de labour que je renouvellerai bientôt, ma grange que je viens de re

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bâtir, aussi bien que le fumier que j'achète tous les ans, et les chevaux que je nourris tous les jours. Je ne devrois donc point avoir de répugnance à avancer la somme de ces premières dépenses que celles des autres frais, puisqu'elle me rapporte au moins autant. Car l'IMPÔT N'EST QU'UNE PARTIE DE MON REVENU DE CETTE ANNE'E, QUE J'EPARGNE POUR AUGMENTER MON REVENU DE L'ANNE'E PROCHAINE : ce n'est donc pas un sacrifice, une perte que je fais; c'est une espèce de placement. C'est un argent que je prête au gouvernement qui me le rembourse en liberté, en sûreté, en encouragement, en services publics de toute espèce. Nommer cela une perte, c'est faire comme le Clergé, qui appeloit DON GRATUIT le peu d'argent qu'il payoit à l'Etat : chose ridicule ! Car un bon gouvernement rend toujours aux citoyens beaucoup plus qu'il n'en reçoit.

J'avois pris pour revenir le sentier de la montagne que vous connoissez. Je la descendois, rempli de ces idées, et voyant devant moi ces riches plaines, ces grosses fermes, ces nombreux villages qui nous entourent, et sur-tout le nôtre, si propre, si bien bâti, et si peuplé de braves gens; voilà que je m'avisai de penser à tout ce que cela deviendroit si tout-àcoup il n'y avoit plus d'impôts, et par conséquent plus de gouvernement. Des millions d'hommes ruinés et devenus des brigands vagabonds, les villes et les hameaux pillés et dévastés, la famine, l'esclavage et la mort, ce sont les premières images qui se présentèrent. Je frémis, et tout en arrivant à ma porte, je finis par conclure, qu'au lieu de nous effrayer, de nous lamenter, de nous gendarmer d'avance, au sujet de ce que nous aurons à payer, nous devions faire pour l'impôt comme fait tout homme raisonnable, et qui s'entend aux affaires ; qu'ainsi ce n'est pas l'argent que nous donnons, mais ce qu'on nous donne pour notre argent qu'il faut d'abord calculer. C'est de quoi, mes amis, je me suis occupé toute la semaine, et c'est aussi de quoi nous allons parler.

La France payera-t-elle autant, ou plus ou moins d'impôts? c'est ce qui n'est pas encore décidé; mais

d'abord les François ne peuvent distinguer si on leur demande trop aujourd'hui, sans se rappeler ce qu'on leur demandoit avant tout ceci. Pourquoi avons-nous une assemblée nationale? C'est parce que les revenus de la nation ne suffisant plus à ses dépenses, elle étoit ménacée de la ruine honteuse d'une infame banqueroute; c'est parce qu'il falloit des subsides, c'est-à-dire, un surcroît d'impôts. Mais quand la France, en s'épuisant de nouveau, seroit parvenue à combler cet énorme DEFICIT dont on nous a tant parlé ; il est certain que les abus, les profusions de la cour, une guerre (car la guerre est bien plus fréquente sous le régime despotique auroit bientôt renouvelé les besoins et accumulé nos charges. Ainsi, mes amis, partons d'abord de ces deux points. Il auroit fallu payer davantage, et ce surplus ne nous eût conduits qu'à la prochaine nécessité de payer encore plus.

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Maintenant supposons que la nation entière doit payer une somme égale aux anciennes contributions. Cette supposition n'est pas loin du vrai. Or, vous savez peut-être que notre assemblée nationale, par la seule réforme des abus, a retranché plus de soixante millions sur les dépenses anciennes, c'est-à-dire qu'elle fait faire une égale partie du service public avec environ un sixième de moins. Eh bien! n'estil pas naturel d'abord de croire que si elle nous demande encore ce sixième, c'est pour fournir à d'autres besoins, jusqu'ici négligés ou mal satisfaits. Ensuite, mes amis, réfléchissez-y bien; si avec la même somme, nous sommes mieux servis, il y a déjà quelque profit. Si même l'état, sans un plus grand revenu, acquitte EN GROS et pour nous tous, des frais que chacun de nous payoit en détail, l'avantage devient plus grand: et c'est ce qu'on peut dire, par exemple, de la plus grande partie des frais de justice, puisque la justice va nous être rendue gratuitement. Mais ne gagnonsnous pas encore, beaucoup, si l'état nous fournit aussi, sur ce même fonds, des administrations et des tribunaux, rapprochés de nous, créés pour nous, nommés par nous, des secours et des travaux pour nos pauvres,

des moyens d'instruction pour nous et nos enfans, tant d'autres avantages qui nous manquoient? Si donc, mes amis, nous retirons plus sans qu'on nous demande davantage, convenons que nous avons fait un bon marché; car enfin quand ma ménagère revient du marché, au lieu de la gronder d'avoir dépensé un écu de plus, je commence par regarder si la marchandise est bonne et s'il y en a beaucoup.

Mais voici un autre calcul. J'ai supposé que la nation entière payeroit une somme égale d'im-, pôts. Eh bien il me paroît certain que quand même la nation en général payeroit une plus forte somme, nous autres habitans de la campagne, nous en payerons une moindre. Car d'abord ce que nous coûtoient la dîme, les droits de chasse et de colombier, les péages, les bannalités et ceux des droits féodaux qu'on a supprimés sans rachat, tout cela nous reste en pur bénéfice. Ensuite on fait contribuer les privilégiés, on charge ces habitans des villes, qui ayant leur fortune en papier, trouvoient moyen de se soustraire aux impôts et comme tous ces gens acquitteront une grande partie des taxes, les nôtres doivent diminuer d'autant. Il faut bien aussi compter pour beaucoup la suppression de la gabelle, la moitié seule de son produit sera remplacée. Nous y gagnerons encore les frais énormes qu'elle coûtoit par la difficulté de la percevoir. Nous y gagnons l'affranchissement des gênes et des vexations qu'elle entraînoit. Nous y gagnons la facilité d'élever des bestiaux, et les engrais que ces bestiaux nous donneront. La gabelle supprimée est pour nous une charge de moins et un revenu de plus.

Ces raisonnemens sont simples. Mais en voici qui demandent plus d'attention suivez-moi et voyons si je saurai vous dire en une heure ce qu'il m'a fallu une semaine pour trouver. Il s'agit des facilités qu'un meilleur gouvernement nous donnera pour payer l'impôt.

J'avois cru jusqu'ici, et répété souvent avec vous, que c'étoit l'impot qui appauvrissoit et ruinoit le

*peuple. J'ai reconnu cette erreur. Car si cela étoit, les nations qui payent le plus d'impôts devroient être les moins riches; mais au contraire, c'est presque toujours chez les peuples les plus pauvres qu'il y a moins d'impôts. Les Anglois en proportion de leur nombre contribuent deux fois autant, et les Hollandois trois fois plus. Leurs campagnes cependant fleurissent dans une heureuse abondance; au lieu qu'une grande partie des Italiens, les Espagnols et les Turcs qui ne sont soumis qu'aux plus foibles taxes, croupissent dans la détresse et dans la servitude. Car les contributions d'un peuple sont un rempart de sa liberté, en même temps qu'ils en sont une preuve.

Voici donc, mes amis, comme j'explique ces exemples. Le gouvernement ne peut pas toujours diminuer les taxes du peuple; mais il peut et il doit toujours lui fournir les moyens de les acquitter sans peine.

N'est-il pas vrai que les deux ou même trois cents livres que payera mon champ cette année, me coûteront moins à donner, si mon champ me rapporte davantage? Et de même, les ouvriers et journaliers ne payeront-ils pas plus facilement l'impôt, s'ils ne manquent point de travail, et si le prix des Journées est meilleur ? Voilà pourtant les avantages que doit procurer le nouveau régime à la plupart des campagnes. Tant d'abus, tant de jouissances d'ambition et de vanité qui attiroient à Paris ou à la cour tous les riches propriétaires, n'existent plus. Ces gens-là demeureront toujours ou plus long-temps dans leurs terres. Tous les juges, tous les administrateurs, chefs et subalternes n'habitoient que la capitale et quelques grandes villes. Mais aujourd'hui les départemens, les districts, les tribunaux également distribués sur toute la surface de la France, placent au milieu de nous une foule d'hommes aisés; lesquels, consommant nos denrées en détail, nous les payeront mieux que le marchand qui les achetoit en gros, pour les aller revendre plus loin. Doutezvous que ces avantages ne vous rendent vos contributions plus légères ?

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