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dans toutes les conditions et tous les âges de la vie hamaine, une femme à qui l'éducation de l'enfance doit d'excellents préceptes et d'heureux exemples, Madame de Sillery, ci-devant comtesse de Genlis, veut bien se joindre aux trois précepteurs des Hameaux et concourir avec eux à l'éducation champêtre. Elle a conçu une idée qui embellit et complette ka nôtre. Touchée de voir que dans presque toutes les institutions publiques, on négligeoit l'instruction des femmes, considérant que celles de la campagne exercent les premières la raison ou la mémoire de nos enfans qu'elles allaitent, pénetrée enfin de l'importance d'enseigner des idées plus justes et une langue plus pure aux véritables nourrices du genre humain, elle se propose de donner sous la forme d'une correspondance épistolaire, un cours de morale et de grammaire pour les jeunes villageoises, mis à la portée de leur esprit, conforme aux intérêts de leur position, et animé de ces détails de sensibilité qui font respires, et le maître qui enseigne, et le disciple qui apprend. C'est notre Feuille qu'elle a choisi pour exécuter un si touchant projet.

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Chacun de nous, malgré le peu d'espace de cette Feuille, s'est bien vîte rangé pour lui faire une place, et nous croyons tous trois qu'elle sera la mieux remplie. On lira dans ce Numéro-ci la première lettre de FÉLICIE à MARIANNE.

Elle sert d'exposition et de début à sa correspondance. Elle sert aussi de nouvelle preuve que l'auteur possède le génie et le style le plus naturel. Nous prions MM. les curés de vouloir bien expliquer à leurs jeunes paroissiennes le dessein de Madame de Sillery et de leur faire sentir l'influence de la révolution qui détermine une femme célébre et des philosophes indépendans, à laisser là toutes les glorioles des cités pour s'occuper du bonheur et de l'instruction des campagnes. Elles n'attendoient sûre

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Première lettre de Félicie à Marianne.

De Paris, ce 24 octobre 1790

Je t'ai promis, ma chère Marianne, de t'écrire, régulièrement tous les huit jours, et je vois avec peine, par ta lettre datée de Montargis, que tu ne comptes guère sur mon exactitude: ( Tu ne saurois croire qu'une grande dame, comme moi, puisse écrire aussi souvent à une petite paysanne comme toi et puis tu crains que ta mauvaise écriture, et ton PEU DE GÉNIE, ne me REBUTENT BIENTÔT. Mais ne sais-tu pas, que maintenant il n'y a plus de fausse grandeur; plus de noblesse d'origine; plus de MARQUISES, de duchesses, de princesses, etc., et que nos sages loix nous prescrivent ce que la religion nous a toujours enseigné : de nous regarder tous comme des frères, comme les enfans d'un père commun, qui, ne peuvent se distinguer véritablement les uns des autres que par le mérite et l'humanité. Il n'y a rien de bas et de méprisable que le vice, et l'on ne doit des hommages et du respect qu'aux talens et à la vertu désormais les BONNES DAMES, seront les seules GRANDES DAMES. Ainsi donc, si Marianne est douce, honnête et sensible, Marianne vaut bien Félicie. Cependant comme je suis plus vieille que toi, et que j'ai plus d'expérience et d'instruction, tu me dois en effet du RESPECT, et moi je te dois des conseils, puisque je suis en état de t'en donner d'utiles, et que tu désires en recevoir.

La société humaine, ma chère Marianne, n'est fondée, que sur le besoin mutuel que les hommes ont les uns des autres : DONNER OU RECEVOIR avec

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sensibilité chercher, prévenir, consoler l'infortuné
qu'on peut secourir, et chérir ceux qui nous font du
bien, voilà nos devoirs et notre destinée : voilà du
moins pourquoi la providence a placé sur la terre des
riches et des pauvres; car Dieu n'a départi ses dons
avec tant d'inégalité, qu'afin que nous fussions tous
unis par les liens touchans des bienfaits et de la recon-
noissance. Ne crains donc plus, ma bonne Marianne
que tes lettres puissent m'ennuyer; elles me plaisent,
elles m'intéressent, et le temps NE ME MANQUERA JAMAIS
pour te répondre d'ailleurs élevée près de moi, tu
as reçu plus d'instruction, qu'on n'en peut avoir com-
munément dans ton état tu sais combien j'aimois à
causer avec toi, et avec quel plaisir, je te revoyois
tous les ans à ***; je ne t'y retrouverai plus! cepen-
dant la cause de ton départ me console de ton ab-
sence. Te voilà devenue une riche fermière; cet hé-
ritage de ton mari, t'a forcée de quitter ton village
et tes parens; mais tu dois désormais regarder le pays
de ton mari comme le tien. J'espère qu'un jour, j'irai
te voir dans ta nouvelle habitation; car cette province
où tu vas te fixer m'est bien chère : j'y suis née, et
quand le ciel m'aura rendu ma liberté, j'irai revoir
ma patrie, et les lieux où j'ai passé mon enfance
et par conséquent je reverrai ma chère Marianne, puiɛ-
que sa ferme y est située. Ecris-moi aussi-tôt que tu
sera arrivée j'attends avec impatience cette lettre
datée de S***, venant de toi et d'un lieu qui m'est
si cher, elle m'intéresse doublement parles moi de
tes deux jolis enfans de ton mari, de tes parens
bourguignons enfin de tout ce qui te touche et avec
détail. De mon côté, je travaille aux instructions que

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tu m'as demandées, relativement à l'éducation de tes enfans, et dans ma première lettre, je commencerai à te détailler mes idées sur ce sujet. Adieu, ma chère Marianne, ton ancienne et bonne amie Félicie t'embrasse de tout son cœur.

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P. S. Comme tu ne lis pas mon écriture très-couramment, parce qu'elle est, dit-tu, TROP PETITE, j'ai pris le parti de t'écrire le plus,LISIBLEMENT possible, en confiant ma lettre aux estimables auteurs de la FEUILLE VILLAGEOISE: c'est la première fois de ma vie que j'écris dans un journal; mais l'intérêt et le but de celuici, m'attachent du fond de l'ame à cette entreprise bienfaisante. Mes lettres, que tu trouveras toujours dans cet ouvrage, seront pour toi, et le reste de la feuille pour ton mari. Lisez tous deux ce journal: puisset-il fortifier en vous l'amour de la vertu et de la patrie! puisse-t-il enfin vous plaire et vous instruire, et tous nos vœux seront remplis.

Première conversation de M. Étienne avec ses concitoyens, sur l'impôt.

Est-il vrai qu'on ait publié et que plusieurs villages croient que le peuple ne paiera plus d'impôts. On ne peut guère douter que cette erreur n'ait trouvé foi dans plus d'un lieu; et à ce sujet, voici ce qu'on nous a rapporté.

Dans un gros village de la Picardie, il y a peu de temps, qu'on vit, le dimanche, après la messe, les habitans se réunir en grand nombre autour d'un cultivateur. connu dans le pays, sous le nom d'ETIENNE BONNETÊTE. C'est un de ces hommes qui sous

un extérieur foible, cachent une âme vigoureuse, toute sa vie, et une bonne partie de sa fortune a été com sommée à batailler la tyrannie du fisc, des commis et des intendans. Plus d'une fois il fit soulager le village d'une partie des taxes en le portant à de fortes réclamations. Pas un paysan du canton n'eût payé sa cotte, si M. Etienne ne l'avoit réglée. Le village, dans ces derniers temps, voulut le nommer maire; il a refusé : cette dignité n'ajouteroit qu'une écharpe à son habit et rien à son autorité. Tel étoit l'homme qu'on pressoit en ce moment de s'expliquer sur les impôts. Etoit-il vrai qu'on n'en paieroit plus? Quelles taxes devroit-on payer? etc. Il invita tout le monde à le suivre dans son clos; il conduisit l'assemblée près d'un gros noyer qui se trouvoit planté sur un tertre : et là, un peu plus élevé que ses auditeurs, appuyé contre l'arbre, il parla en ces termes. "Mes amis vous savez que ma frêle santé m'empêche de "travailler aux champs; mais j'ai la tête un peu meilleure " que les jambes je lis, je refléchis, pour vous, tan"dis que vous labourez pour moi; c'est ce qui fait que " je suis quelquefois en état de répondre à vos questions " sur notre intérêt commun. Parlons donc aujourd'hui " de l'impôt, j'ai appris tant de choses sur ce point, " que j'en aurai, je pense, pour plus d'un jour. Nim"porte: commençons; car le proverbe dit que com"mencer est la moitié de la besogne:

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Que veut dire, mes amis, ce mot que nous ne paye"rons plus d'impôts? A peine je me suis-je fait cette "question, que j'ai trouvé l'idée extravagante. Nous " sommes François, ce qui signifie que nous faisons par" tie d'un peuple nombreux, vivant sous le même gou" vernement; si chacune de nos familles particulières a "des dépenses forcées, la famille commune, le royaume " de France a aussi des dépenses nécessaires. Nous four"nissons volontiers notre cotte-part des frais de notre "petite municipalité; mais la France est une grande " municipalité, qui doit être défrayée par toutes les au"tres, et conséquemment par chacun de nous : si ne payons rien, apparemment qu'aucune"ville, aucun village, ne payera rien non plus, ou "bien nous serions des privilégiés, des ARISTOCRATES,

" nous

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