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Ces réflexions fur la manière de traiter les grandes queftions publiques, & fur-tout de les bien pofer, peuvent n'être pas inutiles non feulement à ceux qui parlent mais auffi à ceux qui écoutent ou qui lifent, & que l'on cherche continuellement à égarer. Il n'y a point d'objet qui ne préfente plufieurs faces, & ils ne fçauroient trop fe défier de ceux qui n'en confidèreut qu'une. Il n'y a rien qui n'ait des inconvéniens, & que par conféquent on ne puiffe attaquer d'une manière fpécieufe, en ne montrant les chofes que d'un côté. Le talent de la difcuffion confifte à les confidérer tous, & à rapporter le résultat à ce principe univerfel, le plus grand bien & le moins de mal poffible. Si l'on avoit jugé le Comité des Recherches fous ce point de vue, il n'eût pas excité tant de réclamations mal fondées. Il expofe la liberté individuelle c'eft un mal qui en doute? Il s'enfuit feulement qu'un pareil établissement, s'il étoit durable & conftitutionnel, feroit très - vicieux & accuferoit le Gouvernement; car un Gouvernement qui auroit befoin pour fa sûreté d'une autre furveillance que celle des Loix, & qui ne pourroit fe paffer de précautions extrajudiciaires, feroit très-mauvais. Mais ce qui ne vaut rien dans un Gouvernement établi, peut-il être utile & même néceffaire au moment où on travaille à l'établir? Ce qui feroit très - dangereux étant permanent, ne peut-il pas être d'une

utilité & même d'une nécefliré momentanée ? Voilà la queftion. Ceux qui ont attaqué le Comité des Recherches, ne l'ont pas même foupçonnée; ils n'en ont pas dit un mot. Cependant hors de-là tout eft verbiage & lieux communs. En la pofant ainfi, elle n'eft pas difficile à résoudre, si on la ramène à ce grand principe qui n'est pas contefté: Salus Populi fuprema Lex efto; le falut du Peuple eft la première Loi. L'exiftence d'un Comité des Recherches fuppose l'existence de dangers qui menacent l'Etat, d'ennemis qu'il faut rechercher. Et dans une Révolution telle que celle qui nous a renda la liberté, dira-t-on que nous n'ayons à craindre ni dangers ni ennemis ? On n'oferoit pas le dire; ceux mêmes qui fe font élevés contre le Comité des Recherches ne l'ont pas dit. Voilà donc d'abord un fait important, un fait capital qui eft accordé & convenu. La conféquence immédiate, également inconteftable, c'eit qu'il importe au falut de l'Etat de découvrir fes dangers & fes ennemis ; & les formes ordinaires de nos Tribunaux, tels qu'ils étoient dans un Gouvernement tranquille & abfolu, font elles applicables à ces recherches que le péril préfent rend néceffaires? Non, fans doute. Les formes légales des pouvoirs municipaux & judiciaires, tels qu'on travaille à les inftituer, ne font pas encore en vigueur, & ne conviennent qu'à un Etat parfaitement orga

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nifé, & nous ne l'avons pas encore. Qu'eft ce donc que le Comité des Recherches s finon un établissement momentané précaution commandée par le danger, & qui n'a d'autre but que de nous mettre le plus tôt poffible en état de nous en pas fer? Sans doute quind la Conftitution (era achevée , que les Loix auront toute leur force, & le pouvoir exécutif toute fon action, nous n'aurons plus de crainte parce que les ennemis de la nouvelle Conf titution n'auront plus rien à espérer; mais jufque - là il faut veiller fans cetle, & quand on n'a pas le temps de camper, faut coucher au bivouac.

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Maintenant y a-t-il quelque comparaison entre l'inconvénient d'arrêter fins décret des hommes à qui d'ailleurs on laiffe tous les moyens d'une défente publique & légale, & l'inconvénient de laiffer des ennemis fecrets travailler contre vous, fans autre crainte que l'animadverfion des Loix ordinaires dont l'action cft néceffairement lente, parce qu'elle fuppofe un état de chofes où le plus grand danger eft d'alar mer ou de bleffer la liberté individuelle fi chère à tout Ciroyen? Non, fans doute: on ne peut dans une grande crife politique, dans un temps de difcorde & de trouble, faire aucune comparaifon de ces deux inconvéniens: le principe d'un moindre mal pour un plus grand bien eft donc obfervé, & la queftion est décidée.

Ce que j'ai réduit ici aux formes d'une démonftration rigoureufe eft contradictoi rément développé dans la Lettre de M, Briffot, l'un de nos plus zélés Citoyens, & qui, réfutant un adverfaire, fe trouve à portée de détailler les faits & les principes en détruifant les fauffetés & les fophifmes. On peut juger quel avantage il a fur un homme qui commence par établir un pa rallèle entre les procédés du Comité des Recherches & l'inquifition de notre ant cienne Police, & qui croit voir une exacte conformité entre deux chofes fi differen tes, fi ce n'eft pourtant qu'il donne la préférence à la Police. Un rapprochement fi infoutenable dans tous les points, fi complettement abfurde, marque un étrange aveuglement, & l'on eft trop 'heureux d'at voir à combattre des ennemis fi mal-adroits. M. Briffot met dans fa défenfe & dans for ftyle la noble chaleur du patriotifme; & s'il lui eft facile d'avoir raifon, il lui est honorable de l'avoir de cette manière. Son ouvrage eft d'un efprit qui a bien vu la chofe publique, & d'une ame qui veut le bien.

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Sur l'article de la Délation, que l'on reproche aux procédures du Comité des Recherches, peut-être eût-il mieux fait & fe feroit-il mis plus à fon aife en écartant tout-à-fait ce mot odieux de délation, qui eft-ici mal appliqué, & s'en tenant à celui de dénonciation, qu'il emploie le plus fou

vent & qui eft en effet le mot propre. Il a mieux aimé s'appuyer de l'autorité de ceux qui ont voulu anoblir le mot de délation, mais qui n'ont pu le faire qu'en le dénaturant. Je perfifte à croire que c'est donner prife fur foi que de vouloir forcer l'acception naturelle de ces mors où l'on a toujours attaché des idées morales d'une grande importance. Je n'ai pas hésité à combattre fur ce point M. de Mirabeau lui-même, que perfonne n'admire plus que moi, quand il a dir que la délation étoit devenue une vertu. Je fais qu'on peut dé tourner ainfi oratoirement le fens ordinaire d'un mot, & que c'eft une figure de dic tion qui appartient au talent. Mais dans des matières fi graves, que tant de gens font intéreffés à obfcurcir, & où l'abus des termes favorife fi aifément la confufion des idées, il faut que le talent même ait le courage de fe refuser le mérite des figures, dès qu'il peut compromettre la vérité. Les figures alors font comme ces armes d'or qui font plutôt une proie pour l'ennemi qu'une défenfe pour celui qui les porte. La raifon févère & inflexible eft l'armure de fer, l'armure impénétrable qu'il faut oppofer aux ennemis de la liberté. C'étoit le principe de Démofthène, celui de tous les Orateurs qui employoit le moins les figures, & l'homine le plus terrible qui ait jamais manié la parole.

M. Briffot paroît être de mon avis dans

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