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fon ouvrage. Il ne peut, dit-il, exifter de Religion naturelle. Je pente, au contraire, que pour les hommes raifonnables qui n'ont pas le bonheur d'etre éclairés des lumières farnaturelles du Chriftianifme, il ne peut exifter d'autre Religion que la Religion naturelle, celle qui confifte dans l'adoration d'un Dieu rémunérateur & vengeur, dans la confcience du jufte & de l'injufte, qui n'eft que le témoignage intérieur de la raifon que nous avons reçue de Dieu, & dans la croyance de l'immortalité du principe penfant, quel qu'il foit : c'est la Religion qu'ont prêchée tous les Sagès depuis Confucius jufqu'à Voltaire. On peut l'appeler naturelle, parce qu'elle n'eft fondée que fur des notions communes à tous les hommes qui ont été à portée de cultiver leur raifon. Cette même raifon, au contraire, contredit évidemment toute Religion révélée, & cela eft fi vrai, que celle des Chréiens, la feule que nous regardions comme l'ouvrage de Dieu parmi toutes les autres, reconnues pour être l'ouvrage des hom mes, commence par exiger pour première condition le facrifice entier de notre raifon, & ne nous a été donnée que comme une grace d'en haur, qu'on appelle le don de la Foi. Les Apôtres eux mêmes appellent le Chriftianifme, confidéré par les feules lumières de la raifon, la folie de la Croix & Auguftin ne fait d'autre réponse aux Incrédules que de dire: » Je crois, parce

» que cela eft abfurde; je crois, parce que » cela eft impoffible: Credo, qui abfurdum; » credo, quia impoffibile ". Ce font les plus belles paroles de ce grand Saint; c'est en deux mots toute l'ellence de notre fainte Religion.

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C'eft de là que vient auffi la principale. erreur des ennemis du Chriftianifme ils ne l'ont jugé que par le mal qu'il a fait au monde pendant 1 fiècles, grace à l'abus qu'en faifoient fes Miniftres, & is oublioient que ce n'eft pas felon l'ordre temporel qu'il falloit apprécier une Religion toute divine. Ils fe font épuifés en raifon¬ nemens & en farcafmes fur les horreurs de l'Ancien Teftament & fur les mystères du Nouveau. C'est au Peuple qu'ils s'adreffoient, parce qu'ils croyoient lui rendre fervice en lui montrant les Prêtres aufli ridicules dans leur doctrine, qu'odieux & inconféquens dans leur conduite. Ceux-ci j d'un autre côté, donnoient dans le piége, & le croyoient intéreffes à tout défendre & obligés de tout expliquer. De part & d'autre, fi l'on eût été de bonne foi, la difpute fe réduifoit à une feule question, qui, une fois réfolue, rendoit toute autre difcuffion inutile. Dien a-t-il parlé aux hommes par la voie de révélation? La queftion ainfi pofée, le Philofophe n'avoit qu'un feul argument à faire. » Dieu n'a point ré» vélé de Religion; car celle que vous pré » tendez révéléz eft ignorée ou méconnue

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» des trois quarts du genie humain ; & il répugne également à l'idée que nous » avons de fa juftice & de fa puiffance, qu'il n'ait révélé qu'à quelques-uns ce » qui leur étoit néceffaire à tous pour être fauvés, ou que les moyens lui aient manqué pour le faire entendre à tous les » hommes". La raifon humaine ne connoît point de réponse à ce raifonnement, auquel devoit fe borner toute la difpute & qui auroit épargné tant de volumes d'injures & d'ennui. Mais la réponf du Chrétien, la feule qui lui convienne & la feule triomphante, eft celle ci: » Ne voyez vous "pas que fi la révélation étoit évidente, » il n'y auroit aucun mérite à croire? ce mérite-là, c'eft une grace particulière que » Dieu a faite aux Chrétiens. Il ne doit » compte à perfonne de fes dons. Nous ne » fommes point juges de la Juftice. Mais » comme nous comptons fur la bonté, » nous le prions qu'il vous éclaire comme » il nous a éclairés". Si les hommes avoient fu être raisonnables, voilà où fe feroit terminée toute cette controverfe; & puifqu'ils commencent enfin à le devenir, il faut efpérer que déformais elle n'ira pas plus loin.

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C'eft cet argument contre la révélation que Rouffeau a fi éloquemment développé par la bouche de fon Vicaire Savoyard; & cependant il finit par reconnoître la divinité de l'Evangile, & par avouer que la

mort de Jésus-Chrift eft d'un Disu. On a cru voir la dedans une contradiction: on s'eft écrié, au nom du bon fens, qu'est-ce que la mort d'un Dieu? Vraiment il s'agit bien ici de bon fens ! c'est bien avec du bon fens qu'on eft Chrétien & fauvé ! Les Saints, les Martyrs faifoient gloire d'être infenfes aux yeux des hommes, & fages aux yeux de Dieu. Si Rouffeau finit par profeffer une croyance contraire à ses raifonnemens, c'eft qu'après avoir écouté fa raison, il a cédé à la foi, fi fupérieure à la raifon; c'eft qu'il a eu non feulement le don du génie, mais ce qui eft bien au deffus, celui de la Grace.

Mais comme cette Grace devient tous

pas

les jours plus rare, & que fi tout le monde n'a le bonheur d'être croyant, tout le monde a intérêt à être honnête homme, c'eft pour cela que je crois du devoir de la philofophie, non feulement de ne point nier la Religion naturelle, mais même de la recommander à tous les hommes, parce qu'elle eft à la portée de tous & bonne à

tous.

Son premier dogme, fi l'on peut appeler dogme un sentiment, eft d'être juste envers tout le monde. M. de C... l'a-t-il été, lorfqu'il a imprimé ces étranges paroles, à propos des Turcs? Peut-on être injufte envers » une horde de Brigands qui tiennent dans » les fers un peuple efclave, à qui leur » avide férocité prodigue les outrages «?

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Je n'aime point les Turcs; mais je fuis fermement convaincu qu'on peut être injuste envers eux, qu'on peut l'être envers des Brigands, par une raison bien fimple, c'eft que nous ne fommes pas difperfés d'être justes même envers ceux qui ne le font pas. Je fuis furpris & affligé qu'un Philofophe puiffe douter de cette éternelle vérité, & prêche une doctrine très-propre à décrier la philofophie, fi l'erreur d'un feul homme pouvoit décréditer la raison de tous. Les Turcs possèdent la Grèce par la conquête; & perfonne n'ignore que la plupart des Puiffances n'ont pas eu originairement d'autre droit. S'enfuit-il qu'on ne soit pas tenu envers elles à tous les contrats naturels ou politiques qui lient les Nations? Que l'Auteur juge de fon principe par les conféquences qu'il entraîne: cette épreuve eft fûre; car le principe eft faux quand les conféquences font abfurdes. Il feroit donc permis à une Puiffance, quand elle se croiroit la plus forte, de dire à une autre : Vous ne poffédez pas légitimement les Etats que vou- gouvernez depuis des fiècles; vous ne les gouvernez pas felon la juftice; ainfi je vais vous les ôter «; & cette même Puiffance, fe faifant tout à la fuis juge & partie, & exécutrice de fes arrêts confifqueroit à fon profit ce qui feroit à fa bienféahées! On fent combien de réponses accablantes on pourroit faire à ce nouveau code de morale & de poli

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