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C'eft affurément ce que peut dire l'Hiftorien de Voltaire. Il n'a point diflimulé les défauts & les torts; il a fenti qu'il n'en avoit pas befoin; il a fu peindre Voltaire tel qu'il étoit, & s'eft appliqué fur tout à repréfenter la toute puiffante influence qu'il a cue fur l'efprit de fon Siècle; & bien loin qu'à cet égard on puiffe lui reprocher aucune exagération, peut être n'at-il pas affez approfondi fa matière; peutêtre, quoique fon pinceau ne manque pas de force, cût il pu rer dre fes touches plus vives & plus marquées. Il me femble du moins qu'il étoit joible de développer davantage les obligations éternelles que le genre humain doit avoir à Volaire. Les circonftances actuelles en fourniffoient une belle occafion. Il n'a point vu tout ce qu'il a fait, mais il a fait tout ce que nous voyons. Les obfervateurs éclairés, ceux qui fauront écrire l'Hiftoire, prouveront à ceux qui favent réfléchir, que le premier auteur de cette grande révoluion qui étonne l'Europe, & répand de tout côté l'efpérance chez les Peuples & l'inquiétude dans les Cours, c'eft, fans contredit, Voltaire. C'eft lui qui a fait tomber la première & In plus formidable barrière du defpotifme le pouvoir religieux & facerdotal. S'il n'eût pas brifé le joug des Prêtres, jamais on n'eût brifé celui des Tyrans : l'un & l'autre pefoient ensemble fur nos têtes, & le tenoient fi étroitement, que le premier une

fois fecoué, le fecond devoit l'être bientôr après. L'efprit humain ne s'arrête pas plus dans fon indépendance que dans la fervitude, & c'est Voltaire qui l'a affranchi en l'accoutumant à juger fous tous les rapports ceux qui l'afferviffoient. C'eft lui qui a rendu la raifon populaire, & fi le Peuple n'eût pas appris à penfer, jamais il ne fe feroit fervi de fa force. C'eft la pensée des Sages qui prépare les révolutions politiques; mais c'est toujours le bras du Peuple qui les exécute. Il eft vrai que fa force peut enfuite devenir dangereufe pour luimême; & après lui avoir appris à en faire ufage, il faut lui enfeigner à la foumettre à la Loi mais ce fecond ouvrage, quoi-" que difficile encore, n'eft pourtant pas, beaucoup près, fi long ni fi pénible que le premier.

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Des efprits fuperficiels ou prévenus ont affecté de ne voir dans Voltaire qu'un flatteur de la puiffance, parce qu'il a quelquefois careffé les Miniftres ou les Grands. Ils ne s'apperçoivent pas que ces cajoleries particulières font fans conféquence; mais que ce qui eft d'un effet infaillible & univerfel, c'est cette haine de la tyrannie en tout genre, qui refpire dans tout ce qu'il a écrit; par-tout il la rend ou odieufe ou ridicule par tot il avertit l'homme de fes droits, & lui dénonce fes oppreffeurs. Tyrannie des Miniftres, tyrannie des Parlemens, tyrannie des Commis, tyrannie

des Financiers, rien ne lui échappe; & il a tant répété au Peuple: Savez-vous quel eft votre plus grand malheur? c'est d'être fot & poltron: Il l'a tant redit de mille manières, qu'enfin on n'a plus été ni l'un ni l'autre.

Une foule d'anecdotes particulières acheveroit de prouver qu'un fentiment qui a toujours été dominant chez Voltaire, c'eft l'horreur de l'injuftice & de l'oppreflion; mais c'est précisément cette partie de l'Hiftoire, ce font ces traits qui peignent l'homme que l'Auteur de la Vie de Voltaire a trop négligés. Il écrit en Philofophe, avec une raifon fupérieure ; il abonde en réflexions judicieufes, en résultats lumineux; il voit de haut les hommes & les chofes, les voit bien, & les fait bien voir; il va toujours repouffant d'une main sûre les nombreux préjugés, les erreurs accréditées que la paffion mit fi long-temps à la mode dans tout ce qui regarde Voltaire; il fubftitue à leur place des vérités qui n'étoient fenties que par ceux qui ont bien connu ce grand homme; mais on défireroit, qu'à l'exemple de Plutarque, il eut quelquefois defcendu aux détails perfonnels & caractéristiques, & que non content de bien juger fon héros, il nous eût fair vivre avec lui. Cette partie importante de la biographie tient ici trop peu de place; elle reste à traiter, & peut-être n'y a-t-il pas de mal que plufieurs mains puiffent

toucher à ce grand fujet. Mais d'ailleurs on égalera dithicilement, du moins pour les idées générales, cer excellent apperçu für les écrits & la philofophie de Voltaire.

Quoi de micux vu, par exemple, & de mieux exprimé que ce qu'il dit à propos des reproches d'inconftance & d'ingratitude que l'on fit à Voltaire, loque, malgré fes liaisons avec le Duc de Choifeul, il approuva, du moins en partie, les opérations du Chancelier Maupeou centre les

Pa:lemens ?

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Les Grands, les gens en place ont » des intérêts, & rarement des opinions: "combattre celle qui convient à leurs projets actuels, c'eft, à leurs yeux, se déclarer contre eux. Cet attachement à la » vérité, l'une des plus fortes paffions des efprits élevés & des ames indépendan"tes, n'eft pour eux qu'un fentiment chimérique. Ils croient qu'un raifonneur ? un Philofophe n'a, comme eux, que des opinions du moment, profelle ce qu'il veut, parce qu'il ne tient fortement » à rien, & doit par conféquent changer » de principes, fuivant les intérêts palla"gers de fes amis ou de fes bienfaiteurs, Ils le regardent comme un homme fair pour défendre la caufe qu'ils ont em braffée, & non pour foutenir fes principes perfonnels; pour fervir fous eux, & non pour juger de la juftice de la "guerre. Auffi le Duc de Choifeul & fes

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» amis paroiffoient-ils croire que Voltaire » auroit dû, par respect pour lui, ou tras hir ou cacher les opinions fur des quel

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tions de droit public. Anecdote curieufe » qui prouve à quel point l'orgueil de la grandeur ou de la naillance peut faire oublier l'indépendance naturelle de l'efprit humain, & l'inégalité des efprits & des talens, plus réelle que celle des rangs » & des places «.

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Il étoit impoffible que l'Auteur, en appréciant le génie de Voltaire, né répétât pas en fubftance les idées de ceux qui, les premiers, apprirent à la multitude à rendre à fes écrits la juftice qu'on s'efforça longtemps de lui refufer; ceux-ci mêmes eurent un mérite qui étoit à la fois celui de leur caractère & des circonftances; ils combattirent pour le talent en préfence de l'envie; ils établirent la vérité mais l'Auteur, en s'emparant de leurs réfultats, fait bien voir qu'ils lui appartiennent aufli & fe les rend propres par la manière de les préfenter.

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Je me permettrai cependant quelques réflexions fur les endroits de fon ouvrage, où mon opinion diffère de la fienne; ils font en petit nombre, & le Public inftruit jugera..

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» On peut comparer la Henriade à l'Enéide routes deux portent l'empreinte » du génie dans tout ce qui a dépendu du » Poëte, & n'ont que les défauts d'un

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