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habitée, il constitue un attentat contre les personnes; dans la première, la peine est celle des travaux forcés; dans la seconde, c'est la peine de mort.

En effet l'incendie, lorsqu'il attaque une maison habitée, attaque la vie de ceux qui l'habitent; la loi ne le punit plus comme une dévastation, mais comme une tentative d'homicide. « Il est nécessaire, disait le rapporteur de la loi du 28 avril 1832 à la Chambre des députés, il est nécessaire que la peine de mort protége la vie de l'homme, lorsque l'incendie peut la mettre en danger; mais, si la vie de l'homme n'a pas même été menacée, l'incendie n'est autre chose qu'une dévastation avec circonstances aggravantes; et n'y a-t-il pas une suffisante aggravation de peine à punir des travaux forcés à temps et même des travaux forcés à perpétuité une simple dévastation? » Le rapporteur de la Chambre des pairs déclarait également : « L'incendie des lieux habités ou servant à l'habitation, qu'ils appartiennent ou n'appartiennent pas à l'auteur du crime, sera puni de mort; c'est ici la vie de l'homme que la loi protége, et non l'attentat à la propriété qu'elle punit. >>

Il suit de cette différence, d'une part, que les expressions maison habitée ou servant à l'habitation doivent être d'autant plus restreintes, dans l'art. 434, qu'elles sont la base d'une aggravation plus grande de la peine; et, d'un autre côté, que la maison habitée donnant à l'incendie le caractère d'un attentat contre les personnes, d'un véritable assassinat, toute fiction qui assimilerait à la maison habitée un bâtiment qui ne l'est réellement pas, doit être rejetée; car, si cette fiction est admissible quand il s'agit de protéger la propriété, elle ne l'est plus quand il s'agit de protéger la vie de l'homme: cette vie est menacée ou elle ne l'est pas; dans ce dernier cas, comment punir un assassinat, quand il n'existe qu'une dévastation? Comment punir un attentat contre les personnes, quand la sûreté d'aucune personne n'a été compromise? La fiction ne peut plus ici remplacer la réalité : il faut que le fait corresponde au titre du crime; et, quand la loi a entendu punir un homicide, l'interprétation même la plus habile ne saurait étendre ses termes à une simple dévastation.

Il paraît donc que les mots lieux habités ou servant à l'habitation ne devraient s'entendre que des maisons ou bâtiments quelconques qui sont actuellement habités, soit que les habitants s'y trouvent au moment de l'incendie, soit qu'ils ne s'y trouvent pas. Dans le premier cas, le lieu est réellement habité; dans le second, il est employé à l'habitation, et l'agent a pu ignorer l'absence des habitants. Ce n'est que dans ces deux hypothèses que l'incendie emporte la présomption d'un attentat contre les personnes; hors de là il ne s'attaque qu'à la propriété, et, s'il en résulte la mort accidentelle d'une ou de plusieurs personnes, le dernier paragraphe de l'art. 434 a prévu ce nouveau cas de responsabilité.

2327. Néanmoins nous devons noter que la jurisprudence a continué d'appliquer l'interprétation consacrée par l'arrêt du 14 août 18394. C'est donc à l'art. 390 qu'il faut demander dans la pratique le sens de l'art. 434; c'est dans la définition dn premier de ces articles qu'il faut chercher celle des expressions « habités ou servant à l'habitation » du second. Il importe de remarquer seulement qu'en étendant le caractère de la maison habitée à tout ce qui en dépend, la loi a voulu que cette dépendance fit formellement constatée, car elle constitue le seul motif de l'aggravation: il ne suffirait done pas de déclarer que l'accusé est coupable d'incendie d'un bâtiment attenant à une maison habitée, car la contiguïté n'est pas la dépendance. Il a été jugé dans ce sens : « que l'article 390, qui explique ce qui doit être réputé maison habitée, ne fait rentrer dans son assimilation que les lieux qui dépendent de l'habitation, comme cours, basses-cours, granges, écuries et édifices qui y sont enfermés, quand même ils auraient une clôture particulière dans la clôture ou enceinte générale,lesquels ne forment réellement qu'un seul tout avec

1. Cass., 8 août 1844, Bull. n. 284; Devill. 45.1.59; Pal.44.2.420; D.P.44 1.357; 25 sept. 1816, Bull. n. 257; Dev.47.1.5; Pal.47.1.576: D.P.47.1.12 ch. réun., 18 janv. 1847, Bull. n. 10; Devill.47.1.5; Pal. 47.4.576; D.P.47. 1.12; 45 juin 1842, Bull. n. 438; D.P.49.5.248; 18 mai 184, Bull. n. 160; D.P.54.5.439; 14 août 1836, Bull. n. 286; D.P.56.1.381; 11 mars 1858, Bull. n. 85; D.P.38.5.203. ** Ade Cass., 24 avril et 8 août 1873; Bull. n. 115 et 224.

la maison et réclament, dans l'intérêt des habitants, la même protection; mais qu'être attenant à une maison habitée n'est pas la même chose qu'en dépendre; que, au premier cas, les deux bâtiments se touchent, mais sans corrélation nécessaire, et peut-être même sans corrélation entre eux, tandis que, au second cas, les édifices renfermés dans la même enceinte constituent en réalité deux parties de la même habitation 4. >>

2528. Nous devons ajouter que la jurisprudence de la Cour de cassation a reçu une adhésion du rapporteur de la loi du 13 mai 1863. On lit, en effet, dans le rapport ce qui suit:

« Puisque nous touchons à l'art. 434, nous avons jugé utile de le soumettre à deux modifications qui n'étaient pas proposées par le projet. Le § premier punit de mort l'incendie des lieux habités ou servant à l'habitation, sans définir ce qu'il faut entendre par lieux habités. — Cependant l'art. 390, placé dans la section des vols, donne cette définition en déclarant qu'il faut réputer maison habitée « tout bâtiment, logement, loge, cabane, même mobile, qui, sans être actuellement habité, est destiné à l'habitation, et tout ce qui en dépend, comme cours, basses-cours, granges, écuries, édifices qui y sont enfermés, quel qu'en soit l'usage, et quand même ils auraient une clôture particulière dans la clôture ou enceinte générale. » On s'est demandé si cette définition faite pour les vols était applicable aux incendies, et si, dans les deux cas, la dépendance d'une maison habitée devait être assimiléc à la maison elle-même. On comprend que, voulant régler aujourd'hui cette question par une disposition législative, nous n'ayons pas à rechercher si, d'après les textes existants, cette assimilation existe, et qu'il nous suffit d'examiner s'il convient de l'établir. Si l'on consulte les motifs de la loi de 1832, on voit que l'incendie d'une maison habitée a été puni plus sévèrement, parce qu'il peut mettre la vie de l'homme en danger: C'est la vie de l'homme que la loi protége, et non l'attentat à la propriété qu'elle punit », disait le rapporteur de la Chambre des pairs. — La préoccupation de cet intérêt est portée si loin que la peine de mort demeure, alors même que la maison n'est pas réellement habitée, pourvu qu'elle soit destinée et qu'elle serve à l'habitation. Or le feu mis à la dépendance d'une maison habitée exposera le plus souvent celui qui l'habite au même danger que s'il était mis à la maison elle-même, à cause de la facilité avec laquelle la

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1. Cass., 25 mai 1818, Bull. n. 139; 17 déc. 1846, Bull. n. 319; D.P.47,

communication de l'incendic pourra s'établir entre les dépendances et la maison. Que sont le plus souvent les granges, écuries, cours, bassescours et autres édifices qui y sont enfermés, sinon les bâtiments contigus ou presque contigus à la maison habitée ?-N'est-ce pas dans ces édifices que l'incendie commence presque toujours, parce que l'accès en est plus facile, parce qu'ils renferment des matières plus aisément inflammables? Pour quelques cas rares où la dépendance serait hors de portée et où le danger de communication de l'incendie se serait amoindri, faut-il négli ger les cas nombreux où la dépendance fait pour ainsi dire partie intégrante de la maison elle-même, et où le principe qui domine l'incrimination de l'incendie existe dans toute sa force? Il est bien vrai que l'avant-dernier paragraphe de l'article 434 aggrave la peine de l'incendie lorsqu'il s'est communiqué à des lieux habités, quel que soit le point où le feu ait été mis. Mais cette aggravation n'est attachée qu'au résultat, et elle sera bien plus efficace si elle demeure indépendante. Nous l'avons ainsi pensé, et, consacrant d'ailleurs une jurisprudence constante de la Cour de cassation, fondée uniquement sur l'interprétation des textes actuels, nous avons compris dans la même incrimination les lieux habités et leurs dépendances. »

Nous avons dû recueillir ces observations, qui manifestent l'opinion de la commission sur une des questions les plus graves que l'interprétation de l'art. 434 ait soulevées, mais elles sont restées stériles et sans aucun effet. Le projet soumis par la commission au Corps législatif ne porte aucune trace de cette opinion; les mots et leurs dépendances annoncés dans le rapport n'y figurent pas, et la loi les a également omis. Que faut-il induire de là? Est-ce que l'opinion émise dans le rapport et personnelle au rapporteur n'aurait point été adoptée par la commission? Est-ce qu'on a pensé qu'il était inutile de l'exprimer en présence d'une jurisprudence qui est aujourd'hui fixée dans ce sens? Est-ce enfin l'effet d'une erreur ou d'un oubli? Nous l'ignorons. Le paragraphe 1er a conservé son texte entier et, par conséquence, les diverses interprétations que ce texte avait fait naître demeurent dans les mêmes termes. L'opinion émise dans le rapport de la commission est un renseignement curieux, mais n'est point un élément nouveau de solution.

2529. Quand les lieux sont habités, la loi ne distingue point s'ils sont la propriété d'autrui ou celle de l'auteur même de l'incendie; la peine est la même, qu'ils appartiennent ou n'ap

partiennent pas à l'auteur du crime1. La raison de cette disposition est visible: ce n'est pas la destruction de la propriété par le feu qu'on veut punir, c'est la vie des hommes. qu'on veut protéger; or, quand la maison est habitée, le péril et par conséquent le crime est aussi grand, soit que la maison appartienne ou n'appartienne pas à l'incendiaire. Cette addition, toutefois, n'existait pas dans le projet soumis à la Chambre des députés et voté par cette chambre. Le rapporteur de la Chambre des pairs a dit pour la motiver: « Il est bien clair que la pensée du rédacteur du premier paragraphe a été de punir de mort l'incendiaire d'une maison même qui lui appartient, quand elle est habitée. Pour rendre cette pensée plus claire, et qu'il ne pût y avoir d'équivoque, nous avons ajouté ces mots : qu'ils appartiennent ou n'appartiennent pas à l'auteur du crime. Nous n'avons considéré que la vie de l'homme et la protection qu'on lui doit, et dans les deux cas la peine de mort est prononcée.» Cette disposition confirme toutes nos observations précédentes: la loi ne s'occupe nullement du préjudice causé à la propriété; elle n'en fait point un élément de la répression; elle ne voit, elle ne punit que l'attentat contre les personnes.

2530. Tels sont les caractères du crime d'incendie qui fait l'objet du § 1er de l'art. 434. La loi exige, dans l'auteur de l'incendie, la volonté d'incendier; elle exige, ensuite, que les lieux incendiés soient habités ou servent à l'habitation; la réunion de ces deux éléments suffit pour motiver la peine de mort. Il n'est point nécessaire que l'auteur du crime ait eu la volonté spéciale d'attenter à la vie des habitants de la mai

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1. ** Jugé que la circonstance d'habitation est constitutive du crime d'incendie quand l'édifice incendié appartient à l'accusé, aggravante dans le cas contraire, et qu'alors elle doit faire l'objet d'une question séparéc (Cass., 19 décembre 1872; Bull. n. 327). Jugé encore que le jury ne peut, sans complexité, être interrogé par une seule et même question à l'effet de décider si l'accusé est coupable « d'avoir mis le feu à une maison habitée et appartenant à autrui », l'incendie d'une maison habitée et l'incendie d'une maison appartenant à autrui constituant deux crimes distincts, qui doivent faire l'objet de questions séparées (Cass., 10 avril 1873, n. 97).

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