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n'ai fait que regarder en paffant le foleil, fa vue ne m'aura imprimé qu'une fenfation douce, facile à fupporter; le nerf optique ne feta tendu que médiocrement, & je verrai une tache verte bordée de rouge; mais fi au contraire, j'ai ofé regarder fixement cet aftre, fupporter fon éclat quelque tems, la fatigue de l'œil augmente, devient extrême, fa tenfion eft au dernier point; & le rayon rouge le plus fort de tous, paroîtra feul, & fe peindra fur tous les objets que je fixerai; c'eft ce qui fit voir à M. Bequelin fa Gazette couverte de taches rouges : il n'eft perfonne qui ne s'apperçoive de ce phénomène.

Pour ce qui regarde cette dégradation de couleur dans le spectre lumineux, un exemple fort fimple fervira à faire comprendre l'explication que je hazarde: que l'on prenne un violon, un inftrument à cordes quelconque, ou fimplement une corde d'inftrument; fufpendez à cette corde un vafe comme un entonnoir, que vous remplirez de fable, de façon qu'elle foit extrêmement tendue, & qu'elle rende le ton le plus aigu: n'eft-il pas vrai que fi pendant le frémiffement imprimé à cette corde, le fable de l'entonnoir s'écoule, elle diminuera de tenfion? & en même tems le ton baiffera & paffera fucceffivemenr du ton le plus aigu, au ton le plus grave.

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Il en eft de même dans le cas dont il s'agit. Le faisceau de lumière ayant frappé vivement & long-tems le nerf optique, le tend au dernier degré, pour ainfi dire; ce nerf alors, faifant l'office de la corde d'inftrument, rendra le ton le plus fort, le plus aigu des couleurs, c'eft à dire, le rouge. Mais à mefure que la fatigue de l'œil diminue, la tenfion diminue également, & le ton des couleurs baiffe dans la même proportion: au rouge fuc cédera donc l'orangé; à l'orangé, le jaune; puis le vert, puis le bleu, puis l'indigo & le violet. Enfin, la tenfion ceffant tout-à-fait, ce nerf tranquille, fans ébranlement, & rendu à fon premier état, ne donnera plus la fenfation de quelque couleur déterminée.

Ce qui confirme encore que le phénomène des couleurs accidentelles ne vient que de la fatigue; que d'une trop grande tenfion occafionnée au nerf optique, c'eft qu'effectivement la vue du rouge eft celle qui fatigue davantage & le plus promptement; enfuite celle de l'orangé, du jaune, &c. Cependant, la fenfation du jaune, fuivant M. de Buffon, eft la plus douloureufe, & celle qui produit le plutôt les petits points noirs qu'on apperçoit quelquefois, & qui paroiffent voltiger dans les airs, Quelque grande que foit l'autorité de notre Pline François, je crois que fon obfervation peut n'avoir pas lieu à l'égard de tous les individus. Je me fuis toujours apperçu que la couleur rouge me fatiguoit, & la première & le plus

violemment (1). J'ai même voulu éprouver combien il falloit de tems, pour que telle ou telle couleur me fatiguât. Mais diverfes circonftances m'ont empêché de fuivre ces obfervations; peut-être, aurai-je dans la fuite occafion de m'y livrer de nouveau.

Je remarquerai encore que la couleur verte, la plus amie de la vue, eft aufli celle qui fe forme la première. Fermez les yeux; dans quelques circonftances que ce foit, & prefque toujours, vous verrez une tache verte. Si la Nature n'étoit parée d'une robe de cette couleur, fa vue ne nous recréeroit pas tant, & nous redouterions le plaifir & le charme de la confidérer. Celui qui a créé la Nature, a fait l'œil de l'homme pour la contempler, & reconnoître à l'harmonie, à la magnificence de fes ouvrages, la fageffe qui préfide à l'univers.

Aux expériences de M. Mongés, nous croyons devoir en ajouter une qui nous a paru affez fingulière dans fes effets, & dont nous n'entreprendrons pas de donner l'explication, quoiqu'elle mérite cependant l'attention des Phyficiens. Suppofons un appartement quelconque, ou privé de la lumière du foleil, ou du moins, dans le moment dont on pourroit dire qu'il ne fait ni jour ni nuit, (l'expérience réuffit mieux dans le premier cas ). Suppofons dans cet appartement un chandelier garni de fa bougie allumée; la lumière d'une chandelle ou d'une lampe produifant le même effet. Placez ce chandelier à vos pieds & fur le carreau, regardez perpendiculairement cette lumière, de manière que vos yeux la fixent, fans interruption, pendant quelques inftans; auffi-tôt après, placez un éteignoir fur cette lumière, levez les yeux contre le mur de l'appartement fixez vos regards fur le même point fans cligner l'œil; vous ne verrez qu'obfcurité dans le commencement de cette opération; puis, vers le point que vous fixez, paroîtra une obfcurité beaucoup plus grande que celle du refte de l'appartement; continuez à fixer fans vous laffer; peu-à-peu, dans le milieu de cette obfcurité, fe manifeftera une couleur rougeâtre; elle s'animera infenfiblement, fa vivacité augmentera, enfin elle acquerra la couleur de la flamme, & cette flamme fera toujours fcintillante. Continuez à fixer fans changer la direction de votre cil; & vous verrez cette flamme, de la groffeur d'un petit œuf environ, fe détacher du mur, & venir, comme en roulant, très-près de votre œil. Si vous détournez la tête, elle fem

(1) Que l'on confulte les femmes qui s'amufent à faire de la tapifferie, elles vous diront qu'elles ne peuvent travailler long-tems une broderie fur un fond rouge, & qu'au contraire, à peine s'apperçoivent-elles de la fatigue des yeux, quand elles s'exercent fur un fond jaune.

blera fuir, mais elle reviendra comme la première fois, fi vous perfiftez de nouveau à fixer votre vue. Pour réuffir, d'une manière décidée, dans cette expérience; il faut, fi je puis m'exprimer ainfi, charger fes yeux d'une grande quantité de la lumière de la bougie; ce qui ne peut s'exécuter qu'en la confidérant long-tems perpendiculairement & fans cligner l'œil..

EXPÉRIENCES

Faites fur quelques précipités de Mercure, dans la vue de découvrir leur nature;

Par M. BAYEN, Apothicaire-Major des Camps & Armées du Roi.

I Ve.

PARTIE (1).

Sur le Turbith minéral.

PREMIÈRE

SECTION.

ACCOUTUMÉ, d'après quelques Chymistes, & fur-tout d'après feu

M. Rouelle, à regarder le turbith minéral comme un fel, le nom de précipité jaune, qu'on lui donne fouvent, ne me faifoit point illufion; il n'entroit donc pas d'abord dans mes vues de le foumettre aux expériences qui m'ont fait découvrir dans les autres précipités mercuriels, des propriétés chymiques qui démontrent jufqu'à l'évidence que ces préparations, de quelque manière qu'elles aient été faites, doivent leur état de chaux, non pas à la perte du phlogistique, ainfi qu'on le fuppofoit, mais à une combinaifon nouvelle du mercure avec un autre corps que l'athmofphère fournit à ce minéral, lorfqu'on le calcine par lui-même, ou qu'il tire des acides, lorf qu'on le calcine par voie de diffolution.

Cependant, contrebalançant l'autorité de M. Rouelle avec celle de quelques Chymiftes célèbres, qui foutiennent que le turbith mi

(1) La première a été imprimée dans ce Journal, mois de Février 1774; la feconde, mois d'Avril 1774; la troisième, mois de Février 1775. Dans cette dernière, à la page 158 du Journal, ligne 7, life, les animaux & les plantes.

néral, bien lavé, eft une chaux privée de phlogistique, j'ai cru ne devoir prendre d'autre parti que celui du doute. En vain Charas annonçoit-il en 1676, qu'on peui dulcifier le précipité jaune en le fublimant feul après l'avoir bien lavé; en vain nous affure-t-il qu'on peut y réuffir encore mieux, fi, ayant broyé dans un mortier de verre quatre onces de précipité jaune bien lavé & defféché, & y ayant incorporé autant de mercure coulant qu'il en aura pu abforber, on en fait la fublimation par les voies ordinaires, & fi, ayant broyé ce fublimé, on le refublime deux ou trois fois fans aucune addition: en vain M. Rouelle avoit-il enfeigné de vive voix & par écrit, que le turbith n'étoit pas une chaux; que c'étoit, au contraire, un fel dans lequel l'acide vitriolique fe trouvoit combiné avec le mercure, à la moindre quantité poffible; enfin, fans prétendre me mettre à côté des deux grands Chymiftes que je viens de citer, je regardai, comme vaine, une expérience que j'avois tentée, il y a près de vingt ans, dans la vue de faire du fublimé corrofif avec du turbith minéral, & du fel marin décrépité; expérience qui ne produifit point, à la vérité, de fublimé corrofif dont cependant je retirai une belle fublimation de véritable mercure doux. Rien ne put faire ceffer mon doute, & m'empêcher de regarder, pour un moment, tout ce qui avoit été dit & fait fur le turbith minéral, comme des affertions vagues.

mais

On ne refte communément dans le doute, fur un fait qui intéreffe l'art qu'on cultive par goût & par état, qu'autant qu'il eft impoffible de découvrir la vérité; or dans la question dont il s'agiffoit, je n'entrevoyois pas de grandes difficultés, la patience me paroiffoit feule néceffaire, & il en faut pour répéter des travaux qui ne nous appar tiennent pas, l'amour-propre n'y trouve pas fon compte; auffi ai-je vu la plupart des Chymiftes de ma connoiffance, n'effuyer dans cette forte de tâche, que des dégoûts. La critique feroit peut-être un excellent aiguillon pour foutenir le Chymifte dans des recherches dont l'objet feroit de conftater des faits annoncés par d'autres, mais elle n'a point de charmes pour moi; ainfi donc, n'envisageant que le de trouver la vérité, je me fuis mis à l'œuvre, avec la réfolution de tâcher de tirer tout le parti que je pourrois du sujet que j'allois traiter.

L'acide vitriolique, combiné avec le mercure, fuivant les précautions indiquées par l'art, forme un fel blanc, ou vitriol mercuriel, dans lequel tous les Chymiftes conviennent que l'acide furabonde.

Si on tient long-temps ce vitriol mercuriel expofé à un grand feu il perd, à la vérité, une portion de fon acide; mais comme à la fin il fe fublime, on a rejetté ce moyen comme incapable de remplir l'objet qu'on fe propoferoit, en voulant l'employer pour adoucir ce fel qui eft fort corrofif. On a donc eu recours aux lotions; en effet,

fi l'on verfe fur cette maffe faline une grande quantité d'eau bouillante, & qu'on la broie fort & long-tems, l'acide furabondant s'unit à l'eau, entraînant avec lui une portion de mercure avec lequel il forme une forte de vitriol très-foluble.

La partie qui ne s'eft point diffoute dans l'eau, a perdu fa couleur blanche, & eft devenue d'un jaune de citron fort vif; on continue les lavages jufqu'à ce que la poudre jaune & l'eau qu'on en retire paroiffent l'une & l'autre infipides.

Cette poudre étant defféchée, eft ce qu'on appelle dans les Pharmacies turbith minéral (1); & c'eft cette même poudre que M. Rouelle difoit être une combinaifon d'acide vitriolique & de mercure, l'un & l'autre dans les proportions qui conftituent l'état neutre.

Cet homme justement célèbre ne nous préfentoit pas les expériences fur lefquelles il appuyoit fon fentiment; M. Rouelle le cadet, qui foutient fur ce point la doctrine de fon aîné, paroît auffi en négliger les preuves; du moins ne voyons nous, dans les procédés qu'il a publiés l'année dernière, rien qui vienne à l'appui de l'opinion des deux frères, quoiqu'elle foit vigoureufement conteftée par des Chymiftes qui fe font fait également un grand nom.

Ces derniers ont regardé le turbith minéral, lorfqu'il est bien lavé, comme une vraie chaux métallique, c'est-à-dire, felon eux, comme un mercure privé de fon phlogistique, & ils n'ont pas manqué d'appuyer leur fentiment fur des expériences que je me fuis fait un devoir de répéter. Je vais rendre compte de mon travail; j'examinerai d'abord le turbith préparé à la manière des Pharmaciens, comme le feul qui doit porter ce nom; je pafferai à celui qu'on obtient en précipitant les premières lotions par l'alkali fixe; j'examinerai enfuite le vitriol mercuriel, & lorfque je ferai parvenu à le réduire à l'état de chaux, j'expoferai le moyen que j'ai employé pour opérer fa

réduction.

(1) Le turbith minéral eft, heureufement pour le bien de l'humanité, banni depuis long-tems de l'ufage médicinal. Le dernier Charlatan que nous avons vu en tenir boutique ouverte fur le Pont-neuf, étoit le gros Thomas: il le faifoit prendre à des dofes deux & trois fois plus fortes que celle preferite dans les dif penfaires; auffi, de quels ravages n'ai-je pas été témoin, une fois qu'il l'avoit donné à une malheureufe fille qu'il avoit entrepris de guérir du mal vénérien ? La dofe de cette violente préparation, eft de fix grains au plus; le Charlatan en avoit fait prendre dix-huit.

Le turbith n'eft pas rejetté au point de ne plus reparoître fur la fcène ; déjà on le confeille comme un errhin puiffant & falutaire; il va de pair avec le précipité rouge, & l'un & l'autre fe portent dans de jolies petites boëtes pour les faire renifler au befoin. Boyleus narrat pauculâ turpethi pro ptarmico ufurpati dofi, totum corpus mutatum, verè cataractas dissolutas, dit Boerrhaave, dans fa Chymie.

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