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Madame Nouffer ne donnoit ces pilules qu'aux payfans d'une forte complexion, qui, après avoir rendu des vers cucurbitins, par le traitement antérieur, vouloient quitter Morat, & emporter avec eux quelque remède pour achever leur guérifon. Comme celui-ci n'eft pas bon pour tous les tempéramens, on préférera, avec raison, la poudre de fougère & le bol purgatif qui produifent le même effet après plufieurs prifes, & font moins actifs.

Tablettes vermifuges & purgatives.

Prenez réfine de jalap & mercure- doux, de chacun deux gros; coraline, un gros & un fcrupule; blanc d'Efpagne ou de Troies, deux gros & deux fcrupules; fucre blanc, fix onces. Réduifez chacune de ces fubftances en poudre fine, ayant foin de tamifer le fucre & la coraline; vous mêlerez le tout avec fuffifante quantité de gomme-adragant, pour en faire une maffe qui fera applatie fous le rouleau, & partagée en cent cinquante tablettes. Ces tablettes féchées avec foin, & confervées dans des boîtes à l'abri de l'humidité, peuvent fe conferver des années entières.

Pour les employer, on fait bouillir environ fix onces de lait bien écrêmé, dont on verfe la moitié. fur les tablettes mifes dans une taffe; lorfqu'elles font bien fondues, on fait prendre au malade cette portion de lait ainfi chargée; enfuite pour ne rien laiffer, on rince la taffe avec l'autre portion, que le malade boit encore.

Ces tablettes font infuffifantes pour détruire le Ténia, elles en font feulement rendre des portions. Madame Nouffer qui leur connoiffoit cette propriété, les employoit quelquefois avant tout, pour reconnoître par quelque évacuation (1), l'efpèce de ver qu'elle avoit à combattre. Si c'étoit le Ténia, elle avoit recours à fon traitement particulier; lorfque les malades n'avoient que des vers ronds ordinaires, elle continuoit l'ufage des tablettes pendant trois jours confécutifs. Le premier jour elle donnoit aux enfans trois à fept tablettes, & fept à neuf aux adultes, ayant toujours égard à l'âge & au tempérament; le fecond & le troisième jour, elle augmentoit ou diminuoit la dofe, felon l'effet du jour précédent. Le régime étoit celui d'un jour de purgation ordinaire.

(1) Les eaux de Paffy, font encore fort bonnes pour. manifefter la préfence du ver, qu'elles font toujours paroître au-dehors lorfqu'il exifte. Cette propriété peut être attribuée au vitriol qu'elles contiennent, & qui a été recommandé par quelques Auteurs dans ce cas,

Nous obferverons, au fujet du traitement pour le Ténia, que le remède indiqué, adminiftré même plufieurs fois de fuite fous les yeux de plufieurs Médecins, à Paris, à différentes perfonnes attaquées du ver cucurbitin, a manqué toujours fon effet, & qu'ainfi on doit avoir recours à des médicamens plus efficaces pour le détruire. On obfervera encore que l'extrait de tanaifie, celui de romarin ne font point des remèdes indifférens dans ce cas, & que l'ufage des huileux mêlés au vinaigre, tels qu'on les prend en falade, contribue beaucoup à foulager les perfonnes qui ont le ver cucurbitin. On ne doit point oublier auffi que M. Paulet, Médecin de Paris, après avoir effayé plufieurs fois en vain le remède de Madame Nouffer fur une perfonne qui avoit cette efpèce de ver, n'a pas été plus heureux, en faifant prendre quinze jours de fuite à la malade, les amandes amères, à la dofe de is ou 16 par jour, ce qui furprend d'autant plus, qu'on fait que l'amande amère tue prefque tous les animaux. Ce Médecin a obfervé de plus, que dans la nombreuse famille des champignons, il y en a qui ont fait rendre plufieurs fois des vers cucurbitins à des chiens, fans faire périr l'animal qui les avoit pris; mais il n'a pas ofé en faire l'épreuve fur les hommes.

LETTRE

A l'Auteur de ce Recueil, fur une dégradation des Couleurs ;

Par M. J. A. MONGES, Chanoine Régulier, & Profeffeur de l'Abbaye de Saint-Lo de Rouen.

AVANT

VANT de vous détailler les obfervations fingulières que j'ai faites fur les couleurs accidentelles, il ne fera pas hors de propos de rapporter ce qui y donna lieu. Je venois de lire dans le Journal de Verdun du mois de Mars 1775, deux anecdotes d'hiftoire naturelle, dont l'explication ne me parut point vraisemblable: les voici en peu de mots.

Henri IV voulant jouer aux dez avec le Duc de Guife › on vit paroître tout-à-coup des gouttes de fang fur la table : on effuye, elles reparoiffent; on effuye de nouveau, mais le fang reparut fans qu'on fût d'où il pouvoit venir; ce phénomène épouvanta le Roi. Tel eft le premier fait que dans le Journal on explique par le fuivant.

M. Bequelin lifoit une Gazette en fe promenant dans le parc de Berlin; tout d'un coup il fe trouve en face du foleil, tenant toutefois fa Gazette de façon que les caractères étoient à l'ombre: il les vit alors teints d'un rouge vif & éclatant; il répète plufieurs fois & de différentes manières cette expérience, & toujours le réfultat lui fit voir que, pour qu'elle pût réuflir complètement, il falloit que le foleil frappât directement les paupieres de l'obfervateur, & que l'objet regardé fût dans l'ombre. «Toutes ces circonf»tances, ajoute celui qui rapporte ces deux anecdotes, fe trouvèrent » fans doute réunies lorfqu'Henri IV voulut jouer aux dez a.

Ce Prince, meilleur guerrier, meilleur Roi, que Phyficien ou Naturalifte, fut effrayé de ce phénomène, dont il ne découvroit point la caufe je n'en fuis pas étonné; mais ce qui me furprend, c'eft que dans ce fiècle éclairé, on veuille expliquer deux faits totalement diffemblables l'un par l'autre.

Dans les gouttes de fang qu'Henri IV apperçut fur fa table, je ne vois que cette liqueur rouge & fanguinolente, que la chenille épineufe répand quand elle paffe de l'état de chryfalide à celui de papillon; je ne vois que cette pluie de fang qui épouvantoit périodiquement les anciens, & qui jetta l'allarme & l'effroi aux environs d'Aix en Provence, en 1608. M. de Peiresc feul en découvrit alors la caufe; il compara ces gouttes de liqueurs rouges qui tapiffoient les murs de la ville & de la campagne, avec des gouttes pareilles que ces chryfalides de la chenille épineufe avoient rendues en fe métamorphofant; & fur- tout ce qui réalifa fa conjecture, ce fut lorfqu'il apperçut voltiger une nuée de papillons femblables tout-à-fait aux fiens: qui peut empêcher d'appliquer cette explication aux gouttes de fang qu'Henri IV & fes courtifans apperçurent?

Car, de bonne foi, peut-on dire que la table ne leur parut rouge, que parce que le foleil frappoit leurs yeux? Que de fuppofitions il faudroit faire à pure perte ! En voici deux des plus frappantes, mais qui fe retrouvent dans le phénomène de M. Bequelin.

D'après le résultat des expériences du Phyficien de Berlin, il falloit néceffairement qu'Henri IV, le Duc de Guife, les courtifans & les. valets qui effuyoient la table, fe trouvaffent fingulièrement placés, c'eft-à-dire, tous fur une même ligne, le foleil dans les yeux: je veux bien encore qu'ils fe fuffent trouvés rangés ainfi une fois; mais que le foleil les incommodant, ils ne fe foient point dérangés du tout; que patiemment cette ligne de gens de Cour ait attendu que des valets effuyaffent jufqu'à deux fois la table; que ces mêmes valets, après avoir rempli leur office, fe foient retrouvés juftement comme il falloit pour voir la table rouge, (car tout le monde voyoit ces taches) cela peut être, c'est dans l'ordre des combinaifons poffibles;

mais

mais qui ne dira pas avec moi, cela eft bien difficile, tranchons le mot pour ne pas dire impoffible.

La feconde fuppofition eft encore plus fingulière. Toutes les circonftances de la Gazette de M. Bequelin devant fe retrouver dans la table à jouer, elle devoit être à l'ombre dans une fituation verticale, & perpendiculaire à l'horifon, comme la Gazette : qui admettra cette fuppofition? Les tables à jouer de notre tems, & à plus forte raifon du tems paffé, étant dans une fituation parallèle à l'horifon, celle d'Henri IV étoit-elle la feule exceptée? Mais, dira t'on, la table pouvoit fe trouver tout-à-fait à l'ombre dans un coin; à cela, je demanderai pourquoi l'on vit des taches rouges fur la table plutôt que fur les murs à l'ombre? L'explication que je donne du phénomène n'eft peut-être pas plus vraie, mais elle est au moins plus vraisemblable, plus naturelle & plus phyfique; il ne faut qu'une fuppofition affez fimple.

:

Une chryfalide ou deux de la chenille épineufe fe métamorphofent en papillon comme Henri IV vouloit jouer au dez; elles répandent leur liqueur rouge; on effuye, de nouvelles taches tombent & fuccèdent aux premières : l'ignorance n'en voit pas la caufe, & ne la cherche même pas à tous les yeux ces taches rouges paroiffent du vrai fang; on crie au miracle. Dans un fiècle de carnage, où les jours ne fe comptoient que par des maffacres, des meurtres & des combats, où l'aftrologie judiciaire, fille de l'ignorance & de la pufillanimité, règnoit defpotiquement, tous les effets dont la caufe n'étoit pas connue, paroiffoient miraculeux : c'étoit, difoit on, autant d'avertiffemens du ciel, & je ne doute point que fi les Courtifans de Henri IV euffent vu le papillon répandre cette liqueur rouge, ils l'auroient pris pour un figne funefte, pour le préfage de quelque grand malheur.

Mais je m'apperçois que me voilà bien loin du phénomène dont je voulois vous entretenir c'eft en répétant les Expériences de M. Bequelin, que j'ai cru en découvrir la caufe que je rapporte aux couleurs accidentelles: la voici avec l'explication que j'ai ofé y joindre.

refermant

J'ai remarqué qu'en fixant le foleil légèrement, & que les yeux auffi-tôt, on appercevoir une tache verte bordée de rouge; que plus on fixoit cet aftre brillant, plus la tache verte diminuoit, & plus le cercle rouge augmentoit; & qu'enfin, fi l'on fe hafardoit à le fixer au point que l'œil fatigué par fon éclat, éprouvât une douleur vive, le vert alors ne paroiffoit plus ; le rouge, & un rouge éclatant, fe faifoit feul appercevoir. Continuant toujours cette expérience, je voulus voir combien de tems dureroit cette tache rouge, Tome V1, Part. II. 1775;

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les yeux,

Après donc avoir fixé le foleil autant qu'il m'étoit poffible, je ferme appliquant les deux mains deffus, afin que la lumière extérieure ne pût. nuire ; j'attendis patiemment la difparition du difque rouge; mais quel fut mon étonnement, quand infenfiblement je vis difparoître le rouge, l'orangé lui fuccéder, celui-ci disparoître pour faire place au jaune, qui bientôt s'évanouit pour me laiffer appercevoir le vert, puis le bleu, l'indigo, & enfin le violet; celuici difparut, je ne vis plus rien ! Frappé de ce phénomène de dégradation de couleur, je ne crus pas à une première expérience; à peine m'en rapportai-je à mes yeux; je la répétai plufieurs fois, & toujours le même réfultat, ou à-peu-près; enfin, j'abandonnai tout, pour ne pas perdre les yeux qui commençoient à me faire mal, douleur que j'éprouvai affez long-tems. J'ai réfléchi beaucoup fur ce phénomène d'optique, que je crois avoir échappé aux obfervations des Phyfi ciens; j'en cherchai long-tems la caufe: un Mémoire de M. de Buffon (1) fur les couleurs accidentelles, que je lus fur ces entrefaites, me fit bien appercevoir la raifon de la couleur rouge que M. Bequelin vit fur fa Gazette, & me donna la clef pour le fpectre lumineux qui s'étoit offert à ma vue; j'en hazarde une explication, vous la jugerez avec votre fagacité connue.

Toutes nos fenfations corporelles peuvent & doivent fe rapporter au feul tact: les corps nous touchent, les fons ébranlent le tympan de l'oreille, les faveurs affectent les papilles nerveufes du palais & de la langue; c'eft fur la membrane pituitaire que fe fait la fenfation des odeurs; & fur le nerf optique, celle des couleurs : les rayons de lumière réfléchis par les objets extérieurs, traverfent les trois parties de l'œil, qui ne font que l'épanouiffement des trois parties du nerf optique, le réfractent dans les humeurs, frappent enfin & ébranlent le nerf optique : la lumière eft pefante; les rayons qui la compofent le font tous plus ou moins, & c'eft de la différence de leur poids que naît la différence de leur réfrangibilité : le rayon rouge le moins réfrangible de tous, me paroît le plus pefant, & le violet le plus réfrangible; ne feroit-il pas en même-tems le moins pefant? étant donc tous de différens poids, ils doivent faire des impreffions différentes ; cela pofé, voici comme je raisonne.

Je regarde le foleil'; un faifceau de lumière vient frapper mon ail; cette fecouffe ébranle le nerf optique, le fatigue, & cette fatigue naît de la tenfion qu'il éprouve plus l'ébranlement a été vif, plus la fatigue eft forte, & plus la tenfion eft violente fi donc je

(1) Hiftoire Naturelle de M. de Buffon, t. 11, p. 517, édit. in-4°.

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