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toute la quantité que je défirois de liqueur alkaline faturée de matière colorante.

D'après cette épreuve, j'ai pensé qu'il feroit poffible de faire à meilleur compte du bleu de Pruffe bien fupérieur à celui qui est dans le commerce: dans cette Province où l'on eft à peine éveillé fur les reffources de l'induftrie, parce que l'on voudroit y faire fructifier les arts avant de les éclairer, je vois les pofitions les plus avantageufes pour l'établiffement d'une femblable Fabrique, ce font des pays arrofés par des ruiffeaux qui jauniffent leurs lits par l'ocre qu'ils y dépofent, où le charbon minéral eft abondant & de peu de valeur par la difficulté de l'exportation, & où le fel de cendres ne coûteroit prefque que la main d'œuvre; il n'y auroit donc à chercher que des poils d'animaux, marchandise affurément trèscommune par-tout, & avec cela, avec quelques chaudieres & quelques creufets, on feroit en état de fournir le plus beau bleu de Pruffe, fans être obligé d'évaporer le fang de bœuf, fans avoir befoin d'acheter ni le vitriol de Mars pour donner le fer diffous, ni la foude pour précipiter, ni l'efprit de fel pour aviver; on fatureroit l'alkali Pruffien par le bleu lui-même tout formé.

Par ce moyen, on pourroit donner aux Chymiftes cette liqueur d'épreuve à un moindre prix.

En fecond lieu, le bleu de Pruffe qui fortiroit de cette fabrique, feroit toujours d'une égale intenfité, toujours également pur & privé de matières hétérogènes, ce qui n'eft pas un médiocre avantage; les Artiftes fauroient du moins ce qu'ils acheteroient, ils y mettraient enfuite telle bafe & en telle quantité qu'ils jugeroient à-propos

Enfin il feroit facile d'en fournir de tout préparé avec la terrede l'alun à ceux qui le préféreroient; il y a des fources tout-à-lafois martiales, & alumineufes qu'il fuffiroit de précipiter par l'alkali Pruffien non faturé, ce qui épargneroit encore une opé

ration.

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Je fouhaite, Monfieur, que ces idées puiffent être de quelque utilité à ceux qui feront à portée de les fuivre ; je n'ai pas d'autre vue en vous les communiquant. J'ai annoncé il y a quelques an nées, qu'indépendamment du bleu, cette préparation pouvoit fournir à la peinture un très beau jaune orange (1); mais je ne doute pas que fon ufage ne s'étende un jour à des objets plus importans; la Médecine qui a jufqu'ici totalement négligé cette fubstance, &

(1) Digreff. Acad. page 247.

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l'alkali Pruffien que donne l'évaporation de la liqueur faturée portera tôt ou tard fes recherches fur les propriétés d'un fel qui eft, fi je l'ofe dire, animalifé, qui différe de tous les autres par ce caractère bien intéreffant, qui eft métallique, & n'a rien de corrofif, qui réfulte de l'union des principes les plus actifs, parfaitement neutralifés, qui formant un véritable hépar, ou fel à trois parties, admettant dans fa compofition la terre martiale fi amie de l'homme, ne peut manquer de produire fur l'économie animale des effets très-fenfibles, & par conféquent falutaires dès qu'ils feront indiqués.

Je fuis, &c.

S U ITE

De l'expofition des Analogies les plus fingulières & les plus importantes du Froid & du Chaud, avec les explications de ces Analogies;

Par M. CHANGEUX.

LE

XIV. ON ZIÈME

EXEMPLE.

Succeffion du Chaud & du Froid, & vice verfâ.

E grand froid & la grande chaleur produifent encore mieux l'effet général ou partiel dont nous venons de parler (1), quand ils fe fuccèdent rapidement l'un à l'autre.

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M. Sanche a raconté à plufieurs perfonnes qu'en Ruffie il n'étoit pas rare de voir des hommes périr de froid & que quand on voit quelqu'un qui a les joues très-pâles pour s'être trop expofé à l'air, on lui dit qu'il eft brûlé, & alors il va chercher de la neige pour s'en frotter le vifage, ou il fe lave avec des liqueurs tiedes, ou il va fe chauffer en prenant foin de s'approcher du feu par degrés infenfibles; car s'il fe préfentoit au grand feu, la gangrène viendroit fur-le-champ.

(1) Voyez le Cahier du mois d'Octobre précédent.

Les vaiffeaux, par la congellation font déja très - diftendus, & par le grand feu on dilate encore plus & l'on rompt les vaiffeaux. Dans le cas oppofé, c'est-à-dire lorfque le froid fuccède au chaud, il lieu à un effet auffi funefte: des perfonnes ont été attaquées de gangrène pour être defcendues l'été dans un puits, ou pour avoir mis les mains dans de l'eau froide, afin de tempérer l'ardeur de la fièvre.

Après de grandes inflammations, on remarque que le relâchement des fibres qui fuccède, eft quelquefois fi confidérable, qu'il arrive mortification & gangrène : dans l'irritation, la fibre s'allonge, &, quand la partie enflammée a repris fon volume ordinaire, elle eft trop lâche pour exercer fes fonctions.

XV.

DOUZIÈME

EXEMPLE.

Confervation des cadavres, des plantes & des animaux.

Si le froid & le chaud exceflifs ont les fuites pernicieufes que nous venons de rapporter quand il s'agit des plantes & des animaux qui jouiffent de la vie; leurs effets font tout différens quoique toujours nalogues entr'eux, quand les plantes & les animaux font morts; alors le froid & le chaud extrêmes les confervent.

La corruption des cadavres, dit M. d'Aubenton (Hift. nat. géner. & part. tom. 5. pag. 389.) & l'on peut dire la même chofe de la corruption des plantes, n'étant caufée que par la fermentation des humeurs, tout ce qui eft capable d'empêcher ou de retarder cette fermentation, contribue à leur confervation; le froid & le chaud quoique contraires, produifent le même effet à cet égard, par le defféchement qu'ils caufent; le froid en condenfant & en épaiffiffant les humeurs du corps, & la chaleur en les raréfiant, & en accélérant leur évaporation, avant qu'elles puiffent fermenter & agir fur les parties folides.

Mais, ajoute très-bien M. d'Aubenton, il faut que ces deux extrêmes foient conftamment les mêmes, car s'il y avoit une viciffitude du chaud au froid, & de la féchereffe à l'humidité, comme il fe fait d'ordinaire, la corruption arriveroit nécffairement.

Garcilaffo (hift. de Incas Rois du Pérou, tom. 1. p. 181 & faiv.) prétend, au fujet des Momies des Péruviens, autfi belles que celles des Egyptiens, que l'air eft fi fec & fi froid à Cufco que la chair s'y defsèche comme du bois fans fe corrompre, & il conjecture que l'on faifoit deffécher les corps dans la neige avant d'y appliquer le bitume il ajoute que du tems des Incas on

expofoit

expofoit à l'air les viandes qui étoient deftinées pour les provifions de guerre, & que lorfqu'elles avoient perdu leur humidité pouvoit les garder fans les faler, & fans aucune autre prépa

ration.

On dit qu'au pays de Spitgberg, qui eft à 79 ou 80 degrés de latitude, & par conféquent dans un pays extrêmement froid, il n'arrive prefque aucune altération aux cadavres qui font enfevelis depuis trente ans; rien ne fe pourrit ni ne fe corrompt dans ce pays; les bois qui ont été employés pour bâtir les huttes où l'on fait cuire les graiffes de baleine, paroiffent auffi frais que lorfqu'ils ont été coupés.

Vous conferverez du gibier, du bœuf, & autres viandes, en les enveloppant d'un linge blanc pendant qu'ils font encore frais, & les mettant dans un coffre que vous couvrirez de fable; la viande s'y conferve pendant trois semaines, & elle devient fort tendre, soit que ce lieu foit fec ou qu'il foit humide; fi le coffre est bien couvert de fable, la corruption fera très-long-temps retardée.

Aux obfervations fur les effets du grand froid fur les corps morts des animaux & des végétaux, l'Auteur que j'ai cité ajoute auffi - tôt celles que l'on a faites fur le grand chaud par rapport aux mêmes objets, il n'eft pas moins certain, dit ce Naturalifte, que la féchereffe, qui eft caufée par la grande chaleur, préferve, comme le grand froid, de la corruption. On fait que les hommes & les animaux, qui font enterrés dans les fables de l'Arabie, fe defsèchent promptement & fe confervent pendant plufieurs fiècles comme s'ils avoient été embaumés. Il eft fouvent arrivé que des caravanes entières ont péri dans les déferts de l'Arabie, foit par les vents brûlans qui s'y élèvent, & qui raréfient l'air au point que les hommes ni les animaux ne peuvent plus refpirer, foit par les fables que les vents impétueux foulèvent à une grande hauteur, & qu'ils déplacent à une grande diftance; ces cadavres fe confervent dans leur entier, & on les retrouve dans la fuite par quelque effet du hafard. Plufieurs Auteurs, tant anciens que modernes, en ont fait mention. M. Shaw, (Voyage dans plufieurs Provinces de l'Afrique, imprimé à la Haye, in-4. tome 2, page 79) dit qu'on lui a affuré qu'il y avoit un trèsgrand nombre d'hommes, d'ânes & de chevaux, qui étoient confervés depuis un tems immémorial dans les fables brûlans de Saibah, qui eft un lieu que cet Auteur croit fitué entre Ruffem & l'Egypte.

Si l'on veut conferver les plantes, on peut le faire par la déficcation, & l'on fait que les feurs confervent de cette manière leurs couleurs & tous leurs caractères.

Tome VI, Part. II. 1775.

XVI. TREIZIÈME

EXEMPLE.

Couleur chez les Peuples qui habitent les climats les plus oppofes pour la température.

Il est un effet très-remarquable que le froid & le chaud extrêmes produifent également, c'eft la couleur chez les hommes.

Les voyageurs ont rencontré des Nègres dans les pays extrêmement froids & extrêmement chauds : la chaleur, dit M. de Buffon, lorfqu'elle eft exceffive, comme au Sénégal & en Guinée, rend les hommes tout-à-fait noirs; lorfqu'elle eft un peu moins forte, comme fur les côtes orientales de l'Afrique, les hommes font moins noirs; lorfqu'elle commence à devenir un peu plus tempérée, comme en Barbarie, au Mogol, en Arabie, les hommes ne font que bruns ;, & enfin, lorfqu'elle eft tout-à-fait tempérée, comme en Europe & en Afie, les hommes font blancs; on y remarque feulement quelques variétés qui ne viennent que de la manière de vivre. Par exemple, tous les Tartares font bafanés, tandis que les peuples de l'Europe, qui font fous la même latitude, font blancs, parce que les Tartares font toujours expofés à l'air, qu'ils n'ont ni villes, ni demeures fixes, qu'ils couchent fur la terre, qu'ils vivent d'une manière dure & fauvage..

Mais lorfque le froid devient extrême, il produit quelques effets femblables à ceux de la chaleur exceffive. Les Samoïèdes, les Lapons, les Groëlandois, font fort bafanés; on affure même qu'il fe trouve parmi les Groëlandois des hommes auffi noirs que ceux de l'Afrique. Les deux extrêmes fe rapprochent ici; un froid très- vif, une chaleur brûlante, produifent le même effet fur la peau, parce que l'une & l'autre de ces deux caufes, agiffent par une qualité qui leur est commune; cette qualité eft la féchereffe qui, dans un air trèsfroid , peut être auffi grande que dans un air très chaud. Le froid comme le chaud, doit deffécher la peau, & lui donner cette cou leur bafanée que l'on trouve chez les Lapons.

XVII. QUATORZIÈME

EXEMPLE.

Les climats extrêmes font également défavorables au développement des parties du corps, & produifent le plus de Nains.

La Nature, qui a mis des peuples d'une taille très-petite, & même de véritables nains vers le Pôle, en a auffi placé fous la Zone Torride; le peuple nain, connu fous le nom d'Efquimaux

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