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La 8e. Regle que la politique prescrit à un état libre, & qui regarde plus fpécialement la conduite du peuple, c'eft qu'il doit user avec modération de la liberté qu'il vient d'acquérir,' pour qu'elle ne dégénere point en licence, parce que devenant alors une efpece de tyrannie, elle occafionne ordinairement la diffolution de la république qu'elle a corrompue, & fait que l'on y préfere le defpotifme.

Cette regle paroît fi importante à l'auteur, qu'il s'arrête à la développer & à établir les moyens qu'un peuple libre doit employer pour prévenir cette licence dangereufe, & pour tromper toutes les espérances des ennemis de fa liberté.

1. Eviter les diffentions civiles, & fe fouvenir fans ceffe des dangers qu'il y auroit à recourir à la violence, pour punir les fautes que la foibleffe pourrait faire commettre aux citoyens entre les mains defquels on a placé l'exercice de l'autorité & toute fa confiance.

2°. Dans l'ufage du droit dont jouiffent les citoyens, d'émettre leur vou pour l'élection des magiftrats, ils doivent avoir fans ceffe les yeux ouverts fur le mérite des candidats qui fe préfensent, & ne choifir que les perfonnes qui ont été les plus actives & les plus ardentes dans leur amour pour la patrie, que ceux dont la fageffe & le patriotisme ont affermi la liberté, & qui leur en affureront la jouiffance..

3o Prendre garde de ne donner à qui que ce foit le droit de fiéger fur un tribunal, ou dans un confeil fuprême, fans y être déterminé par un mérite reconnu il faut que dans ce choix

l'efprit de faction, la voix du fang, les liens de l'amitié, rien de tout ce qui peut illuftrer un candidat, ne priffe influer dans les élections. Si les fuffrages du peuple ne tombent que fur celui qui réunit la probité la plus fcrupuleuse à une profonde fageffe, on verra l'univers entier applaudir à ce choix, & l'équité fermera la bou che à ceux-là même qui pourroient avoir des défirs oppofés; mais fi le peuple, dans fes élections, fe laiffoit guider par des motifs différens, on doit s'attendre à ce que la promotion des citoyens ainfi immoralement élus, excitera le mécontentement, fi elle n'engendre pas une divifion dans l'état.

4o. Se conferver toujours le droit de faire. rendre compte à fes officiers & à fes magiftrats de leur conduite & de leurs actions; permettre en tous tems aux citoyens de le porter accufateurs contre ceux dont ils croient avoir raison de fe plaindre mais auffi éviter avec le plus grand foin d'imputer à ces chefs des fautes qui n'ont d'existence que dans la haine ou la calome nie qui les répand: fi l'on fouffreit un pareil excès, ce feroit abuser honteusement de la liberté.

5o. Ne confier à une même perfonne qu'une telle portion d'autorité qu'il foit toujours facile de la limiter ou de la fufpendre, plutôt que de fouffrir que l'exercice en devienne dangereux entre fes mains. Les honneurs, les richeffes, les dignités acquifes ou confervées, expofent l'homme à des tentations irréfiftibles; toute fa vertu & toute fa fageffe oppofent à leur effort une résistance

qui est toujours trop foible contre le flot impétueux de toutes ces puiffances réunies. Il eft donc de la derniere prudence pour un peuple habitué à jouir de fa liberté, & particuliérement pour celui qui vient de la conquérir, après avoir subjugué la tyrannie, de difpofer tellement de l'exercice de fon autorité, qu'il ne laisse à l'ambition aucune forte d'efpérance. C'eft ainfi qu'il prémunira fes chefs contre toutes les tentations de l'intérêt personnel, & qu'il parviendra à éviter ces diffentions inteftines, dont la fuite a toujours fini par la ruine de la liberté publique.

La ge. & derniere Regle, qui eft effentiellement liée à la liberté publique, confifte à regarder comme criminel de haute trahison, & indigne d'aucune espece de faveur & de grace, celui des citoyens qui auroit attenté contre les droits & la majefté du peuple.

L'auteur anglois termine cette théorie complette de la liberté & de la fouveraineté du peuple par des réflexions importantes fur le choix des repréfentans. Dans un état nouvellement libre

il eft, dit-il, raisonnable de fuppofer qu'il eft des efprits mécontens & actifs qui, voyant le » peuple prêt à s'affemhler pour choifir fes re> présentans, fe donneront tous les mouvemens imaginables pour s'infinuer dans fes bonnes graces, & gagner fa confiance, dans la vue perfide de partager l'adminiftration actuelle, pour gagner enfuite l'efprit de leurs collegues, » & donner une nouvelle vie à l'ancien gouvernement par la deftruction de l'adminiftra>tion populaire.

On ne peut douter que, dans ce cas, le ♦ choix des hommes à nommer n'exige de grandes précautions de la part des électeurs, qui » doivent également fe défendre des ennemis an> ciens & nouveaux de la conftitution, & qui > doivent encore avec plus de foin, éloigner de > leurs affemblées fuprêmes ces gens indifférens a qui ne font d'aucun parti, parce que, fem

blables à l'animal amphibie de Laodicée, qui > vivoit également dans les deux élémens, ces gens n'ont jamais d'opinion qui leur foit propre, & qu'ils fuivent en toutes circonftances > le parti qui flatte leur malignité naturelle : > remettre l'autorité à la difcrétion de pareils » fujets, c'eft expofer la conflitution la plus fage ‣ à être totalement renverfée. On ne peut donc > être trop exact, dans tous les tems, à fermer > l'entrée des affemblées fuprêmes de la nation à > ces hommes ouvertement. ou fecrétement dé> clarés contre la forme de fon adminiftration; › ainsi qu'à ceux qui n'épousent que foiblement > les intérêts du peuple; le refte a un droit in> conteftable à partager le pouvoir suprême, & > à jouir de tous les droits qui y font attachés.... » Quelque abus qu'il en puiffe faire, il eft de la

juftice qu'il en jouiffe ; & les inconvéniens qui en peuvent réfulter, ne feront jamais com» parables à ceux qui fuivroient la témérité de l'en dépouiller ou de les lui refufer. «

Needham eft regardé par les Anglois comme un des génies les plus hardis qui aient écrit fur la liberté des peuples. On voit qu'il n'eft pas moins méthodique & moins régulier que hardi,

Au-lieu de difcourir fur fon ouvrage, nous avons cru qu'il feroit utile de réduire fon systême aux fimples élémens, & de les rendre familiers à nos lecteurs; mais nous les invitons à en chercher dans Fouvrage même les développemens & les preuves. Ses principes fur les élections peuvent furtout être utiles dans ce moment où, pour la feconde fois, les électeurs chargés de nos pou. voirs, choififfent les repréfentans dont la volonté réunie doit former la loi, unique fouveraine d'un peuple libre.

Cette traduction, qui n'a point été affez annonsée, méritoit de l'être avec éloge. Elle eft écrite d'un ftyle qui a toute la liberté de l'original. M. Mandard l'a ornée de notes & d'appendices, tirés, comme le titre l'annonce, de ceux de nos philofophes, de nos publiciftes & de nos hiftoriens qui ont écrit avec le plus de force en faveur de la liberté. Elle est précédée d'une préface remplie de chaleur & de patriotisme, & faivie d'une lettre du traducteur, plus chaude encore & plus patriotique que la préface. Cette ardeur n'eft pas feulement dans les écrits de M. Mandard, elle eft auffi dans fes actions, & cette lettre l'attefte on y voit qu'il eut, en 1789, une part très-active dans les grands événemens des 12, 13 & 14 juillet; ce fut lui qui, au moment où la Baflille venoit d'être prise, osa pénétrer dans le camp du champ de Mars, noncer ce fait mémorable à M. de Béfenval, qui refufoit de le croire, & engager ce général à éviter par la fuite une action infructueusement meurtriere entre des troupes laffes de fervir le

an

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