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vent que le peuple a fait quelque changement dans le mode de fon gouvernement, on a négligé d'examiner fi la tyrannie que l'on venoit de détruire, & qui avoit forcé le peuple à changer fon gouvernement, ne fe reproduiroit pas avec plus d'énergie fous la forme nouvelle de l'admi niftration. Il n'eft donc pas étonnant que, quels qu'aient été les changemens qu'on a vus s'opérer dans les différens modes du gouvernement des nations, la tyrannie fe foit perpétuée avec les fiecles. Pour éviter cette erreur, il faut donc, par exemple, lorsqu'on a détruit le defpotifme, ou, ce qui eft la même chose, la monarchie abfolue, ne rien introduire dans le nouveau gouvernement qui puiffe ramener les mêmes abus, ni rendre à qui que ce foit des prérogatives qui puiffent, dans l'avenir, en occafionner le retour.

Ille. Erreur. Laiffer ignorer au peuple les moyens les plus effentiellement néceffaires pour la confervation de fa liberté. La tyrannie a tou. jours abhorré & retardé autant qu'elle a pu l'inftruction du peuple. Cette inftruétion doit done être un des premiers foins d'un gouvernement libre.

- IVe. Erreur. Se laiffer gouverner‘dans l'adminiftration des affaires, fans aucun égard pour ce qu'exigent les loix d'une probité rigoureuse. Cette erreur, connue fous le nom de raison d'état, eft d'autant plus dangerenfe qu'elle eft commune à prefque toutes les nations de l'univers, & qu'on pourroit la comparer à une épidémie qui infecte & détruit la morale des états. On entend par waifon d'état ces décifions fondées fur des princi

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pes corrompus, que les rois ont invoqués pour légitimer & pour avouer des fautes commises par des vues fecretes & cachées. ... ... C'est à cette raison d'état qu'on doit oppofer une méthode bien préférable, & qui confifte à mettre toute la confiance en Dieu & dans fon courage, lorsqu'on fe trouve dans la néceffité de faire des actions vigoureufes qu'exige la justice; c'est alors que l'homme honnête fatisfait doit se dire : Fiat juftitia & fractus illabatur orbis..... S'il obtient le fuccès qu'il défire, n'eft-il pas fuffifamment récompensé en confidérant qu'il a procuré le bien de fa patrie ? S'il meurt avant d'avoir couronné fes entreprises, il defcend au tombeau couvert d'une gloire que rien ne peut ternir.

Ve. Erreur. Confier à un feul homme, ou à plufieurs familles réunies conftamment à cet effet, le pouvoir légiflatif & le pouvoir exécutif de l'état. Sans un tas tout-à-fait extraordinaire, on ne peut unir ces deux pouvoirs dans les mains d'une même claffe de citoyens, dont les intérêts réunis deviendroient directement contraires à celui de l'état, fans expofer la république aux plus grands dangers; il eft donc néceffaire que ces deux pouvoirs, placés dans des mains différentes, ne fe rencontrent jamais dans les mains d'un feul, excepté dans le cas d'un péril imminent pour la chofe publique, or, la gravité & l'importance même d'un péril auffi grand ne peuvent jamais être que d'une courte durée.

Vle. Erreur. Soumettre avec trop de facilité à la décifion de quelques individus les affaires & les intérêts du peuple, en ôter la connoissan

ee au peuple lui-même & à fes repréfentans VIIe. Erreur. Se laiffer conduire par un esprit de faction ou de parti. Un peuple libre qui se laiffe ainfi conduire, détruit jusque dans fes fondemens les bafes de la liberté & celles de la profpérité publique. Si l'on découvre chez ce peuple des deffeins, des confeils, des actions qui combattent fes intérêts réels & avoués par la conftitution, l'on en peut infailliblement conclure qu'il y a une faction, & que les citoyens qui donnent ces confeils, ou qui protégent ces actions, compofent le parti des factieux, qui eft toujours d'autant plus à craindre que les diffentions intérieures qui en font la fuite, en déi chirant l'état, le livrent à la merci des ennemis domeftiques ou étrangers, & expofent les biens les jours & la liberté du peuple à toutes les horreurs du pillage & de la guerre civile.

VIIIe. Erreur. Elle confifte dans ce honteux penchant que les nations ont montré dans tous les fiecles, à s'affranchir de leurs engagemens & de leurs promeffes, encore qu'elles aient été faites fous la foi du ferment, felon que les tems ou les circonstances leur faifoient appercevoir un avantage à les enfreindre.

L'auteur, pour combattre cette erreur avec plus d'avantage, site le chapitre entier du livre du prince, où Machiavel examine fi les princes doivent tenir leur parole, & où il se détermine pour la négative avec un fang-froid qui a fait foupçonner que cet ardent républicain n'avoit établi cette doctrine effrontée que pour dégoûtter tous les peuples des princes & des rois, ens

nemis naturels de la liberté. Needham, en le combattant, feconde parfaitement fon projet; & fi fes réponses ne peuvent corriger les princes de mauvaise foi, elles peuvent au moins garantir les peuples d'être leurs dupes.

Toutes ces erreurs ne font pas dénoncées de fuite dans fon ouvrage, il en interrompt l'énumération, & s'arrête après la troifieme, pour donner les regles qu'il croit les plus propres au maintien de la liberté. Voici ces regles dégagées de tous les développemens & des nombreux exemples hiftoriques dont il les accompagne.

Ire. Regle. Entretenir la haine du peuple pour le gouvernement qu'il a détruit, comme on eut foin d'entretenir toujours chez les Romains la haine pour les rois; renverfer de fond en com. ble les établiffemens vicieux qui favorifoient la fuperftition ou le defpotifme, & prendre pour devife ce mot d'Henri VIII, qui, après avoir faifi les revenus des abbayes, en fit démolir les bâtimens, & dit : Détruifez les nids, & les > corbeaux n'y viendront plus.

2c. Regle. S'oppofer avec le plus grand foin à ce qu'aucun citoyen, ou aucune association, ne s'éleve avec fierté, ne puiffe acquérir plus de crédit, & ne paroiffe avec un éclat qui infulte à l'égalité.

3e. Regle. Avoir un foin extrême de ne point permettre que le commandement foit continué trop long-tems dans les mains d'un particulier ou d'une même famille, & de fixer le tems auquel ceux qui l'exercent devront le quitter.

4e. Regle. Ne jamais fouffrir que deux per

jonnes d'une même famille rempliffent en mêmetems des emplois importans, ni qu'aucune dignité confidérable foit continuée dans une feule & même maison.

5e. Regle. Perfonne, dans un état libre, ne doit attaquer la majefté des décifions, ni en révoquer en doute la légalité, foit qu'elles foient prononcées par un fénat, ou qu'elles foient le résultat des affemblées générales de la nation. S'il pouvoit exifter une autorité capable de les altérer à fon gré, ou de les contredire, la li berté difparoîtroit à l'inflant.

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6e. Regle. Exercer continuellement les citoyens dans le maniement des armes, & confier toute la force militaire entre les mains du peuple, ou du moins de ceux des citoyens qui font les plus zélés pour la confervation de la liberté; de façon que les affemblées fuprêmes foient toujours en état d'en difpofer à leur gré. En un mot ne confier l'exercice des armes qu'à ceux qui font fermement attachés à la forme d'un état libre, & dont le zele & les fentimens pour la chofe publique font connus ; qui ne déferteront jamais la caufe de la liberté, de quelque prétexte que l'on ufe & de quelque moyen que fe fervent les agens du pouvoir, pour égarer leur patriotisme.

76. Regle. Dans les états libres, il est néceffaire que les enfans foient élevés & inftruits dans les principes de la liberté, afin qu'ils les chériffent par préférence à tout, que leur ame fe pénetre de Bonne heure de toutes les vertus, par P'ensemble defquelles la liberté eft un bienfait.

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