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que leur paffion fe contentoit à peu de frais, & qu'ils étoient encore bien loin de la jouiffance.

Aujourd'hui que nous en fommes plus près que les Anglois ne l'étoient alors, il nous importe extrêmement de ne pas nous y abandonner en aveugles, & d'en connoître en quelque forte l'art & la théorie. Perfonne ne l'a établi avec plus d'ordre & de méthode que Needham'. Suivons-le dans fes divifions & fes fubdivifions. Comme en parlant d'un peuple libre, il a furtout en vne un peuple qui a récemment conquis la liberté, nous nous reconnoîtrons fouvent dans fes tableaux, & nous n'en profiterons que mieux de fes préceptes.

Il prouve d'abord par quatorze raisons, que le peuple, ou plutôt les citoyens choifis fucceffivement pour reprefenter le peuple, font les meilleurs gardiens de la liberté.

Ire. Le peuple ne penfe jamais à envahir les droits d'autrui il ne s'occupe que des moyens de conferver les fiens.

He. C'est au peuple feul qu'il importe de veiller à ce que l'autorité foit telle, qu'elle devienne plutôt un fardeau qu'un bien réel pour ceux qui en font revêtus, & qu'ils y trouvent des avantages fi modérés, qu'ils ne puiffent jamais exciter l'envie.

Ille. Le peuple, au moyen du choix fucceffif de fes représentans dans fes grandes affemblées, conferve la liberté, parce que dans les fociétés civiles, comme dans les corps politiques, le mouvement empêche la corruption.

IVe. Cette fucceffion du pouvoir fuprême nonfeulement empêche la corruption, mais encore

détruit l'efprit de faction (cette pefte des répu bliques), qui fe forme un intérêt féparé & contraire à celui de l'état. Avant que de réuffir dans leurs projets, les factieux, pour s'affurer de leurs moyens & de leurs créatures, font obligés de diffimuler, afin d'écarter fourdement, & avec adreffe; tous ceux qui leur font oppofés; il faut à ces factieux, avant d'éclater, un certain laps de tems or la révolution fucceffive du pouvoir dans les mains des repréfentans du peuple, eft un fol mouvant qui renverse tous les projets conçus par l'ambition ou par la tyrannie.

Ve. Cette fucceffion eft un obftacle à l'ambition des particuliers, à toutes les tentations de l'intérêt personnel. Il faut du tems pour réuffir dans les deffeius que l'on a formés pour créer ou pour encourager un parti: il faut que ces deffeins reflent long-tems dans un état de fermentation, fi l'on veut atteindre le but défiré. C'est ce que ne leur permet pas la fucceffion rapide & continuelle du pouvoir fuprême.

VIe. Un état libre eft préférable à un état gouverné par les grands & les rois, & le peuple peut être regardé comme le meilleur gardien de fa liberté, parce que le but de tout gouvernement eft ou doit être le bien & la tranquillité du peuple, & la jouiffance affurée de fes droits fans contrainte, ni oppreffion. Un peuple libro peut, avec plus de fageffe & de puiffance que les grands & les rois, recourir aux remedes qui conviennent à ses maux pour en diminuer les excès, les fupporter avec fierté, les vaincre par fa conftance, ou les furmonter par fon courage.

gées contre ceux qui les violent, le rend inexcufable quand il a commis une faute; il s'y foumet plus volontiers,

Dans ce paragraphe, Needham cite un mot de Jacques I, qui prouve combien il eft important que le peuple nomme & les juges & fes évêques. Tant que j'aurai, difoit ce roi, le > pouvoir de nommer les juges & les évêques, je fuis affuré d'avoir des loix & un évangile > qui me plairont. «

Xlle. La forme d'un état libre eft plus convenable à la nature & à la saine raison; l'homme, comme le dit Cicéron, eft une créature noble, née avec des difpofitions qui le portent plutôt à commander qu'à obéir. Il y a en lui un défir naturel de la fouveraineté; ainfi la raison pour laquelle un homme confent à fe foumettre au gouvernement d'un autre, n'eft pas qu'il a moins de droit que lui au commandement, mais parce que peut-être en feroit-il moins capable, ou penfe-t-il qu'il eft plus convenable pour lui & pour la fociété dont il est membre, de fe laiffer gouverner par un autre. D'où il fuit naturellement, 1. que la nature enfeigne au peuple à deffiner & à choisir cette forme de gouvernement fous laquelle il prétend vivre ; 2o. que perfonne ne doit tenir les rênes du gouvernement, que celui que le peuple aura choifi; 3°. que le peuple eft le feul juge compétent des avantages ou des inconvéniens du gouvernement, & de la conduite des chefs qu'il s'eft choifis. Ces trois inductions ne font qu'une application de cetto maxime: Que le peuple eft la fource de la

fouveraine

fouveraine puiffance; que le pouvoir fuprême réfide en fes mains, & qu'il eft lui même fon pre pre législateur.

Si donc un état libre gouverné par le peuple, c'est-à-dire, par fes repréfentans fucceflifs dans fes affemblées fuprêmes, eft le plus convenable & le plus naturel; il en résulte que le gou vernement où le pouvoir réfide entre les mains d'un feul, ou dans celles d'un certain nombre, affemblé fous le nom de fénat, eft contraire aux principes de la mature: on doit le regarder comme l'invention de quelques grands, qui, voulant fatisfaire leur orgueil ou leur ambition défordonnée, s'efforcent d'opprimer le reste des citoyens par le plus infupportable esclavage.

XIIIe. Les états libres offrent moins d'occa fons d'opprimer & de tyrannifer le peuple, que toutes les autres formes de gouvernement. Dans un état libre, le premier objet eft de mettre la plus grande égalité entre tous les citoyens, afin d'empêcher qu'un ou plufieurs individus ne puif fent acquérir un trop grand pouvoir, & que qui que ce foit ne puiffe ufurper des droits & une autorité qui détruiroient cette harmonie fi ́ né➡ neffaire, au maintien & à la confervation d'une parfaite égalité fans laquelle la liberté n'est qu'un nom. Par ce moyen, le peuple met fa liberté à l'abri des empiétemens de fes propres officiers. Il eft en fûreté contre tous les efforts & l'ambition de ces petits tyrans, hahiles à ufurper des prérogatives & tout ce qui tient au pouvoir & à la grandeur, pour s'élever au-deffus de leurs cons citoyens, à quelque titre que ce soit.

Tome XII.

C

XIVe. Le gouvernement du peuple, confié aux affemblées fuprêmes & fucceffives de fes représentans, eft préférable à tout autre; parce que fous cette forme, tous ceux qui ont eu part aux affaires, font, après leur geftion, redevables au peuple de la comptabilité de leur adminiftration; & l'homme puiffant, rentrant bientôt dans la claffe' des fimples citoyens, eft foumis à toute la rigueur des loix: or, s'il a démérité & fubi quelque punition, ceux qui lui fuccedent ont néceffairement moins de hardieffe; ils abufent avec moins d'audace de leur autorité pour opprimer le peuple. C'eft ainfi feulement qu'on peut fe mettre à l'abri de la tyrannie, qu'on détruit celle qui paroît la mieux affurée, que l'on étouffe celle qui eft encore dans fa naiffance, & qu'on s'en affranchit pour toujours.

Après avoir appuyé ces raisons de tous les exemples que peut fournir l'hiftoire, tant ancienne que moderne, l'auteur, dans fa feconde partie, paffe en revue les objections que l'on peut faire contre fon principe.

Re

1ere. Objection. Un gouvernement libre met tous les hommes de niveau, & tend à établir la confufion des rangs & des fortunes. ponfe. Cela peut être pris dans un fens favorable, & être appliqué avec vérité à une conftitution libre; mais dans le fens contraire, il n'eft pas vrai que cette conftitution confonde les fortunes, puifqu'elle protége éminemment les propriétés. Il n'eft pas vraisemblable de fuppofer qu'un corps auf hien choifi que celui des se

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