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bien faire fentir à Fidele, & puis il l'a laiffé marcher devant lui. » Il s'eft mis (dit-il) à quêter > fur vos pas; il m'a conduit à l'entrée du bois; > j'ai rencontré des noirs qui m'ont dit que vous » étiez au bord du ruiffeau; Fidele m'a amené » jufqu'au rivage, où il a aboyé de toutes fes forces; alors j'ai couru, vous vlà, je vous > trouve. << Paul lui répond: » Tiens, nous allions partir. « On avife au moyen d'aller promptement raffurer les bonnes meres; Paul dit à Domingue de lui placer Virginie fur les épaules, & au moment de prendre ce parti, les noirs auxquels Domingue avoit parlé paroiffent. Ils ont vu Virginie implorer la grace de Zabi, leur camarade; ils en font reconnoiffans, ils veulent la porter à fon habitation; en un inftant, une civiere eft difpofée pour cela; on y place Virginie; elle tient la main de Paul, & toute la troupe part en chantant :

Nous porter toi chez tes parens,
Sur ce petit lit de feuillage,

Leur ramener jolis enfans,

Tout plaifir pour nous ce voyage.

C'eft par-là que fe termine cet aimable premier acte.

Au fecond, le théatre repréfente le jardin de l'habitation de Mde. de La Tour. Deux palmiers à-peu-près de même grandeur font à l'entrée.

Les deux amies, Marguerite & Mde. de La Tour, gémiffent enfemble de ce que leurs enfans ne reparoiffent point encore. Marguerite sepen lant dit à Mde. de La Tour de fe repofer

fur la fidélité de Domingue, de ce bon noir qui eft à leur recherche, & elle l'engage, tandis qu'elles font feules encore, à l'inftruire du nouveau fujet d'inquiétude qu'elle paroît avoir depuis la réception d'une lettre.

Cette lettre eft du gouverneur de l'ifle, qui arrive de France, de M. de La Bourdonnais, ce brave militaire qu'elle avoit accufé de dureté quand elle le vit à fon fecond voyage dans fa patrie. Ii a plaide, dit-elle, ma caufe auprès de ma parente, Mde. de Saint-Phar, qui commence à me vouloir du bien; mais à quelle condition? Elle me demande de lui envoyer Virginie. Le gouverneur lui écrit qu'il part aujourd'hui un vaiffeau, & qu'il viendra dans la journée chercher fa réponse. Au moment où les deux amies réfléchiffent douloureufement à cette fituation, l'on entend la voix de Paul, qui, en entrant, s'écrie: C'est nous c'est nous. - Malheureux enfans, d'où venez-vous leur dit Mde. de La Tour? Dans quelles angoiffes vous nous avez jettées !

Virginie raconte toute l'hiftoire du malheureux noir qui les à retenus, qu'ils ont fecouru, & auquel ils ont donné leur déjeûner. Paul s'apperçoit d'un arbre qui eft caffé, & il en demande la caufe. Marguerite lui répond: » C'eft > l'orage de ce matin : tu fais que nous en avons > tous les jours. Hélas! oni, répliqué Paul: >> ça me fait une peine pour ces vaiffeaux, & » ceux qui partiront demain... « A ce mot Marguerite lui met la main fur la bouche & l'embraffe. L'intérêt redouble encore lorfque Virginie dit gaiement : Pourquoi partent-ils ? Qu'ils faffees

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comme nous, qu'ils reftent. Puis, voyant des pleurs couler des yeux de Mde. de La Tour, ne pleure donc pas, maman, lui dit-elle, me v'là. Comme ces deux enfans ignorent l'effet de toutes les affurances qu'ils donnent de ne plus s'éloigner, ils s'y livrent avec une naïveté touchante. Les obfervations des deux meres mêlées à ce qu'ils difent, forment un quatuor dont on ne peut imaginer l'impreffion. Sœur, dit Paul, nous ne > voyagerons plus : cela leur fait trop de peine. <

Quelques details des dégâts qu'a faits l'orage de la veille, rapportés par Domingue, effraient toute la maison, & Paul craint beaucoup que le bofquet de Virginie, qui eft fon ouvrage, n'en ait fouffert. Il propofe d'aller le voir tous enfemble.

Il n'y a que Mde. de La Tour qui refe, & qui dit à Marguerite de profiter de cette promenade avec fon fils pour le prévenir fur la propofition qui vient de lui être faite, & fur le parti cruel que le bonheur de Virginie la force à prendre.

Pendant cette vifite du bofquet de Virginie, arrive M. de La Bourdonnais. Il eft introduit auprès de Mde. de La Tour, à laquelle il dit ce que la lettre de Mde. de Saint-Phar lui a déjà trop appris. Rien de plus touchant que le développement de la répugnance de la mere à fe féparer de fa fille; mais de la part du fage gouverneur, rien de plus raifonnable que les motifs par lefquels il combat cette répugnance. Il s'engage avec elle, fi elle ne peut fe charger de conduire sa fille, à en prendre les foins les plus

marqués & les plus religieux. » L'innocence, » lui dit-il, eft fi intéreffante! Virginie fera l'ob»jet de mes foins, de mon respect, & je vous » promets de la traiter comme ma fille «<.

Mde. de La Tour lui répond que tout ce qu'il vient de lui dire commande plus fortement à fa railon qu'à fon cœur, & elle promet d'inf truire fa fille des propofitions qu'il lui a communiquées. Elle va faire prier fon pafleur de paffer chez elle, afin d'encourager fa fenfibilité & celle de Virginie; mais elle ne peut diffimuler au gouverneur combien elle eft alarmée pour Paul de la féparation de ces deux jeunes gens. L'honnêre M. de La Bourdonnais offre, à cet égard, tout ce que fa place le met dans la poffibilité de faire pour ce jeune homme, dont il connoît les bonnes qualités. Avant de fortir, il lui remet les marchandifes qu'il a été chargé de donner à Virginie, ainfi qu'un fac de piaftres qui peut pourvoir à tous fes befoins, & il l'avertit que, ce foir, un coup de canon fera le fignal du départ de fon vaiffeau, & qu'il faudra que fa fille y foit rendue.

Virginie arrive avec le pafteur; elle eft fort gaie fon bofquet n'a éprouvé aucun dommage; mais comme elle voit fa mere toujours trifte, Sois done tranquille, lui dit-elle. Voilà notre ben pafteur qui vient te confoler avec moi; petite mere, je ne partirai plus. On fent que ce mot eft déchirant pour Mde. de La Tour. Virginie apperçoit la malle des étoffes, le fac de piaftres, & elle demande ce que c'eft. » C'eft (lui dit fa » mere) un préfent que t'envoie la parente que

» nous avons en France & dont je t'ai parlé » A l'afpect de tout ce que renferment la malle & le fac, elle s'écrie: Ah! ma mere, tu ne manqueras plus de rien. Puis elle met dans le chapeau du pasteur des picces d'or du petit fac; afin qu'il les diftribue à fes pauvres. La reconnoiffance qu'elle témoigne pour la tante qui lui envoie ce riche préfent, fait dire à Mme. de La Tour: Tu ne ferois donc pas fachée de la voir ? Virginie répond naïvement: Au contraire, la reconnoiffance dit à mon cœur de la chercher. Mme. de La Tour lui donne la lettre qu'elle a reçue. Prie, lui ditelle, le pafteur de te la lire, & elle s'écarte fort émue.

Le Pafteur lit la lettre, & Virginie eft confternée. Tu n'as donc pas lu cette lettre avant de me la donner?.... Sais-tu ce qu'elle me propofe? Oh! tu ne le fais pas furement. Le récit de ce qu'elle contient eft le fujet d'une ariette dont on conçoit les tendres détails.

non,

Mme. de La Tour repréfente à fa fille que ce n'est pas une féparation, que ce n'eft qu'un voyage; elle lui peint tous les avantages qui en feront la fuite pour eux tous & pour Paul; elle lui dit de confulter là- deffus le pafteur, & le paiteur eft de l'avis du départ de Virginie. » Vo» tre mere cft pauvre (lui dit-il): depuis bien » des années, fon courage l'a élevée au deffus de l'infortune; mais il s'affoiblit avec l'âge. Alors le bonheur des parens devient un de» voir; & puifque vous pouvez..... « Virginie, à laquelle on préfente encore le tort qu'elle fera aux pauvres de l'ifle, fi, en ne partant pas, elle

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