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Le 1er pluviose an IV (21 janvier 1796), quatrième anniversaire de la mort de Louis XVI, dont la célébration revêt une importance toute spéciale. A 8 heures du matin, la cloche « des assemblées politiques >> et la générale avertissent les citoyens «< sans entendre les y contraindre, » qu'il est de leur devoir de pavoiser leurs fenètres des drapeaux aux trois couleurs. Tous les « salariés » de la République se réunissent, à dix heures, à la maison commune, pour se diriger, précédés d'une musique guerrière qui joue le « Ça ira, Marseillaise,» « le Chant de Départ, » et suivis par la force. armée, vers la galerie du ci-devant évèché, où les attendent des chanteurs des deux sexes qui saluent leur entrée par des hymnes patriotiques. Tout fonctionnaire affirme. solennellement qu'il est sincèrement attaché à la République, qu'il voue une haine éternelle à la royauté, et chacun signe sa déclaration sur un procès-verbal qui mentionne soigneusement le nom des rares absents.

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Enfin, tous les décadis, le peuple participe, comme par le passé, aux fêtes décadaires, dans le temple de l'Etre suprême, jusqu'au 29 frimaire an III (19 décembre 1794), et, à partir du 29 frimaire (19 décembre), dans le local de la société populaire (chapelle du Collège) (1). Mais les fêtes décadaires sont quelque peu négligées et le représentant du peuple, Ch. Delacroix, engage vivement, dans le courant de brumaire (novembre), les pouvoirs publics des Ardennes et de la Meuse « à donner aux fêtes décadaires l'appareil imposant qui leur est dû. »

L'enthousiasme allait s'affaiblissant, non seulement lorsqu'il s'agissait de relever l'éclat des fêtes décadaires, mais encore lorsqu'il fallait organiser les fètes ordinaires ou extraordinaires. L'indifférence gagnait rapidement les citoyens ;

(1) D'un rapport fait, le 18 nivôse an III (7 janvier 1795), il résulte que les frais de musique aux fètes décadaires se montent à 2,880 livres par an, pour 10 musiciens et 3 enfants. Chaque musicien touche 20 livres par mois, sauf le sieur Mangin, qui reçoit 30 livres, « parce qu'il joue de différents instruments et peut alternativement exécuter différentes parties. » Les enfants sont payés à raison de 10 livres par mois, l'un.

d'ailleurs, la plupart de ces cérémonies, comme tant d'autres institutions révolutionnaires, étaient condamnées, dans Verdun, à une disparition prochaine.

Si nous n'avons pas poussé plus loin le récit des scènes dont Verdun fut le théâtre, pendant cette période éminemment troublée de notre histoire, c'est que les incidents qui suivent ne présentent plus qu'un intérêt purement secondaire. Les rivalités personnelles ne sont certes pas complètement étouffées; mais les luttes civiles ont cessé ; les partis ont désarmé. On voit coopérer fraternellement à l'administration de la cité des personnages désormais unis, du moins en apparence, qui autrefois se sont livrés des batailles passionnées hommes de 1792, prétendus terroristes, contre-révolutionnaires, thermidoriens. Peut-être leurs conceptions politiques n'ont-elles jamais été bien nettes; peut-être n'ontils pas toujours clairement compris la portée des événements qui se déroulaient à Paris; peut-être leurs convictions ne brillent-elles pas par une solidité éprouvée ; peut-être les opinions ne pèchent-elles pas par un excès d'immuabilité, puisqu'on voit figurer au bas des actes publics, jusqu'au delà de 1815, à peu près les mêmes noms, noms connus, noms qui ont défilé devant nos yeux, presque sans interruption, depuis 178.); quoi qu'il en soit, la cité a retrouvé sa molle quiétude d'autrefois.

Verdun, vieille ville épiscopale, où se presse, nombreuse, une classe roturière, héritière de l'ardeur des ancêtres, ces turbulents communaux si souvent en conflit avec le seigneur évêque, a accueilli non sans quelque étonnement, en général, mais aussi avec une joie contenue, les changements profonds. apportés dans l'édifice national l'édifice national par la Révolution. Si certains privilégiés ont cru devoir formuler des réserves sur les transformations imposées, toutes les innovations introduites par le régime naissant ont réuni, dans la cité, les suffrages des deshérités et des humbles.

Sans doute, le sort réservait aux citoyens une terrible épreuve le siège de la ville, à une époque où le succès final semblait singulièrement compromis, où quelques àmes faibles pouvaient hésiter sur la route à suivre, ne fut pas sans jeter dans les cœurs une vive émotion. Mais si quelques individus se laissèrent aller à de déplorables défaillances, s'ils s'affirmèrent impuissants à hausser leur courage au niveau des circonstances, il faut reconnaitre que ces représentants d'une bourgeoisie riche, égoïste et timorée ne constituèrent. qu'une exception. Lorsque la place fut redevenue française et que les pouvoirs publics eurent confié, soit à des Verdunois, soit à des étrangers, le soin délicat d'informer au sujet de la capitulation, la Convention dut demander un compte sévère à ceux qui avaient encouru les responsabilités les plus graves. Quelques-uns des principaux coupables payèrent de leur vie leur pusillanimité, alors que d'autres continuaient à jouir, mais dans certains milieux seulement, d'une popularité injustifiée.

Les grincements inévitables entre les différents rouages administratifs, l'établissement, à Verdun, du gouvernement révolutionnaire, les perturbations profondes apportées dans le cours ordinaire des choses, par les missions des Conventionnels, en particulier de Bò et de Mallarmé, ne furent pas sans alarmer les consciences inquiètes. A Verdun, comme dans beaucoup de villes, la Terreur fit des victimes; mais, si nous déplorons ces exécutions, si nous regrettons que le tribunal criminel ait cru devoir frapper quelques accusés du dernier supplice, il nous faut avouer, cependant, que le mouvement fédéraliste et girondin devenait, au moment où il s'accusa dans Verdun, un crime de trahison, alors que la ville avait la charge de veiller sur ses remparts, alors que l'ennemi enserrait, de tous côtés, la France dans un cercle menaçant.

La réaction, d'ailleurs, ne se fit pas attendre. Insensible d'abord, bien que Robespierre fùt tombé depuis quelque temps déjà, lors du passage du représentant Ch. Delacroix, elle s'accentua rapidement aussitôt après l'arrivée du représentant Gantois. Les rancunes, accumulées pendant plusieurs

mois contre ceux qui n'avaient été, en somme, que les exécu teurs de la loi, éclataient bientôt en toute liberté; les représailles s'exercerent, un moment, avec une impitoyable énergie. Mais la disparition successive des instruments du pouvoir révolutionnaire, le vote de lois d'apaisement, la promulgation de la Constitution de l'an III ramenèrent lentement le calme dans les esprits. Il faut reconnaitre que la masse de la population, toujours prête à saluer avec plaisir les mesures ordonnées, toujours enthousiaste de célébrer les fètes officielles, malgré la fréquente pénurie des subsistances, demeura étrangère à ces manifestations violentes.

Enfin, l'année 1796 se levait, sur Verdun, dans un horizon presque sans nuages. Les heures pénibles que la cité avait vécu, les malheurs multiples qui l'avaient éprouvée semblaient à la plupart comme un souvenir déjà lointain. Petit à petit s'effaçait de la mémoire des agents supérieurs de l'autorité, l'impression, si forte naguère, que le peuple de Verdun incarnait l'idée antirévolutionnaire. Les magistrats euxmêmes, s'il faut en croire leurs solennelles déclarations, oublieux de leurs querelles passées et réunis dans un commun effort, nourrissaient cette pensée louable procurer à leur ville le repos tant désiré.

La Révolution était bien finie à Verdun.

APPENDICE

1o La vente des biens nationaux à Verdun. (1)

Le 2 novembre 1789, sur la proposition de Talleyrand, évêque d'Autun, de Mouret, et après l'intervention victorieuse de Mirabeau, l'Assemblée constituante avait, à une grande majorité, proclamé que les biens du clergé « sont à la disposition de l'Etat. » (2) Les titulaires des bénéfices, quels qu'ils fussent, et les supérieurs des établissements ecclésiastiques de toute nature étaient, en vertu du décret de 13 novembre, astreints à une déclaration détaillée, par devant les juges royaux ou les officiers municipaux, des biens meubles et immeubles et de tous les revenus de leur maison (3) ; en outre, le 19 décembre, l'Assemblée ordonnait la création d'une caisse, dite de l'extraordinaire, où seraient versés les fonds provenant de la contribution patriotique et les ressources nouvelles, nées des aliénations prescrites par l'article 10 du même décret : « Les domaines de la couronne, à l'exception des forêts et des maisons royales dont le roi voudra se réserver la jouissance seront mis en

(1) 1° Archives nationales, dossier Q. 106 liasse, Biens nationaux, Meuse. 2. Archives départementales, registre D. 16. Inventaire des biens nationaux, district de Verdun, registre coté 408. Correspondance, domaines nationaux, liasse L. 836. Sommier des domaines incorporels, biens nationaux, registre Q. 822. Registre des domaines nationaux, provenant d'émigrés, vendus dans le district de Verdun, Q. 540.

3° Archives communales, liasses F'. Instruction publique, N. Biens communaux affermés, M. Biens nationaux, R. Communautés religieuses, S. Affaires ecclésiastiques.

(2) Cf. Duvergier, op. cit., tome I, pages 54-55. (3) Cf. Duvergier, op. cit., tome 1, pages 57-58.

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