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la guillotine opérait son œuvre sur la place de la Roche, alors place de la Révolution. (1)

Mallarmé ne considérait pas cependant que ces mesures, malgré leur incontestable rigueur, fussent suffisantes (2). Delayant avait, dit-on, rédigé le manuscrit d'un ouvrage sur le fédéralisme, manuscrit revêtu de plus de 600 signatures. Le 12 floréal an II (1er mai 1794), Mallarmé enjoint, de Briey, au comité de surveillance, de faire, avec le conseil général et le district, toutes les recherches nécessaires pour découvrir le manuscrit incriminé. Ces mêmes autorités ont le devoir de soumettre au scrutin épuratoire tous les Verdunois, sans distinction de sexe, depuis l'âge de 18 ans. Chaque citoyen ou citoyenne, sauf les ministres du culte en résidence à Verdun, est tenu d'envoyer, dans les trois jours qui suivront la publication de l'arrêté, « le tableau abrégé de sa vie et de ses opinions politiques » aux magistrats municipaux qui

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(1) Acte de décès de la veuve Delayant : « Cejourd'hui, 7 floréal an II (26 avril 1794), de la Révolution française une et indivisible, d'après la déclaration du citoyen Migevant, accusateur public, que Anne-Marie Demangeot, veuve Delayant, ágée de 50 ans, est décédée ce jour d'hier à 11 h. 1/2 du soir, d'après cette déclaration, je me suis transporté sur le lieu pour constater ledit décès et m'en étant assuré, j'en ai de suite rédigé le présent acte, lesdits jour, mois et an... — Signé : Jeandin-Dufour, officier public pour le canton de la rive gauche de la Meuse. » Les autres actes de décès sont rédigés dans la même forme, sauf quelques modifications pour celui de J.-B. Marchal. Jacques Delayant était agé de 24 ans, Louis Moutor, de 40 ans, Périn, de 32 ans. L'âge de J.-B. Marchal n'est pas indiqué. Archives communales, E. Actes de l'état civil, et ms. Verdun-Révolution, tome III. (2) « Briey, 14 floréal an II (3 mai 1794). - Le représentant de la Meuse et de la Moselle au Comité de salut public... Je viens, pour achever d'épurer cette commune dont les opinions antirépublicaines ont tantôt pris les formes du royalisme, tantôt celles du fédéralisme, tantôt celles du modérantisme et de l'indulgence, de charger le comité de surveillance et les autorités régénérées de faire les plus sévères recherches pour découvrir les agents et ramifications de la faction que je viens d'abattre les plus criminels paieront de leur tête les crises terribles où ils ont mis Verdun, et les sans-culottes qui ont fortement applaudi à la vengeance nationale triompheront seuls. C'est par de semblables moyens, c'est par une impulsion forte et donnée simultanément à toutes les opinions dès longtemps viciées, qu'on peut espérer de reconquérir à la République une commune moins importante par son moral que par sa position, qui couvre une partie du département de la Meuse. Aulard: Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission, etc..., tome XIII, pages 254-255.

prononceront ou non l'arrestation. La conduite «< privée et morale » de tous les signataires des écrits de Delayant, actuellement détenus, sera minutieusement scrutée, depuis le mois de mai 1789. Tout individu suspect, ou qui aura apposé son nom au bas d'un manifeste fédéraliste, sera provisoirement incarcéré, et le représentant du peuple, informé, statuera définitivement, en traduisant devant le tribunal révolutionnaire les personnes qu'il jugera coupables de crime contre la sûreté nationale. « Baille et Mazeron veilleront à la prompte exécution du présent arrêté. » (1)

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L'arrêté, proclamé aussitôt à Verdun, fut immédiatement suivi d'effet. Mallarmé considérant, après avoir reçu les résultats de l'enquête, qu'il ne saurait plus se trouver de criminels sur la liste des signataires du factum de Delayant, << puisque le fer de la loi les eut atteints pendant qu'il était suspendu sur tous ; » prenant, d'autre part, en considération. les avis motivés des autorités constituées; convaincu, enfin, « que l'erreur fut le seul mobile du délit qu'ils commirent, » prescrit, d'Étain, le 17 floréal an II (6 mai 1794) (2), la mise en liberté de 65 personnes, hommes et femmes. Mallarmé déclare, en outre, que « leur arrestation n'ayant été que de sûreté générale, elle ne peut leur être imputée à reproches d'improbité ou d'incivisme. »

IV. Delayant et ses complices n'avaient pas été les seuls à payer leur dette à la justice révolutionnaire.

Le jour où sur la place de la Révolution, à Verdun, tombaient les têtes de Delayant, de la veuve Demangeot, de Périn, de Mouton et de Marchal, trente-trois accusés, parmi ceux incriminés dans l'affaire de la capitulation de Verdun, montaient, à Paris, sur l'échafaud.

Cette affaire trainait en longueur, depuis la mission. Baudin, lorsque, sur l'intervention de Bò, le 29 brumaire an II (19 novembre 1793), le greffier du tribunal criminel, Sauce, remettait au tribunal le décret du 9 février

(1) Cet arrêté existe, en placard, aux Archives nationales, AF. II-123. (2) Archives communales, C. Détenus, suspects.

portant qu'il y avait lieu « à accusation contre Brunelly, cidevant adjudant-major de la place, Néon (de Neyon), lieutenant-colonel du 2 bataillon de volontaires du département de la Meuse, contre les gendarmes nationaux en la résidence de Verdun, pour avoir continué leur service sous les Prussiens, Bousmard fils, ingénieur, Pichon, commissaire des guerres, Dresch, entrepreneur, Grimoard, ancien militaire, Desnos, ci-devant évêque de Verdun, La Corbière, doyen de la cathédrale, d'Épréville, ci-devant vicaire, Coster, prêtre, et autres dénommés audit décret. » Sur réquisition de l'accusateur public, le tribunal criminel ordonnait au commissaire national près le district de Verdun, de faire arrêter, s'ils ne l'étaient déjà, les prévenus, dans les 24 heures qui suivraient la réception de l'avis. Le tribunal criminel prescrivait, en outre, de surseoir, vu les frais considérables qui en résulteraient, au transport des accusés et des témoins à Saint-Mihiel, jusqu'à ce que le ministre de la justice se fût prononcé sur la demande que lui avait faite le tribunal criminel de la Meuse de se rendre en corps à Verdun.

Le commissaire national près le tribunal du district de Verdun, Madin, sans se préoccuper des réserves formulées par l'accusateur public, l'informait, le 10 frimaire (30 novembre 1793), de l'arrivée prochaine dans les prisons de SaintMihiel, de Herbillon alors détenu à Bar. « A l'égard de nos belles Guillemettes qui ont été en robes détroussées faire la cour au tyran prussien et qui pour procurer sans doute à ses intestins royaux un préservatif salutaire contre les atteintes poignantes de la dyssenterie ont eu la précaution charitable de porter sur elles une bonne dose de pillules sucrées, je me suis certioré que les plus notables de ces vénérables matrones ont été impitoyablement encagées par ordre du comité de surveillance et qu'elles ont été transférées à Saint-Mihiel. » (1) Madin recommandait, en outre, au comité de surveillance, en attendant que le tribunal désignàt nominativement les per

(1) « De ce nombre sont les femmes et filles La Lance de la rue Montgaud, la femme Tabouillot et la veuve Masson... les trois filles Henry, la fille Tabouillot et une veuve Chaumont. >>

sonnes autres que celles frappées par le décret du 9 février, et auxquelles on devait faire leur procès, la fille Samson et D'Espondeilhan; le comité de surveillance « ne pouvait manquer de les loger.» (1) De même, J.-B. Philibert Périn, Tronville, Baudette, Anne et Louise - Henriette Watrin, arrêtés par le comité de surveillance, avaient été dirigés sur Saint-Mihiel (10 frimaire an II, 30 novembre 1793).

Le ministre de la Justice, à qui l'accusateur public du tribunal criminel de la Meuse avait transmis, avec la requête indiquée plus haut, un acte véritable d'accusation, n'avait pas cru devoir approuver la supplique ou la soumettre à la Convention; il répondait, le 1er nivòse an II (21 décembre 1793), qu'en vertu des lois des 10 et 11 mars, le seul tribunal compétent, en cette affaire, était le tribunal révolutionnaire et non le tribunal de St-Mihiel. Par conséquent, l'accusateur public devait uniquement borner son activité à hâter l'incarcération des prévenus, lorsque la municipalité de Verdun avertic, elle aussi, par le ministre, lui aurait désigné ceux auxquels s'appliquait le décret du 9 février. Le tribunal révolutionnaire était d'ailleurs, à ce moment, saisi des principales pièces relatives au complot; il attendait impatiemment le reste du dossier, ainsi que les prévenus qui seraient conduits à Paris sous bonne escorte. « De plus longs retards rendraient non seulement suspects, mais même coupables, tous les fonctionnaires publics chargés de requérir et remplir les mesures nécessaires pour satisfaire au vœu du décret du 9 février dernier. » (2)

Quand les détenus de Saint-Mihiel (3) apprirent leur prochain départ pour le tribunal révolutionnaire de Paris, ils comprirent le danger sérieux qu'ils couraient. Comparaître, en effet, devant Fouquier-Tinville et le jury révolutionnaire était autrement grave que d'affronter l'accusateur public, Migevant, et un jury meusien. Dans leurs alarmes, la veuve

(1) D'Espondeilhan avait été arrêté, puis remis en liberté.

(2) Lettre de Gohier, ministre de la Justice. - Archives nationales, W. 1 bis, 352-718.

(3) Détenus au couvent des Annonciades.

Romagny ; F. Herbillon, femme Masson; Henry La Lance ; Barbe-Scholastique La Lance; Claire-Louise Tabouillot; Suzanne Henry; Gabrielle Henry; Barbe Henry ; la femme Grandfebvre Tabouillot, implorent le comité de surveillance, demandent qu'il interpose sa médiation pour obtenir qu'on les juge à Saint-Mihiel et non à Paris ; cette pétition, basée sur ce que les signataires n'étaient pas nommées dans le décret du 9 février, et que la plupart étaient àgées ou couvertes d'infirmités, n'eut pas de succès, pas plus que celle remise par Christophe Herbillon, ci-devant curé de Saint-Médard; Guillain Lefèvre, ci-devant prieur de Saint-Vannes ; ClaudeElisabeth la Corbière, ci-devant doyen du chapitre de la cathédrale, au représentant Mallarmé qui lui opposa, de Bar, le 1er pluviôse (20 janvier), une fin absolue de non recevoir.

Outre les personnes incarcérées à Saint-Mihiel, il y avait encore, le 6 nivôse (26 décembre), dans les prisons de Verdun, de Neyon, Grimoard, Pierre Thuileur, Gérard Després, François Milly, Badillon Leclerc, Michel-Médéric Joulin, Jean Gossin, Barthe et Lamèle que le décret du 9 février concernait. (1)

Malgré les pressantes invitations du ministre, l'instruction se poursuivait lentement, et Mallarmé gourmandait l'accusateur public, Migevant, le rendant responsable des retards: <« Tu fais languir, par ta lenteur, dans les prisons, des citoyens que la vengeance nationale doit frapper promptement s'ils sont reconnus coupables, ou qui doivent être mis en liberté s'ils sont innocents. Je t'invite à mettre la plus grande diligence dans cette affaire. » (2)

(1) Nous savons déjà que Dresch était mort, de même que Brunelly et Fournier.

(2) Les prisonniers recevaient, une livre et demie de pain (ration réduite à une livre, sur les représentations de Mallarmé), une demi-livre de lard, par jour, et une demi-livre de sel par mois; par chaque chambrée, une chandelle d'un quart, par décade, le bois comme à la troupe « tenant garnison. >> On leur blanchit une chemise, un col, un mouchoir de poche et une paire de bas, par décade. Ceux qui ont des habits les conservent; autrement, ils sont vêtus de droguet; pour chaussures, des sabots. Un barbier rase les hommes, deux fois par décade. On octroie aux priseurs ou aux fumeurs deux onces de tabac, par decade. Les prisons sont loin d'ètre saines, malgré les soins des geoliers, et il

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