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Il nous sera permis, pourtant, de remarquer que la société fraternelle des Amis de la liberté et de l'égalité avait sensiblement modifié son programme politique, depuis le jour où ses membres avaient apposé leur signature au bas du discours prononcé par Delayant. Le club tenait, sans doute, ainsi que le conseil général de la commune, exécuteur fidèle de ses volontés, à faire oublier ses maladroites manifestations en faveur de la Gironde ; de là, les retentissantes déclarations du 14 octobre, encore que l'on puisse distinguer cependant une différence de ton entre la harangue du citoyen Caré, le maire complaisant de l'occupation étrangère, et celle de Lespine, l'officier municipal proscrit par les Prussiens.

Malgré cette volte-face, l'avenir ne réservait-il pas aux Verdunois de brutales surprises? Comment les représentants en mission allaient-ils juger le passé ?

CHAPITRE VIII

I. Le comité de surveillance; mission de Bô; mesures religienses; réorganisation de la société populaire; reconstitution des autorités.

III. Le procès Delayant.

IV. L'affaire de

V. L'épuration

II. Mission de Mallarmé. la capitulation devant le tribunal révolutionnaire. définitive; les fêtes civiques. VI. Thermidor; la situation militaire de Verdun ; la garde nationale. VII. Les réquisitions et les subsistances.

I. Le gouvernement révolutionnaire n'est réellement institué qu'à partir des derniers mois de l'année 1793. Mais les événements qui vont se succéder dans le cours de l'année 1794 frapperont singulièrement les esprits. Le rôle du comité de surveillance qui deviendra bientôt le comité révolutionnaire, les missions des représentants, en particulier de Bô et de Mallarmé, les actes de la société populaire réorganisée et épurée, l'incarcération, puis la condamnation. et l'exécution des personnages les plus compromis dans les incidents d'août et de septembre 1792 vont semer la crainte parmi la bourgeoisie rétrograde.

Tout d'abord, le comité de surveillance établi en vertu d'un décret de la Convention nationale, en date du 26 février 1793, entré en fonctions dans les circonstances que nous connaissons (1), le 15 avril, avait suspendu, le 30 avril, mais sans se dissoudre, ses séances régulières. Or le décret du 17 septembre 1793 (2) attribue aux comités de surveillance des fonctions révolutionnaires, et le comité de surveillance de Verdun est tenu, de par les prescriptions de ladite loi, de

(1) Cf. plus haut, page 316. (2) Decret en 10 articles. 173.

Cf. Duvergier, op. cit., tome VI, pages 172

veiller à la tranquillité publique, de refuser ou délivrer les certificats de civisme, enfin, charge particulièrement redoutable, d'ordonner l'arrestation des personnes qui lui paraissent suspectes (1). Immédiatement, le district assigne un bureau au comité, lui adjoint un garçon de bureau, s'engage à payer tous les frais d'installation et autres, et met à sa disposition, sur les injonctions de l'administration départementale, comme maison d'arrêt, la maison de Saint-Maur que le comité de surveillance a d'ailleurs visitée et qu'il a reconnue propre à cet usage. Le comité de surveillance. inaugure ses nouvelles attributions, le 19 septembre 1793. Les interrogatoires commencent aussitôt et se continuent sans interruption, suivis d'ordres d'élargissement ou d'arrestation, et le comité de surveillance prend sa besogne tellement à cœur, que le 28 septembre, plus de 100 personnes sont comparues devant lui. Ce jour-là, le comité de surveillance fait incarcérer François Tabouillot, sa femme et sa fille, Mme La Lance de Montgaud, Mme Masson, les demoiselles Henry, toujours sous le coup d'une très grave accusation, depuis leur visite au camp de Bras pour offrir des dragées au roi de Prusse. D'Espondeilhan est déclaré non suspect, parce qu'il ignorait le contenu du panier de dragées.

Nous savons, d'autre part, que les membres des corps administratifs et, en général, tous les citoyens inculpés dans l'affaire de la capitulation de Verdun avaient été, au cours de l'enquête de la commission extraordinaire, soit emprisonnés, soit placés sous la surveillance d'un planton. Puis les portes des prisons avaient été ouvertes, les plantons retirés, et les prévenus avaient recouvré leur liberté, à condition de ne pas s'éloigner de Verdun et de se présenter devant les corps

(1) Archives départementales, Registre du comité de surveillance, L. 1381; Registre du district, L. 354. Archives communales, Délibérations du conseil général.

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Président: François-Louis Christophe, imprimeur; secrétaire: Pierre Vinot. Pour les autres membres, voir plus haut, page 317. - Jean Cicile meurt le 8° jour de la 1 décale du 2° mois de l'an II (29 octobre 1793). Le comité de surveillance présente au conseil général, qui le nomme, Thirion, juge de paix. Les membres toucheront, en vertu de la loi, une indemnité de 3 livres par jour.

administratifs, lorsqu'ils en seraient requis. En réalité, malgré le décret du 9 février, la plupart considéraient l'aventure comme terminée. Mais, le premier jour du deuxième mois de l'an II (22 octobre 1793), le conseil du district reçoit de l'administration du département une mise en demeure d'avoir à exécuter, sous quatre jours, les décrets des 7 et 17 septembre (1) qui déclarent traîtres à la patrie tous ceux qui ont accepté des fonctions de l'étranger. Le district hésite; il se fait remettre les décrets invoqués, et ceux des 12 août et 17 septembre, relatifs aux suspects (2). Or ces décrets considèrent comme suspects tous les fonctionnaires suspendus ou destitués par la Convention nationale ou ses commisaires, et non réintégrés. Les citoyens Sauvage le jeune, Piérard, Devaux et Lambry, ex-administrateurs, Caré fils, ancien maire, Anchelon, Collard, Lalouette, Fossée l'aîné, Cauyette, Henry, Hébert, Tristant et Collinet, officiers municipaux, Viard, procureur de la commune, se trouvent dans le cas prévu par les lois, depuis le décret du 9 février. Malgré la répugnance qu'il éprouve à recourir aux mesures de rigueur, le district requiert, séance tenante, Robert, commandant la gendarmerie nationale à Verdun, de mettre, sur-le-champ, en arrestation les citoyens visés, ainsi que Catoire, maire, et Paillet, procureur de la commune, suspendus par les représentants du peuple près l'armée des Ardennes (3). Le lendemain 23, le comité de surveillance prend une décision identique, dans laquelle il déclare n'avoir pas à se préoccuper de Fouquerel, dont la situation est analogue, puisque le district a fait procéder, lui-même, à son incarcération. (4)

La sympathie du comité à l'égard de Fouquerel perce dans la délibération : « Il a, dit-il, réuni les suffrages des citoyens de Verdun convoqués d'après un arrêté du département sur son civisme connu. » Les autres officiers municipaux et notables que le département a frappés, parce qu'ils

(1) Cf. Duvergier, op. cit., tome VI, page 173.

(2) Cf. Duvergier, op. cit., tome VI, pages 172-173.

(3) Archives départementales, Registre du district, L. 354. (4) Cf. plus haut, page 328, note.

étaient englobés dans le procès de Sommellier, sont revenus du tribunal criminel lavés de toute imputation; par conséquent, le comité estime qu'il n'y a pas lieu de les inquiéter, puisque la suspension s'est trouvée levée par suite de l'annulation des motifs (1); « d'ailleurs leur conduite civique et républicaine les met à l'abri de toute suspicion. » (2)

Ces opérations, d'une gravité incontestable, ne s'étaient pas poursuivies sans jeter quelque trouble parmi la population. L'émotion, loin de diminuer, s'accentua, lors du changement profond apporté par le représentant du peuple, Bô, à l'organisation politique de la cité. Le 26 brumaire an II (16 novembre 1793), le district recevait communication d'un décret émanant du représentant près l'armée des Ardennes, Bô, décret auquel il travaillait depuis plusieurs jours, entouré de renseignements provenant surtout du département, et que le district notifie immédiatement à la municipalité (3): << Liberté, égalité, République ou la mort! Au nom du peuple français, Le représentant du peuple aux armées des Ardennes, considérant l'importance d'établir dans toute la République et notoirement dans les villes frontières des administrations qui présentent dans toutes les circonstances le caractère révolutionnaire qui doit placer tous les Français entre la liberté ou la mort. Arrête que le corps municipal, conseil général, procureur et substitut et secrétaire de la

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(1) Décision contraire à celle du département. Cf. plus haut, page 345. (2) Archives départementales, Registre du comité de surveillance, L. 1381. (3) Une partie des arrêtés de Bô se trouve aux Archives nationales, dossier AF. 11-123, Comité de salut public, Intérieur, Missions (Meuse).

Bô (J.-B.), député à la Convention; médecin, avant 1789, à Mur-deBarrez; procureur syndic du district de Mur-de-Barrez, en 1790; député de l'Aveyron à la Législative, puis à la Convention: vote la mort de Louis XVI; envoyé en mission en Corse, il est arrêté et incarcéré à Marseille par les Fédéralistes (juillet 1793). Ses collègues Rouvère et Poultier, secondés par l'armée de Cartaux, le délivrent; il est chargé d'épurer les autorités dans les départements des Ardennes, de la Meuse et de l'Aube, puis du Cantal. Dénoncé, après la chute de Robespierre, par les villes de Sedan, de Vitry et par les habitants du Lot, il est décrété d'accusation, le 9 août 1795. Amnistié par la loi du 4 brumaire an IV (26 octobre 1795, Duvergier, op. cit., tome VIII, page 445) il devient, grâce à Merlin de Douai, chef du bureau des émigrés au ministère de la police. Destitué à la fin de 1799, il reprend l'exercice de la médecine à Fontainebleau, où il meurt en 1812.

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