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Dupuch, commandant en chef, a reçu du ministre de la Guerre une lettre, datée du 10, qui lui enjoint de démolir les maisons qui entourent les fortifications à moins de 250 toises de la crète des parapets. Les citoyens du Faubourg Pavé, dont les habitations se trouvent dans cette zone, accourent au conseil général où Dupuch les rassure en leur affirmant qu'il attendra des instructions autrement formelles, avant de procéder à leur exécution. C'est d'ailleurs le sens des observations qu'il présente au ministre de la Guerre (1), ajoutant qu'une telle précaution est superflue, puisqu'il est question de désarmer les remparts de Verdun pour se borner à la défense de la citadelle. En effet, Vercly avait été informé, le 17, par le citoyen Grandchamp, directeur de l'artillerie à Metz, du prochain désarmement de Verdun à l'exception de la citadelle. Heureusement, cet avis était tout au moins prématuré car le ministre de la Guerre, Bouchotte, revenant sur sa décision première, mandait au général de division, Kilmaine, commandant l'armée des Ardennes, dont dépendait Verdun, de prendre, sur ce point, l'opinion des corps administratifs et, dans le cas où Verdun serait maintenu sur la liste des places fortes, de donner des ordres prompts, » pour mettre la ville en état de défense. (2)

Kilmaine envoie, de Sedan, son adjudant-général, Sauviac, pour provoquer la réunion d'un conseil de guerre qui s'assemble le 22 mai, et où siègent le général Dupuch, le commissaire des guerres, l'état-major de la place, les différents chefs de la garnison, des députés du district et de la municipalité. On fait à la place de Verdun trois grands griefs 1° on lui reproche d'ètre dominée de tous côtés et, par conséquent, trop exposée au bombardement; 2° ses fortifications sont en très mauvais état et exigent, par leur étendue, un temps considérable pour ètre réparées; 3o leur développement nécessite, au préjudice des armées, une forte

(1) Archives communales, I". Siège de Verdun, 20 avril 1793.

(2) Archives communales, Registre des délibérations du conseil géneral, et Verdun-Révolution, tome III, 15 mai 1793.

garnison et de grands approvisionnements qui ne seront pas en sûreté, eu égard à la faiblesse de la défense. Le conseil de guerre concluait, à l'unanimité, au nom de l'intérêt et de la sécurité de la République, que Verdun, loin d'être abandonné, fut “ porté à son plus grand degré de force, à cause de la faiblesse de la première ligne... à cause de la position puissante qu'elle concourt avec Metz, à procurer au pays compris entre la Moselle et la Meuse; à cause, enfin, de sa position qui la rend une place d'entrepôts, de communication. » Le conseil de guerre jugeait que, pour remplir cet objet, il fallait 100 bouches à feu, tant canons que mortiers, obusiers et pierriers de différents calibres, avec 200,000 livres de poudre, une compagnie et demie d'artillerie, à l'effectif de guerre, une escouade d'ouvriers, quatre attelages d'artillerie avec un conducteur, 8,000 hommes de troupes, dont un régiment de cavalerie, « avec des approvisionnements proportionnés et les fournitures nécessaires pour leur casernement, sans quoi il ne peut exister ni service ni discipline. »(1)

Dans ces conditions, et pour obéir au programme tracé par le ministre de la Guerre, Bouchotte, les travaux continuèrent avec une ardeur nouvelle. Le 15 juin 1793, on comptait 1,444 ouvriers employés aux fortifications: 182 maçons et tailleurs de pierres, 614 journaliers, gazonniers, goujats et chargeurs, 604 terrassiers, 14 charpentiers, 30 bûcherons. occupés, en forêt, à la fabrication des fascines et piquets. Le 24 juillet, leur nombre atteignait encore 1,024. (2)

En même temps, des démarches pressantes étaient tentées directement, par des délégués, auprès du Comité de salut public, des ministres de la Guerre et de l'Intérieur, des

(1) Le 26 avril, 4 commissaires du pouvoir exécutif envoyés par le ministre de la Guerre à l'armée de la Moselle, et chargés, en outre, de s'enquérir de la situation des places fortes de la région, s'étaient présentés au conseil général de la commune avec les membres du conseil de guerre défensif. Le capitaine Prille leur avait remis un « Mémoire abrégé de l'importance de Verdun et de l'état actuel des fortifications,» mémoire auquel nous avons fait quelques emprunts, lors de l'exposé des événements qui ont précédé la capitulation. (2) Archives communales, I". Fortifications.

représentants du peuple près l'armée des Ardennes. Si le commissaire des guerres, Chupied, et le citoyen Géminel avaient reçu, des représentants du peuple à l'armée des Ardennes, des réponses décourageantes (1), en revanche, Christophe et Courselle, capitaine, adjudant de la place, avaient obtenu du ministre de la Guerre qu'il pourvût immé diatement la place de Verdun de tous les approvisionnements nécessaires à la défense, tant en munitions de guerre et de bouche, qu'en fonds pour la solde des troupes et des travaux de siège et en médicaments pour les hôpitaux. Les délégués avaient pu prendre connaissance, dans les bureaux, des ordres prescrits, sauf de ceux ayant trait à l'envoi des deux bataillons réclamés pour aider à l'achèvement de l'œuvre de réfection; mais, sur ce point, l'adjoint du ministre les avait assurés qu'il leur serait donné satisfaction incessamment. Enfin, le ministre avait affirmé qu'il n'était nullement nécessaire de concentrer 10,000 hommes dans Verdun; Verdun ne pouvait, en effet, être attaqué qu'au cas où la première ligne serait forcée et l'armée française battue; « dès lors, il refluerait plus de troupes sur Verdun qu'il n'en faudrait pour la défendre. » (2)

On songea mème, un instant, à établir un camp retranché sur la côte Saint-Michel. Il est vrai que l'inspecteur des fortifications, Milhaud, concluait, dans un rapport sur ce sujet, à l'inutilité d'un semblable effort, parce que le dit camp retranché pourrait être facilement tourné par l'ennemi. Il pensait, néanmoins, qu'il serait bon, le cas échéant, d'occuper temporairement la côte Saint-Michel, comme poste d'obser vation. Milhaud s'était même transporté sur la hauteur et y avait reconnu l'emplacement de sept redoutes dont l'aménagement suffirait grandement au but poursuivi; il demandait, de suite, au ministre de la Guerre, l'autorisation d'y consacrer

(1) Périn, l'un des représentants, avait déclaré « qu'il était impossible que lui ni ses collègues pussent faire passer à Verdun aucuns canons, bouches à feu, munitions de guerre et garnison, parce qu'ils en manquaient pour Sedan. »

(2) Archives communales, I". Fortifications; conseil de guerre défensif du 23 août 1793.

une somme de 10,000 livres, et, aux corps administratifs, de favoriser l'entreprise. Quoi qu'il en soit, pour le moment, les travaux projetés et exécutés « par le capitaine-ingénieur, Prille, avec un esprit de conduite et une activité rare, » permettaient d'ores et déjà, lors d'une campagne, de prolonger jusqu'à 35 jours la résistance de Verdun. (1)

Mais s'il importait à sa sécurité que Verdun fùt entouré de solides remparts, du moins fallait-il des hommes pour les garnir. Or, si les délégués, Christophe et Courselle, avaient imploré du ministre de la Guerre un prompt envoi de forces. importantes, c'est parce que ces forces étaient indispensables. En effet, les citoyens de Verdun ne cachaient pas leur froideur pour le service de la garde nationale, surtout depuis qu'il fallait remplacer, sur les murailles, les soldats que les dangers extérieurs avaient appelés aux frontières. Fouquerel, retour de Paris, où ses concitoyens l'avaient investi d'une mission dont nous avons rendu compte (2), avait dû, à la demande du conseil général de la commune, rédiger une proclamation qui rappelait, aussi énergiquement que possible, les Verdunois à leur devoir (24 mars 1793) (3); le 26 mars, Fouquerel, devenu l'homme du jour, peignait en ces termes à Pons et Drouet, députés dans les départements de la Marne et de la Meuse, pour hàter le recrutement de l'armée, le dénûment des habitants de la cité : « Vous avez sous les yeux le spectacle affligeant de notre misère ; vous voyez une partie de nos malheurs en voyant nos rues dépavées... nos concitoyens ruinés par cinq années de stérilité, par les nombreux sacrifices qu'ils ont faits à la Patrie, par le nombre considérable de bras qu'ils ont mis dans nos armées, par les ravages des armées ennemies, par les fournitures faites à celles de la République, par le logement en nature aux militaires... Quand l'ennemi souilla de sa présence notre cité, nos concitoyens furent désarmés et leurs armes

(1) Archives communales, Registre des délibérations du conseil général, 20° jour du premier mois de l'an II (11 octobre 1793).

(2) Cf. plus haut, page 307.

(3) Archives communales, Registre des délibérations du conseil général.

furent brisées; nous n'avons pas de garnison; nous sommes obligés de garder nous-mêmes nos foyers et nos murs. Veuillez interposer vos bons offices pour que le général commandant notre division soit requis de remettre, aux citoyens de Verdun, un millier de fusils complets, et puisque nos concitoyens font le service de la garnison, qu'ils soient salariés pendant tout le temps de leur service. » (1)

En effet, dès le 13 novembre 1792, le maréchal de camp, Dupuch, commandant en chef à Verdun, informait la municipalité qu'il devait faire partir, le lendemain, pour Metz, la presque totalité des troupes stationnées à Verdun. En janvier 1793, la garnison comprenait deux bataillons de volontaires, tous deux incomplets et mal équipés, et quelques dépôts entièrement « délabrés. » (2) Le 13 mars, on comptait à Verdun cinq dépôts, du bataillon du Rhône-et-Loire, des 1o, 5o, 22 et 24 régiments d'infanterie, en tout 116 hommes (3); le 20 avril, Dupuch mandait au ministre de la Guerre: « Je suis sans garnison, n'ayant que six cents dragons de la légion du Centre, mal armés, mal équipés et quelques hommes du dépôt qui s'évacuent à mesure qu'il sont en état de marcher; pas un canonnier pour réparer les anciennes batteries, en construire de nouvelles et les servir. » (4)

La pénurie de troupes explique suffisamment les réquisitions adressées par le commandant temporaire, lieutenantcolonel Chazault, commandant de place, aux citoyens qui composent la garde nationale. Le 8 mars, Chazault annonce le départ des deux bataillons de la Creuse et de la Moselle, et demande, pour les besoins du service, un détachement de 72 gardes-nationaux qui monteront la faction, chaque jour, à partir du 11; ils auront à leur disposition 72 fusils qui resteront à demeure dans les postes, et, de fait, le 14, quatre gardes-nationaux occupent le poste de la Tour-du-Champ, un caporal et quatre gardes, le poste du Puty. Chaque jour,

(1) Archives communales, Registre des délibérations du conseil général. (2) Archives communales, I". Fortifications, 31 janvier 1793.

(3) Archives communales, I". Fortifications.

(4) Archives communales, I". Siège de Verdun.

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