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alliés prenaient pour assurer leur sécurité. A la suite des décrets rendus par la Législative pour organiser la défense nationale, et la publicité donnée à une lettre adressée par le général Galbaud aux administrateurs du district de SainteMenehould, lettre où Galbauld excitait les paysans à se former en compagnie de 50 hommes qui nommeraient leurs chefs et toucheraient une solde convenable, leur promettant qu'ils pourraient rentrer dans leurs foyers quand l'ennemi aurait été expulsé du sol français, les alliés avaient, le 11 septembre, lancé du camp de Malancourt, sous la signature du prince de Reuss, pour l'empereur, et du marquis de Lucchesini, pour le roi de Prusse, un ordre particulièrement sévère. Tout Français sera fouillé « par les postes de la chaîne qui entoure le camp, et celui sur lequel on trouvera une arme offensive quelconque, canne avec une dague ou tout autre moyen homicide, sera puni d'une mort ignominieuse devant le camp, sans rémission et sans autre forme de procès. >> Les départements, districts, municipalités, maires, curés étaient requis de faire publier cette déclaration afin que personne ne pût arguer de son ignorance.

V. Les émigrés n'avaient pas tardé à pénétrer dans Verdun à la suite des Prussiens. Le 7, Monsieur arrivait avec plusieurs voitures, comme nous l'avons vu plus haut, sans que cela eût l'air de produire une grande sensation (1); il était escorté de Sombreuil, de Brassac, de Moustier et de Breteuil qui fut un auxiliaire précieux pour le baron de Courbière (2). Derrière eux accourait le clergé réfractaire dont la plupart des membres, sauf l'évêque, se trouvaient réunis le 14 septembre. La municipalité s'empressait d'expédier aux

(1) Réminiscences, page 30.

(2) Dans un mémoire adressé, le 29 nivôse an II (18 janvier 1794), aux citoyens représentants du peuple dans le département de la Meuse, par Nicolas Martin, ci-devant chanoine de la Madeleine, on lit : « Je suis entré à Verdun le 7 septembre. Alors tous les émigrés, cavalerie et infanterie, étaient devant Thionville. Ce fait est de notoriété publique. La cavalerie des émigrés n'est passée à Verdun pour aller à Grand-Pré que le 13 ou le 14; elle y a eu un séjour de deux jours; l'infanterie des émigrés n'est arrivée à Verdun que le 20 ou 21 septembre. » (Ms. 213.)

deux chapitres (1), aux curés et aux corporations religieuses des lettres circulaires. « Verdun, le 14 septembre 1792. Monsieur, j'ai l'honneur de vous prévenir que sur les ordres de Monsieur le gouverneur, la municipalité ainsi que le directoire du district doivent aujourd'hui à trois ou quatre heures de relevée vous rétablir dans vos maisons et dans vos églises. Je vous prie de faire avertir vos confrères qui sont encore en ville de se trouver avec vous dans la dite maison. Le maire de la ville de Verdun, signé, Caré fils. » Une invitation identique était adressée au ci-devant curé de Saint Médard, à la même date: « Monsieur, j'ai l'honneur de vous prévenir que sur les ordres transmis à la municipalité de cette ville par Monsieur le gouverneur, elle doit aujourd'hui à trois heures de relevée vous rétablir dans vos fonctions curiales et dans votre paroisse. En conséquence, je vous prie de vous trouver en la dite maison (2) pour y procéder à cette cérémonie avec ces Messieurs du directoire, du district et de la municipalité. Le maire de Verdun, signé, Caré fils. » (3) En effet, le 14 septembre (4), entre trois et quatre heures de l'après-midi, les religieux, les chanoines de la cathédrale et de la collégiale de la Madeleine présents à Verdun, le curé de Saint-Médard, Herbillon, étaient publiquement rétablis dans leurs fonctions, et les autorités dressaient de cette réintégration un procès-verbal qui fut signé de tous les assistants. (5)

Ce fut le dimanche, 16 septembre, que l'évêque réfractaire, Desnos, fit son entrée dans Verdun; or, comme le palais épiscopal était occupé tant par la chancellerie du roi de

(1) Chapitre de la cathédrale, chapitre de la collégiale de la Madeleine. (2) La maison de cure de Saint-Médard.

(3) Ms. 213 et Archives nationales, tribunaux révolutionnaires, W. 1 bis, 352, 718, 3 partie. Cette invitation coïncidait avec l'emprisonnement de Durozoy, vicaire épiscopal, et l'expulsion de Mangin, curé de Saint-Sauveur, prêtres assermentés et membres de la municipalité. Ce mème jour, de Courbière ordonnait l'incarcération de Dom Etienne Ybert, ancien procureur général du couvent des Bénédictins de Saint-Vannes, vicaire épiscopal de la Meuse. (4) Et non le 16, comme l'écrit M. Chuquet.

(5) Ms. 213 et Archives nationales, même dossier. Mérat croit à tort que tout le clergé réfractaire fut réinstallé.

Prusse que par une partie des approvisionnements de son armée, Desnos alla loger chez son parent, La Corbière, doyen du chapitre de la cathédrale. Dès qu'on connut son retour, quantité de gens s'empressèrent de lui apporter leurs compliments, en particulier quelques-unes des femmes qui étaient allées visiter les camps de Bras et de Regret et qui l'avouerent sans détour (1). Malgré l'opposition de plusieurs prêtres, en dépit des représentations pressantes des chanoines de Chaligny et Langlois, Desnos voulut procéder à une purification solennelle et à une nouvelle bénédiction de la cathé

drale; la cérémonie se déroula en grande pompe en présence des autorités administratives, agrémentée de discours qui n'étaient pas précisément à la louange de la Législative et du clergé constitutionnel (2). Le bénédictin, Dom Collot, ancien prieur de Saint-Airy, archiviste et bibliothécaire de Verdun, recevait l'ordre de se tenir à la disposition des supérieurs de Saint-Vannes, Saint-Maur, la Congrégation et autres maisons religieuses, pour restituer à leurs anciens dépôts, dès qu'il en serait requis, les archives de ces maisons. Enfin, le chanoine Coster, ancien archidiacre et grand vicaire du diocèse, ancien membre de la Constituante, servait d'intermédiaire entre le gouverneur prussien et le clergé, rétablissait, le 26 septembre, dans les églises, l'argenterie supprimée et se parait du titre de

(1) Interrogatoire de Marguerite Collin, veuve de Mathieu Sainctelette : D. Si Desnos n'est pas venu chez elle? R. Effectivement, elle l'a vu dans la rue, il l'avait appelée par son nom, lui disant que la saleté qui était devant sa maison pouvait seule l'empêcher d'aller l'embrasser; alors elle lui avait épargné cet embarras et était allée l'embrasser. (Ms. 211, Verdun-Révolution, registre, et Archives nationales, W. 1 bis, 352, 718.)

(2) « Elle (la municipalité) était témoin des aspersions et des libations épuratoires dont ces fanatiques souillaient le temple de la Divinité. Elle embellissait de sa présence les cérémonies dignes des temps d'idolâtrie, où, avec des gestes et des contorsions magiques, le ci-devant évêque Desnos, à la tête de son clergé, se promenait gravement dans la cathédrale de Verdun pour la purifier de l'intrusion. » (Rapport de Cavaignac, page 19.)

«Que le ci-devant évêque avait repris ses fonctions avec son chapitre, qu'il s'était livré pendant son séjour à Verdun à tous les actes du fanatisme digne de lui et de ses semblables et qu'il avait eu la précaution de fuir deux ou trois jours avant la retraite des Prussiens. (Rapport de Carra, Prieur et Sillery, pages 3 et 4.)

membre du bureau d'administration de son excellence M. de Courbière. (1)

L'arrivée des émigrés avait comblé de joie le parti royaliste pur. Les mémoires de Mme Meslier de Rocan, qui a admiré leurs deux régiments, qui s'extasie « sur leurs belles écharpes blanches, leurs plumets, leur magnifique tenue, » ne laissent sur ce point aucun doute. Mme Meslier de Rocan évoque, dans un souvenir ému, les multiples marques de respectueuse affection qui leur furent prodiguées, les fêtes brillantes qu'on leur offrit. Ses déclarations coïncident presque complètement avec les affirmations contenues dans une lettre adressée au journal Le Franc-Parleur de la Meuse, en 1843, par un Verdunois, Ch. Jussy, et citée par Mérat (2). Les chefs de l'émigration se montraient d'ailleurs beaucoup plus sévères que les Prussiens qui pourtant, nous le savons déjà, traitaient les Verdunois avec une impitoyable rigueur. C'est à eux et à de Breteuil en particulier que les royalistes étaient redevables de l'emprisonnement des patriotes et des prètres assermentés. De Breteuil, dans ses correspondances à Fersen, ne dissimule pas ses déceptions; il se plaint de la lenteur des Prussiens, de leur hésitation, de leur modération excessive: « Rien de ce qui nous regarde ne se fait en règle ; il n'y a pas un objet sur lequel il ne faille aller doucement quand tout requerrait promptitude, et vous ne sauriez vous faire d'idée à quel point la généralité et les sous-ordres sont contraires aux mesures qui peuvent rétablir notre antique administration...... Lucchesini n'a pas

(1) Tous ces faits ont été réunis dans le rapport de Cavaignac, d'après l'enquête de Carra, Prieur et Sillery. — Cf. ms. 213, recueil.

(2) Cette ville fut, pendant le peu de jours qu'on la posséda, le rendezvous des tourtercaux et des tourterelles qui jusqu'alors avaient roucoulé loin de leurs amants; huit jours durant, les relais de toutes les postes ne furent employés qu'à réunir les couples qu'avait séparés la guerre. Verdun devint un autre Paphos. Enfin l'émigration passa à Verdun une quinzaine toute charmante, les chapeaux et les cœurs sautaient à l'envi; on n'entendait par la ville que bals, que concerts, que joyeux banquets. »>

Nous avons cité ces lignes parce qu'elles corroborent pleinement les dires de MTM Mes!ier de Rocan; mais nous n'avons qu'une confiance très limitée dans les communications de M. Jussy au Franc-Parleur, communications qui, le plus souvent, fourmillent d'erreurs.

l'autorité ministérielle, et c'est de plus un étranger, un Italien; jugez d'après cela le chapitre des ménagements. » (1) De Breteuil voulait surtout, et il était appuyé en cela par tous les émigrés, que l'on tirât de Varennes un châtiment exemplaire. Pour le parti royaliste, la population de Varennes était aussi coupable que les sections de Paris, puisqu'elle avait prêté main-forte à la municipalité lors de l'arrestation de Louis XVI; mais Brunswick, qui cependant menaçait de la peine de mort les Français trouvés porteurs d'armes, ne permit jamais, comme on l'eût désiré dans l'entourage du comte de Provence et du comte d'Artois, le pillage et l'incendie de Varennes.

Pourtant les Prussiens n'avaient pas attendu le retour des émigrés pour sévir contre ceux que l'on considérait comme les acteurs principaux de la tragédie du 21 juin 1791, Drouet, Sauce et George. Dès le soir du 2 septembre, Brunswick avait expédié des forces suffisantes pour se saisir de George, ancien maire de Varennes, ancien député à la Constituante, et de Sauce, devenu greffier du tribunal criminel de Saint-Mihiel. Drouet, qui habitait d'ordinaire à Sainte-Menehould, alors membre de l'assemblée électorale de Châlons, était hors de l'atteinte des forces ennemies. Le 3 septembre, les détachements rentraient au camp de Bras. Les 100 hussards d'Eben et les 100 fusiliers de Legat, dirigés sur Saint-Mihiel par le major Velten et le lieutenant Minutoli, n'avaient pu joindre Sauce, appelé à l'assemblée électorale tenue à Gondrecourt. Quant à George, qui n'avait pas un seul instant, malgré les pressantes instances de ses amis, songé à fuir, il fut facilement fait prisonnier. Conduit à la citadelle de Verdun, George, que Goethe confond avec Drouet, fut détenu jusqu'au 23 septembre, jour où il fut échangé avec Lombard, secrétaire du roi de Prusse, pris par les Français à Valmy. Insulté par les émigrés qui eussent voulu l'écraser sous les pieds de leurs chevaux, George fit au contraire, par son attitude calme et la digne hardiesse de ses réponses, l'admiration des officiers prussiens. (2)

(1) Cité par M. Chuquet : La première invasion prussienne, page 290. (2) Voir, pour plus de détails, Chuquet: La première invasion prussienne,

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