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Madin, dans une lettre à l'accusateur public près du tribunal de Saint-Mihiel, écrit ceci d'autre part. (1) « A l'égard de nos belles Guillemettes qui ont été en robes détroussées faire leur basse cour au tyran prussien et qui pour procurer sans doute à ses intestins royaux, un préservatif salutaire contre les atteintes poignantes de la dysenterie ont eu la précaution charitable de porter avec elles une bonne dose de pilules sucrées... » Enfin, témoignage capital, les mémoires de Mme Meslier de Rocan ne laissent aucun doute sur point. (2)

Mais ce qui paraît établi, c'est qu'aucune de ces visiteuses ne se hasarda à adresser un compliment au roi, non pas que l'occasion ne se fût pas présentée, ou que « leur zèle ne fût pas absolument accueilli par le dit Guillaume qui informé qu'il n'y avait pas de noblesse, fit fermer sa tente, » (3) mais

(1) Le 10 frimaire an II (30 novembre 1793).

(2) Mme Meslier de Rocan (Barbe Henry) n'hésite nullement à déclarer, à plusieurs reprises, au cours de ses Mémoires, que les dragées furent réellement offertes; elle raconte ainsi l'incident : « Enfin arrivées au camp du roi de Prusse, la corbeille et nous en avant, on me dit seulement que ce serait moi et ma jeune voisine qui irions offrir les dragées à Sa Majesté. Sophie Tabouillot répondit à sa mère avec beaucoup de justesse : « Quoi, maman, vous voulez que mon amie et moi allions parler au roi sans préparation et sans savoir ce que nous devons lui dire? » Quant à moi, ma timidité était telle qu'il m'avait été impossible d'ouvrir la bouche; mais je concevais qu'étant suivies de nos parents, nous pouvions très bien poser aux pieds de Sa Majesté la corbeille en question, et il ne me vint pas en idée que nous passerions pour des sottes en gardant un silence et un maintien respectueux. Le roi, en face de qui nous étions, avait toujours les yeux sur nous; c'était surtout une de mes sœurs, Suzanne, qui fixait son attention. Il la désigna d'un geste à un seigneur qui était avec lui, ce qui rendit ma sœur si honteuse qu'elle ne voulut plus rester sur la même ligne que nous; elle fut se mettre avec mon autre sœur du côté opposé. Mais le roi changea de position et continua de donner signe d'admiration à ma sœur Suzanne, qui le méritait bien par la beauté de sa taille et de sa figure, quoiqu'un peu brune à côté de mon autre sœur qui était petite et blanche comme du lait. Nos parents saisirent l'instant où elle n'était plus retenue par le regard plein de majesté du roi pour parler au seigneur qui l'accompagnait, afin qu'il sollicitat de sa bonté royale, qu'il daigne accepter les dragées qu'on lui offrait comme un faible hommage de nos respects et de nos sentiments. » L'auteur continue par un éloge dithyrambique du roi de Prusse, aussi beau qu'il était bon, » et de l'administration prussienne lors de l'occupation : « Pendant les six semaines qu'ils sont restés à Verdun, jamais gouvernement ne fut plus doux, plus pacifique. »

(3) Enquête Baudin : dépositions de plusieurs témoins.

uniquement par timidité, et parce qu'aucune harangue n'avait été préparée. (1)

Au retour, le chariot de Mme La Lance ramena vers Verdun autant de personnes qu'il en pouvait contenir, entre autres une dame Bonisselle qui ne figurait pas au départ parmi les visiteuses de ce groupe.

Car il y eut, en effet, plusieurs caravanes vers le camp de Bras. Mme Bonisselle y était allée à pied en compagnie de plusieurs Verdunois, dont M. Roton; à moitié chemin, elle était montée dans une voiture où se trouvaient d'autres curieux, dont Mme Nonancourt.

Un quatrième groupe était formé de Mme Bonvillers, de Françoise-Louise d'Aubigny, femme Lestrade, des deux demoiselles Watrin, Hélène et Anne, que le père de Mme Bonvillers, le sieur Catoire, avait véhiculées jusqu'au camp. Mme Bonvillers et ses compagnes purent parvenir jusqu'à la tente du roi. Frédéric-Guillaume leur tint quelques propos et Mme Bonvillers « porta la parole... en réponse à ce que le roi lui avait dit. » (2) C'est là le seul compliment qui fut adressé, en ces circonstances, au roi de Prusse. (3)

Telle est la solution qui se dégage des documents publiés ou inédits relatifs à ces questions encore assez mal connues jusqu'à ces derniers temps. (4)

Comme nous le verrons par la suite, la plupart de ces personnes payèrent de leur vie leur démarche imprudente, lorsque la Convention dut se prononcer sur la conduite des citoyens de Verdun au moment de la capitulation de leur ville.

Quant aux curieux qui affluèrent au camp de Regret (5), ils ne furent pas inquiétés par la justice, sauf le sieur

(1) Mémoire de M Meslier de Rocan.

(2) Déposition de Hélène Watrin, ms. 213. Archives nationales, W. 1 bis, 352, 718.

(3) Mme Bonvillers prétend dans une pétition qu'elle est allée se promener au camp des barbares, » avec quinze cents autres. (Archives nationales, W. 1 bis, 352, 718.)

(4) Cf. un article du Temps, n° du 22 août 1902, signé Edmond Séligmann et intitulé « Les petites filles de Verdun. »

:

(5) Où le roi de Prusse établit son quartier général, après le 5 septembre.

de Croyé, qui, d'ailleurs, avait à répondre d'autres méfaits. (1)

III. — Y eut-il réellement un bal donné à Regret? Nous ne le croyons pas. Cavaignac demeure indécis. Goethe, qui y fait allusion, paraît croire qu'il eut lieu à Bras. « Ces charmantes personnes (les visiteuses de Bras) inspirèrent aussi, paraît-il, à nos jeunes officiers quelque confiance ceux qui eurent le bonheur d'assister au bal ne pouvaient assez vanter leur amabilité, leur grâce et leurs bonnes manières. Or, d'après les témoignages recueillis par Baudin et les membres de la commission municipale provisoire, personne n'en eut connaissance. Pourquoi cet incident fùt-il resté soigneusement caché, alors que chacun reconnaît, sans difficulté, l'exactitude des faits dont le camp de Bras fut le théâtre? Ne se fùt-il pas trouvé au moins un témoin parmi ceux qui, lors de l'enquête Baudin, se transformèrent si facilement en accusateurs, pour lancer, sur ce point, une affirmation ou laisser percer un simple doute? (2)

En revanche, le prince royal, dans ses Réminiscences, écrit ceci : « Comme nous passions (2 septembre) par la rue qui conduit à la citadelle, une jeune et jolie demoiselle fort bien mise, sort d'une maison, s'avance vers nous, me donne la main avec beaucoup d'affabilité et me dit que les Prussiens. sont les bienvenus. » D'autre part, nous lisons dans les dossiers de l'enquête Baudin cette déposition du 29o témoin, Hubert Paquin : « Le jour où le roi de Prusse vint visiter la citadelle de Verdun, il y avait 7 à 8 personnes parmi lesquelles il a reconnu la dame Morland et ses demoiselles qui s'y trouvèrent pour le complimenter, que ce fut Mlle Morland l'ainée qui porta la parole, qu'il l'entendit lui

(1) Parmi les visiteurs qui se présentèrent au camp de Regret, il faut citer Me Marguerite Romagny, sa sœur, M. Fanard et ses deux filles, de Croyé, Mile Morland, etc.

(2) Il est bien possible que Goethe confonde, dans son esprit, les incidents de Regret, les fêtes multiples qui furent données dans certaines maisons de Verdun aux émigrés et aux officiers prussiens pendant l'occupation, et les circonstances qui accompagnèrent la visite des Verdunoises au camp de Bras.

dire qu'elles venaient au nom de tous les honnêtes gens de Verdun lui témoigner leur reconnaissance de ce qu'ils avaient bien voulu les délivrer des mains de ces indignes patriotes, que depuis longtemps ils souffraient de leurs violences, mais qu'enfin grâce à ses bontés, ils en étaient délivrés, qu'elle proféra encore d'autres paroles dans le même genre, qu'elle lui peignit les malheurs d'un brave homme par l'incendie de sa maison. Le roi de Prusse lui répondit que ce n'était rien de cela, qu'il avait fait ce qu'il avait pu pour ménager la ville de Verdun, qu'il était sùr d'avoir, avant d'attaquer. » Les faits sont rapportés, dans des termes à peu près identiques, par le sieur Arnould qui déclare ailleurs que l'ainée des demoiselles Morland était la maîtresse du sieur Catoire.

En rapprochant ces deux séries de déclarations, il ressort clairement que le roi de Prusse et le prince royal furent, au cours de leur promenade dans Verdun, complimentés par quelques femmes dans deux circonstances différentes. Car le prince royal, qui fréquenta par la suite assidûment chez les dames Morland, et qui nous a conté, avec une évidente complaisance, le récit de ses visites, eût sans doute reconnu, dans l'aînée des demoiselles Morland, celle qui lui souhaita la bienvenue, et n'eût pas manqué de le noter dans ses Réminiscences.

Quoi qu'il en soit, c'est certainement à cet incident, ou aux quelques paroles adressées au roi de Prusse par Mme Bonvillers, que l'on doit l'existence d'un document dont l'original figure aux Archives nationales (W. 1 bis, dossier 718, I, 34), et la copie tronquée et singulièrement écourtée, au no 279 du Moniteur universel. Cette pièce est une adresse au roi de Prusse conçue en ces termes : « Le Dieu par qui règnent tous les rois, ses plus parfaites images sur la terre, a choisi Votre Majesté pour rétablir sur son trône notre infortuné monarque et pour rendre à sa couronne et à toute la France son ancienne splendeur. Déjà nos frontières et nos villes soumises retentissent du bruit de vos glorieux exploits; notre ville plus malheureuse que coupable a secoué le joug des rebelles et rend hommage à votre valeur en vous ouvrant ses portes

et en recevant vos lois. Oui, Sire, nous nous faisons gloire d'être les plus fidèles sujets de notre bon roi et nous regarderons comme le plus beau de nos jours celui qui nous rendra à la suite de votre armée triomphante nos princes, nos pasteurs et nos braves émigrés. Que notre exemple entraîne toutes les villes et les provinces du royaume jusqu'à la capitale, jusqu'aux pieds de notre vertueux monarque. Que tous les Français se réunissent à nous pour lui rendre l'obéissance et la soumission, le respect et l'amour que de fidèles sujets doivent à leur roi. » (1) Cette pièce n'est mentionnée dans aucun auteur allemand (2) et n'existe nullement, quoiqu'ait prétendu Mérat, aux Archives du royaume de Prusse. (3)

Or nous sommes en mesure de préciser les circonstances où fut découvert le texte de cette harangue. Nous trouvons, en effet, ceci dans le rapport rédigé par les représentants à l'armée du Nord, Carra, Prieur, Sillery, au lendemain de la restitution de Verdun aux troupes françaises : « Vos commissaires ajoutent qu'en recherchant à Longwy les auteurs de l'infàme adresse faite au ci-devant Monsieur, on leur remit une copie sans signature d'un compliment au roi de Prusse entrant à Verdun. La criminelle bassesse de cette pièce la

(1) Nous donnons ici la version du Moniteur. L'original de la harangue, beaucoup plus étendu, se trouve aux pièces justificatives, page xxxvi et seq. (2) Mais cette adresse n'est pas signée: on n'en connaît pas l'original. On ne sait même pas si le roi de Prusse en eut connaissance; ni le prince royal, ni le secrétaire Lombard, ni le major Massembach, ni les lieutenants Strantz et Minutoli n'en font mention dans leurs souvenirs de campagne. » Chuquet, La première invasion prussienne, page 255.

(3) Il n'existe en effet aux Archives du royaume de Prusse, d'après une communication qu'a bien voulu nous faire le directeur général des Archives de l'Etat prussien, Dr Koser, que l'original de la capitulation de Verdun, écrite d'une main française, et des notes sans importance du ministre comte Schulenbourg, alors attaché au quartier général, sur le bombardement et la reddition de Verdun. D'après les conseils du docteur Koser, nous nous sommes adressé au service d'archives du grand état-major général, où nous avions quelque chance de découvrir des documents intéressant la capitulation de Verdun et, en particulier, cette adresse signalée par Mérat. Le chef de service nous a répondu que toutes les recherches faites sur ce point étaient demeurées infructueuses : Das sich im Kriegsarchiv des grossen Generalstabes trotz eifrigen Suches keine der gewunschten Akten befinden. »

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