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CHAPITRE VI

I. Occupation de la ville par les Prussiens.

II. Les visiteuses du camp

de Bras; les dragées offertes au roi de Prusse. III. Le soi-disant bal de Regret; les discours au roi de Prusse et au duc de Brunswick; l'accueil des habitants. IV. Les Prussiens à Verdun; leurs exigences.

V. L'arrivée des émigrés; les conséquences matérielles et morales de l'occupation prussienne; la perte des archives. VI. L'évacuation de Verdun. VII. La Commission extraordinaire et la Commission municipale provi oire; les interrogatoires. VIII. Conflit entre l'administration départementale et les administrations locales; élection du district et de la municipalité. IX. Le décret du 9 Février 1793.

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I. - Le Conseil de défense répartissait entre les différents corps, ce fut d'ailleurs son dernier acte, les sommes dont il disposait pour assurer leur subsistance (1), et l'évacuation. commença. Les troupes devaient quitter Verdun, les volontaires par la route de Clermont, les soldats de la ligne par la route de Saint-Mihiel ou de Metz. Le bataillon de Mayenne-et-Loire emmenait avec lui, dans une voiture d'artillerie, jusqu'à Sainte-Menehould, où il fut inhumé le 3 septembre (2), le corps de Beaurepaire. Immédiatement, un

(1) « Il sera remis aux différents corps pour leur subsistance les sommes en numéraire dont le détail suit au bataillon de l'Allier, 31,760 livres; à celui de Mayenne-et-Loire, pareille somme de 31,760 livres; à celui de CharenteInférieure, pareille somme de 31,760 livres; à celui d'Eure-et-Loir, 31,760 livres; au 92° régiment d'infanterie, pareille somme de 31,760 livres; au 2° régiment de dragons, la somme de 9,000 livres; au 9° régiment de chasseurs, la somme de 12,000 livres; aux dépôts commandés par M. de Neyon, 18,000 livres; au dépôt de Seine-et-Marne, 12,000 livres ; à la compagnie d'artillerie, 12,000 livres; à M. Vercly, pour l'artillerie de la place, 5,800 livres en assignats et 6,200 livres en espèces; à M. Bousmard, pour le service des fortifications, 20,000 livres en assignats. Il sera remis également à M. Pichon, commissaire des guerres, pour le service de l'administration militaire, 12,000 livres en espèces et 24,000 livres en assignats. Signé De Neyon, Thévenon, Vercly, O'Brien, Grivel, Poussivet, Latache, Huet, Lombard. »

(2) Et non le 2 septembre, comme l'écrit M. Dommartin, op. cit., page 45.

bataillon du régiment du duc de Brunswick et un autre de Schoenfeld occupèrent momentanément la ville et, la prise de possession effectuée, les vainqueurs, le prince royal, son frère, le duc de Weimar et plusieurs autres officiers parcou rurent les principales rues, où la marche était devenue fort difficile par suite du dépavage. Le premier soin des Prussiens fut de renverser l'arbre de la liberté, surmonté du bonnet phrygien qui avait été planté sur la place de la Roche. « Je demande à un grenadier du duc de Brunswick qui était de faction à la porte de la citadelle ce qu'on avait fait du bonnet de la liberté. « Voilà la marotte,» répondit-il en souriant et en montrant derrière lui un bonnet en ferblanc haut d'environ trois pieds et peint en rouge. » « Le duc de Weimar auquel la réputation des liqueurs et des dragées de Verdun était bien connue s'informe de la boutique où l'on peut trouver les meilleures. On nous conduit chez un marchand nommé Leroux, demeurant au coin d'une petite place; cet homme nous reçoit très poliment et ne manque pas de nous servir de son mieux. Lorsqu'il commençait à faire nuit, notre collation fut interrompue par un bien triste spectacle la maison d'en face était habitée par une jeune personne parente du défunt commandant; on lui avait caché l'événement jusqu'à cet instant, mais maintenant il fallut le lui apprendre; elle en fut si terriblement affectée qu'elle tomba étendue à terre en proie aux attaques de nerfs et aux convulsions les plus violentes, on ne put l'emporter qu'avec la plus grande peine. » (1) Le prince et sa suite purent regagner sans encombre leur camp par la porte Chaussée; il n'en fut pas de même du comte de Henkel, lieutenant des hussards de Koehler, qui, pris pour un personnage plus considérable, fut tué au coin de la rue Saint-Victor et du quai Saint-Airy, par un chasseur du 1er régiment (2). Le chasseur

(1) Réminiscences, pages 25 et 26. L'incident relaté dans ces dernières lignes n'est mentionné dans aucun autre document contemporain; le fait est d'autant plus curieux que l'on ne trouve nulle part ailleurs la moindre allusion à cette prétendue parente de Beaurepaire. N'y a-t-il pas là quelque confusion?

(2) Le quai Saint-Airy s'appela, pendant quelque temps, le quai du Chasseur, et il fut un moment question d'élever un monument à l'assassin.

arrêté, puis enfermé au corps de garde du pont Sainte-Croix, se suicida, le 6 au matin, dans des circonstances vraiment dramatiques. « J'ai vu ce soldat au corps de garde où on l'avait conduit. C'était un très beau jeune homme, bien fait, au regard assuré, à la contenance tranquille. En attendant que son sort fût décidé, on le laissa en liberté. Près du corps de garde était un pont sous lequel passait un bras de la Meuse, il s'assit sur le parapet, demeura quelque temps immobile, puis se renversant en arrière, il se jeta dans l'eau il en fut retiré mort. » (1) Le meurtre commis sur le comte de Henkel causa l'arrestation momentanée de de Neyon. « Un chasseur français ayant tué le dimanche 2 au soir un officier prussien, le gouvernement constitua Neyon prisonnier, lui disant qu'il répondrait sur sa tète de l'auteur de l'homicide. Neyon observa qu'il n'était nullement responsable puisqu'il ne commandait plus. A lui gouverneur de prendre les mesures nécessaires pour la sûreté de la place. Le gouverneur ajoute que les troupes demandent le pillage de la ville et qu'il ne pouvait l'empêcher. Neyon alla sur le champ faire informer les corps administratifs qui s'assemblèrent et allèrent en représentation près du roi de Prusse et obtinrent que le pillage n'aurait pas lieu.» (2) De Neyon fut remis en liberté le lundi 3 septembre, à 3 heures de l'après-midi. Il est fort probable que l'entretien entre de Courbière, le gouverneur, et de Neyon n'eut lieu que le lundi 3. En effet les « Réminiscences » placent au 3 septembre la nomination du général de Courbière aux fonctions de gouverneur. D'autre part, ce même jour 3 septembre, le roi de Prusse monte à cheval et se rend dans l'après-midi à Verdun, pour visiter la ville et ses fortifications; c'est sans doute au cours de cette promenade que les corps municipaux lui présentèrent leur requête; car l'intention de mettre Verdun au

(1) Goethe: Campagne de France, page 35, traduction Porchat. Cf., sur ce sujet, les articles parus dans la Revue critique d'histoire et de littérature, sous la signature de M. Chuquet, n° du 22 octobre 1883 et du 13 octobre 1884.

(2) Mémoire de De Neyon, ms. 213, et Archives nationales, W. 1 bis, 352, 718. Cf. pièces justificatives, pages xxvi et seq.

pillage ne put germer dans l'esprit des soldats prussiens que dans la journée du 3. Entrées dans Verdun, le 2 septembre au soir, les troupes d'occupation essayèrent, pendant la nuit, de maintenir l'ordre, et les scènes auxquelles elles assistèrent ne furent pas sans influence sur la résolution qu'elles prirent le 3 septembre. Les deux bataillons qui surveillaient la cité restèrent toute la nuit sous les armes pour réprimer les actes de vandalisme. Depuis la matinée du 2, non seulement les réserves de vivres étaient gaspillées, mais les magasins étaient saccagés. Le témoin oculaire, auteur de lettres curieuses sur la campagne de 1792, a vu des pièces de vin couler dans le sable, des effets de campement et des habits d'uniforme abandonnés ou lacérés. Le procureur de la commune, Viard, si l'on en croit ses déclarations, fit l'impossible pour empêcher la garnison française de commettre pareils excès, et la population civile d'y prêter la main par de coupables complaisances. Le duc de Saxe-Weimar et Lombard, secrétaire du roi de Prusse, sont tout aussi affirmatifs :

<«< Pendant la nuit, il y eut beaucoup d'alertes dans la ville: elles étaient principalement occasionnées par certains gardes nationaux restés en arrière; avant notre arrivée, ils s'étaient emparés avec l'aide de leurs camarades de provisions de toutes espèces, et maintenant qu'ils étaient ivres, ils passaient la nuit à courir par les rues en y faisant grand tumuite. » (1) De Courbière enjoignit tout d'abord aux habitants de déposer, s'ils ne voulaient encourir un châtiment sévère, toutes leurs armes à la citadelle, et de remplacer les cocardes tricolores. par des cocardes blanches. « A notre arrivée les rubaniers de Verdun s'occupèrent nuit et jour à faire des cocardes blanches; car depuis ce moment, les citadins, paysans, seigneurs, moines, même les capucins, tous en portaient. » (2) Les Prussiens respectèrent les propriétés privées; il n'en fut pas de même des dépôts publics. Le 4, la maison des ci-devant Augustins qui servait de magasin militaire et où étaient. entassées des étoffes, des toiles, des caisses de toutes sortes

1) Réminiscences, page 26. (2) Témoin oculaire, page 34.

appartenant aux différents corps, notamment au 2 bataillon de la Meuse, fut méthodiquement dépouillée. Au bout de deux heures, il n'y restait absolument rien. (1)

La population de Verdun fit sur les vainqueurs une impression plutôt favorable. Des filles d'auberge « alertes, vives, » servent Goethe et les officiers prussiens avec autant d'empressement, que si elles avaient servi des officiers français « Nous sommes régalés à la table d'hôte d'un bon gigot et de vin de Bar qu'il faut consommer dans le pays, parce qu'il ne supporte pas le transport. » (2) « Les habitants. de cette ville sont très polis, ils parlent bien français, beaucoup mieux qu'à Longwy; les femmes surtout y sont belles; la plupart ont les cheveux et les yeux noirs, mais la peau blanche comme la neige et d'une extrême douceur; elles net cherchent pas à briller par l'ajustement et paraissent toutes assez éloignées de la coquetterie ; elles ont pourtant un air ouvert et n'en sont pas moins réservées, même dans la classe la plus pauvre ; chez la plupart, nos amateurs ne trouvaient pas tout à fait leur compte et les moins hardis d'entre eux se virent obligés de mettre de la réforme dans leurs gestes et leurs paroles. » (3)

Comment, d'autre part, la population verdunoise avait-elle accueilli l'arrivée des Prussiens?

II. « La joie des aristocrates de Verdun, écrit Cavaignac dans son rapport, éclata alors de la manière la plus scandaleuse; ils se portèrent sur les avenues de l'armée ennemie pour la voir défiler; ils crurent que la prise de Verdun et de Longwy était le présage infaillible de la contre-révolution dans toute la France. Ils firent aux Prussiens l'accueil le plus empressé. Ils arborèrent la cocarde blanche. Le sieur Grimoard, vieux militaire, vivant des bienfaits de la nation, ceignit la ceinture blanche. » Grimoard ne fut pas le seul qui exulta lors de l'arrivée des Prussiens

(1) Archives nationales, W. 1 bis, 352, no 718, 1oo partie.

(2; Goethe Campagne de France, page 33, traduction Porchat.

(3) Témoin.oculaire, pages 83-84.

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