Page images
PDF
EPUB

chambre de Mondon, chambre disposée de la même façon que celle de Beaurepaire, et qui formait en quelque sorte pendant à l'autre extrémité de la terrasse.

Le conseil de défense se sépara à sept heures du soir (Lemoine dit six heures) (1). Que fit Beaurepaire de sept heures du soir à deux heures et demie du matin? Cavaignac écrit dans son rapport: « Chacun se rendit à son poste, Beaurepaire se tint au sien jusqu'à deux heures et demie du matin. Il se retira dans une chambre voisine et dit aux soldats qui servaient auprès de lui qu'il allait y prendre une heure de repos» (2) « J'ignore, déclare d'autre part Dom Ybert, ce que fit Beaurepaire après le départ du parlementaire : mais je suis certain qu'il est rentré à deux heures du matin, le lendemain, à la maison commune où il avait un appartement. » (3) Lemoine prétend « qu'il partit accompagné de deux officiers pour visiter tous les postes et s'assurer des dispositions de l'esprit des troupes qu'il trouva assez bon. » (4) Cette version est assez probable. Enfin le sergent Petit affirme « qu'environ les deux heures et demie du matin de ce jour, Monsieur Beaurepaire est monté dans la chambre où il (Petit) était avec les autres sous-officiers de planton. » (5) Ce sont les seuls renseignements que l'on ait à ce sujet et, comme on le voit, ils sont peu précis. Beaurepaire resta-t-il à l'hôtel de ville de sept heures du soir à deux heures et demie du matin ? S'absenta-t-il pour ne rentrer qu'à deux heures et demie ? C'est bien possible et d'ailleurs très explicable. Toujours est-il qu'il pénétra dans sa chambre à deux heures et demie du matin, après avoir traversé la salle où se trouvaient, de planton, plusieurs sous-officiers et soldats. A trois heures, on entend un coup de feu; un instant après on pénètre chez Beaurepaire que l'on trouve étendu sans vie. Y eut-il suicide, y eut-il assassinat? M. Chuquet s'appuyant sur le Mémoire

(1) Mémoire de Lemoine au roi Louis-Philippe (1835). (2) Rapport de Cavaignac à la Convention, page 14.

(3) Dom Ybert Pétition présentée à la barre de la Convention, note, page 12.

(4) Lemoine Mémoire.

(5) Procès-verbal du juge de paix : déposition du sergent Benoît Petit. — Cf. plus bas, page 193 et seq.

de M. Dommartin conclut au suicide. Quels sont les arguments donnés en faveur du suicide? Quelles sont les preuves apportées? Ces preuves ont-elles une valeur scientifique? Tous les documents importants ont-ils été consultés? Tels sont les points que nous examinerons en détail. (1)

Perin, juge de paix de la rive droite, appelé, dressa le procès-verbal suivant (2) :

« L'an mil sept cent quatre-vingt douze, le 2 septembre, l'an IV de la liberté, les six heures du matin.

(1) Une légende ancienne, née au lendemain même de l'événement, veut que Beaurepaire se soit fait sauter la cervelle en pleine réunion du conseil de défense. Cette légende, dont la genèse est exposée avec exactitude dans l'ouvrage de M. Dommartin, pages 107 et seq., s'est formée dans l'imagination de Goethe en même temps que dans les débats de la Législative. Goethe raconte qu'après avoir donné son consentement à la capitulation, Beaurepaire tira de sa poche un pistolet et se tua en pleine séance de l'hôtel de ville, pour donner à son entourage un suprême exemple de patriotisme. D'autre part, le 12 septembre, Delaunay, député d'Angers, demandant pour Beaurepaire, à la tribune de l'assemblée, les honneurs du Panthéon, s'écrie que « Beaurepaire s'est donné la mort en présence des fonctionnaires publics... láches et parjures ». (Moniteur universel, n° 258, et Journal des Débats et Décrets, no 352.) L'auteur des Lettres sur la campagne du duc de Brunswick place dans la bouche de Beaurepaire cette dramatique réponse à la demande de capitulation : « J'ai fait le serment de mourir plutôt que de me rendre ; survivez, vous, à votre honte et à votre déshonneur, puisque vous le voulez ; mais moi je reste fidèle à mon serment, voilà mon dernier mot; je meurs libre... et un coup de pistolet termina sa vie. » C'est la version adoptée par les auteurs de « Victoires, conquêtes... » : « Beaurepaire, pour se soustraire à la honte d'une reddition, s'est brûlé la cervelle au milieu du conseil. » Buchez et Roux, dans leur « Histoire parlementaire »; Lamartine, dans son « Histoire des Girondins », n'hésitent pas à suivre la mème voie : « ... Messieurs, dit-il, j'ai juré de ne rendre qu'un cadavre aux ennemis de mon pays; survivez à votre honte si vous le pouvez quant à moi, fidèle à mon serment, voici mon dernier mot je meurs libre. Je lègue mon sang en opprobre aux lâches et en exemple aux braves. En achevant ces mots, il sort et se tire un coup de pistolet dans la poitrine... » (Histoire des Girondins, tome III, page 65.) — Michelet imite simplement Lamartine : Messieurs, j'ai juré de ne me rendre que mort... Survivez à votre honte... Je suis fidèle à mon serment... Voici mon dernier mot je meurs... Il se fit sauter la cervelle. » (Histoire de la Révolution française, tome V, page 256.) - Plusieurs estampes contemporaines ont retracé la scène en s'inspirant de ces légendes. Quant aux autres historiens vraiment dignes de ce nom, Louis Blanc et Thiers en particulier, ils ont préféré la version officielle, celle du rapporteur nommé par la Convention, Godefroy Cavaignac.

:

...

(2) Archives du dépôt de la guerre, carton septembre 1792. Publié par Mérat, en partie, et par M. Dommartin.

13

Nous Louis Périn, juge de paix du canton de la ville de Verdun situé sur la rive droite de la Meuse, nous sommes à la réquisition de Monsieur Pichon (1) commissaire des guerres en cette place, transporté à la maison commune de cette ville, où étant, dans une pièce au 1er étage prenant jour sur la rue et assisté de Messieurs Benoît-Louis Collard et Christophe Cauyette, tous deux officiers municipaux de cette ville, avons trouvé un cadavre masculin gisant par terre qui nous a été déclaré être celui de Monsieur Beaurepaire, premier lieutenant-colonel au bataillon de Seine-et Marne et commandant en cette place couché tout de son long dans la dite chambre sur le plancher, couvert d'un habit de garde national, avec une croix de Saint-Louis, une veste de basin blanc, culotté de peau et botté, ceint d'une épée, deux pistolets à côté de lui et perquisition faite dans ses poches, il s'est trouvé un portefeuille dans lequel il s'est trouvé une lettre datée de Montmédy du 25 août 1792 signée Ligneville, laquelle attendu qu'elle concerne la place a été remise au sieur Devaux, greffier secrétaire de la place, les autres papiers qui étaient renfermés étant des papiers de famille seront déposés au greffe de notre justice après avoir été par nous cotés et paraphés au nombre de.....

« Dans le même portefeuille s'est aussi trouvé deux assignats de cinquante livres l'un, trois billets de cinq sols l'un et un autre de dix, neuf assignats de cinq livres, dans une des poches de la veste s'est trouvé deux doubles louis d'or, trente huit livres cinq sols en argent blanc dans une bourse de soie, dans une poche de sa culotte, une montre à boite d'or, lesquels assignats, louis d'or et d'a.gent ont été remis au greffier, une clef que l'on présume ètre celle de sa chambre et qui sera présentée et remise au sieur juge de paix du canton de la ville haute où le dit sieur Beaurepaire avait son domicile.

Et au même instant est survenu sur notre invitation le sieur Pierre-Charles Lespine, maître en chirurgie demeurant

(1) La présence du traitre Pichon, qui requiert le juge d'instrumenter, est à signaler.

en cette ville, lequel, après visite et examen faits du dit cadavre nous a dit et rapporté qu'il avait trouvé le menton, les deux mâchoires tant supérieure qu'inférieure, la moitié du front et tout le côté droit de la tête enlevés ; le crâne ouvert et la moitié du cerveau emportée dont on a trouvé plusieurs morceaux de chair et d'os épars dans la chambre que cette mort a été occasionnée par deux coups de pistolets que l'on a trouvés déchargés à côté du cadavre; qu'il n'y a point de doute que ce ne soit le dit sieur Beaurepaire qui se soit donné la mort, ayant trouvé une quantité prodigieuse de sang répandu à côté de lui, qui a jailli jusqu'au plafond et après la boiserie de la dite chambre et sur le matelas qui s'y trouve; et a le dit sieur Lespine signé avec mes dits sieurs les officiers municipaux, le sieur Devaux et le sieur Pichon.

[ocr errors]

Signé CAUYETTE, COLLARD, Lespine,
PICHON, DEVAUX, VINATY et PÉRIN.

« Et de suite nous avons procédé à l'information des causes et circonstances de la mort du dit défunt ainsi qu'il suit : « 1. Benoit Petit, sergent au 1er bataillon de la Meuse actuellement en cette ville, lequel après serment prêté de dire la vérité a déposé qu'il était d'ordonnance en la maison commune de cette ville pour le conseil défensif de la place, qu'environ les deux heures et demie du matin de ce jour, monsieur Beaurepaire commandant en cette place est monté dans la chambre où il était avec les autres sous-officiers de la place, à côté de l'escalier à droite et leur a dit qu'il allait prendre une heure de repos et les a engagés à l'éveiller dans une heure et s'est retiré aussitôt dans la seconde chambre ensuite de celle où il était, qu'environ les trois heures du matin il entendit un coup de fusil qui l'inquiéta et ses camarades, qui mirent tous la tête à la fenêtre pour découvrir d'où pouvait provenir ce coup; qu'ayant aperçu dans la cour un officier municipal, ils s'informèrent s'il savait d'où provenait ce coup de fusil, que cet officier lui répondant qu'il l'ignorait, ils l'engagèrent à faire avec eux quelques recherches ce qu'ils ont fait; que n'ayant rien découvert ils informèrent cet officier

municipal que monsieur Beaurepaire commandant en cette place était couché dans une chambre voisine et l'engagèrent à aller à la chambre où il était, voir si ce coup n'était point parti de chez lui, qu'ils s'y rendirent ensemble et qu'après avoir frappé différentes fois sans avoir pu obtenir l'ouverture de la porte, l'officier municipal prit sur lui à leur invitation d'ouvrir la porte de cette chambre et qu'ayant aperçu le cadavre du dit sieur Beaurepaire gisant par terre, ses pistolets à côté de lui et la chambre remplie de fumée de poudre, ils se sont retirés avec l'officier municipal qui est tout ce qu'il a dit savoir, et lecture faite de sa déposition a signé ajoutant qu'ils ont à l'instant fait mettre deux factionnaires et un caporal du corps de la garde de l'hôtel de ville du bataillon d'Eure-et-Loire à la porte du dit sieur Beaurepaire pour en défendre l'entrée à personne.

«< Signé : Benoît PETIT.

« 2o Hubert Bohef, sergent à la sixième compagnie du bataillon de l'Allier, en garnison en cette place, lequel après avoir eu lecture de la déposition du sieur Benoit Petit ci-dessus, et après serment par lui prêté, a dit ne rien savoir autre chose que ce qui est porté en ladite déposition, que les faits se sont passés tels que le sieur Petit les a racontés, qu'il ne peut rien ajouter à sa déclaration et a signé.

[ocr errors][merged small]

« 3o Le sieur Benjamin Baud, sergent de la septième compagnie de la Charente-Inférieure en garnison en cette place, lequel après avoir eu lecture de la déposition du sieur Benoît Petit, ci-dessus et après serment par lui prêté, a déclaré que les faits racontés par le dit sieur Petit sont tels qu'ils se sont passés, et qu'il n'a rien à y ajouter ou diminuer, que cette déposition contient vérité et a signé. « Signé : BAUD, sergent.

« 4° Les sieurs Simon Gillet, sergent de la troisième compagnie d'Eure-et-Loire, François Dupoux, volontaire de la première compagnie du bataillon de l'Allier et Nicolas

« PreviousContinue »