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Savoie ; son nom nous est inconnu : « Vous savez la prise de Verdun à laquelle j'ose vous assurer n'avoir pas peu contribué en mettant en avant tous les moyens possibles. pour conduire cette ville à une prompte obéissance qui la remit en vingt-quatre heures sous l'autorité légitime du roi mon maître. » Les habitants de Verdun nous ont instamment priés de vous mettre cette lettre sous les yeux. » Ainsi, même au conseil de défense, parmi l'élément militaire, se trouvaient des traîtres, partisans d'une reddition immédiate.

Dans la cité la fermentation était considérable. Les démocrates accusaient les aristocrates de tous les maux qui s'abattaient sur la Patrie et voulaient leur faire un mauvais parti. Dans sa séance du 30 août, à huit heures du matin, le conseil défensif avait dû prendre des mesures sans doute nécessitées par les troubles de la veille. « Le conseil instruit que le public paraît vouloir attenter à la violation du droit des citoyens en forçant leurs habitations par des voies de fait, et considérant qu'il importe essentiellement au salut de la Patrie de conserver l'union, la force et l'harmonie qui doivent en ce moment servir de base à tous les bons citoyens. actuellement dans la place; arrête que toutes les personnes sans exception qui seront convaincues d'avoir voulu attenter aux propriétés de leurs concitoyens pour quelque cause que ce soit, et notamment les chefs du complot seront jugés par le conseil de guerre, et punis de mort conformément à la loi. Le conseil se réservant de sévir contre ceux qui par leur conduite seraient convaincus légalement de ne pas se prêter ou de s'opposer aux ordres qui pourraient émaner du dit conseil pour le service de la place.

Après le bombardement, des femmes parcoururent les rues en demandant à grands cris la reddition de la place: « Elles prononçaient ces mots avec toute l'extension qu'elles pouvaient donner à leur voix. Les faire taire n'était pas chose facile sans doute on eût pu les laisser crier. » (1) « Les habitants injuriaient le commandant de la place pour le forcer à capituler... La populace jurait, criait en tirant la sonnette

(1) Dufour: Mémoire, page 105.

des paisibles rentiers, les forçant de sortir de chez eux sans qu'ils sachent pourquoi. Dans un instant la première classe de la société se trouva malgré elle au milieu de cette bande de forcenés qui demandaient à grands cris la reddition de la place. » (1) « Alors le mécontentement se manifesta promptement parmi la population et les gardes nationales abandonnèrent en partie les postes qu'on leur avait confiés; des groupes se formèrent dans les rues et sur les places, des cris séditieux se firent entendre de toutes parts. » (2) Mais, le 1er septembre, les manifestations s'aggravèrent et certains membres des corps administratifs et judiciaires y jouèrent un rôle peu honorable. Des rassemblements se portèrent sur l'hôtel de ville, et des exaltés demandèrent à grands cris une capitulation immédiate. Cet important mouvement, que de Neyon dans son interrogatoire considère comme une des causes de la reddition du 2 septembre, a été fort diversement apprécié.

« Les partisans de la contre-révolution qui avaient leurs chefs jusque dans le conseil de défense, commencèrent à parcourir la ville: ils formèrent un rassemblement et se portèrent à la mairie ou demeurait Beaurepaire, criant qu'il fallait se rendre. » (3) « Le 1er septembre vers 9 heures du matin, 12 ou 15 habitants notables, ayant à leur tête M. Périn, marchand droguiste, premier maire élu en 1790, se rendirent au conseil et demandèrent que le général prussien fût invité à attaquer la place par des moyens moins destructifs. » (4) « Les femmes de la ville se rassemblèrent à la porte de l'hôtel de ville où le conseil défensif était en permanence: elles en supplièrent les membres d'avoir pitié d'elles et de ne pas achever la ruine du pays et des propriétés particulières. » (5) Les témoignages contemporains sont plus précis. Le capitaine adjudant major du bataillon de Mayenne-et

(1) Cuvillier-Fleury Portraits politiques et révolutionnaires. Citation tirée du mémoire de Barbe Henry, page 220.

(2) Lemoine Mémoire au roi Louis-Philippe.

(3) Vistot: Mémoire, page 42.

(4) Dufour Mémoire, pages 105-106.

(5) Mérat: Verdun en 1792, page 48.

Loire, Delaâge, dans son discours à la Convention, le 28 octobre, accuse formellement un officier municipal, Viard: « Nous vous dénonçons Viard, procureur de la commune, qui rassemblant six cents personnes se transporta à leur tête à la municipalité et sur notre résolution de nous défendre et de mourir glorieusement, en servant la cause de la liberté, nous menaça de faire égorger la garnison si elle tirait un seul coup de fusil. » (1) Dom Ybert dans sa pétition prononcée à << la barre de la Convention nationale, » contredit Delaâge: « Réduisez ces six cents hommes à quarante personnes non armées qui se dispersèrent à la voix du maire, et vous aurez une juste idée de cette résistance terrible, de ce rassemblement imposant qui glaça d'effroi le bataillon de Mayenne et Loire.» Enfin, le rapport de Cavaignac, rapport officiel, reconstitue ces scènes différemment, mais plus exactement, comme nous le verrons par la suite: « Plusieurs habitants se portèrent à l'hôtel de la commune et sollicitèrent le conseil général et le district d'obtenir de Brunswick qu'il leur fit la guerre d'une manière plus conforme au droit des gens. Il résulte aussi des informations faites par les commissaires municipaux provisoires nommés par les commissaires de la Convention qu'il se fit le même jour un rassemblement considérable d'habitants excités par quelques mauvais citoyens dont les chefs étaient Ribière et Périn, droguiste: que cet attroupement se porta à l'hôtel de la commune, mais que les porteurs de parole ne se trouvèrent environnés que de cinquante à soixante personnes et que le reste, que la curiosité sans doute y avait conduits, s'étaient retirés. »

Nous allons essayer de retracer la physionomie de ces manifestations d'après les dépositions des témoins interrogés par les différents commissaires ou par les membres du tribunal criminel de la Meuse. (2)

(1) Viard protesta vivement contre cette accusation lors de l'interrogatoire que lui fit subir la commission municipale provisoire, chargée d'enquêter, après le 14 octobre, sur ces événements. (Bibliothèque municipale, ms. 211. Extrait des liasses de la commission municipale provisoire, déposition de Viard, copie.)

(2) Archives nationales W. 1 b, 352, n° 718. Mss. Collection Buvignier, n° 210, 211, 213, Bibliothèque de Verdun.

Un fait bien certain c'est l'existence de deux rassemblements; la preuve en est fournie par le rapport de Cavaignac, par quantités de dépositions, en particulier par celle de Joseph Humbert et du perruquier Anchelon. Les promoteurs de ces troubles s'appelaient Fanard-Dauphin, Anchelon, Sibillon, et surtout les deux principaux Périn, droguiste, et Ribière, marchand. Ribière était en relations constantes avec les émigrés. Périn, le premier maire élu en 1790, ne cachait pas ses opinions royalistes; il faisait partie de ces sortes de cercles d'aristocrates, nombreux à Verdun, où l'on tenait des propos contre la Révolution; on y faisait des menaces aux patriotes avant comme après l'arrivée des Prussiens. Périn fréquentait surtout les réunions qui avaient lieu chez le nommé Dugas où, à cause de ses opinions. très tranchées, il était fort écouté; «< il faisait passer des combustibles (ne serait-ce pas plutôt comestibles?) aux Prussiens par l'intermédiaire de sa maison de Bellevue. » (1) Enfin, au moment de l'arrivée des Prussiens, il avait envoyé dans leur camp, à Bras, son fils alors âgé de 14 ou 15 ans qui insultait le commandant de la garde nationale de Tilly, fait prisonnier par l'ennemi.

Le plus important des rassemblements eut lieu entre onze heures et midi; il prit surtout naissance dans les rues Mazel, Neuve et des Rouyers. Nicolas Cloutier affirme « qu'il a vu beaucoup de monde assemblé depuis le commencement de la grande rue Mazel jusqu'au pont Sainte-Croix, et dans la rue Neuve. » Simon Payerne confirme cette déclaration on sollicitait les habitants à demander la reddition de la place et «< ceux qui engagaient le plus vivement les citoyens de se rendre à la maison commune, étaient les nommés Ribière, de la Porte-Chaussée et Périn, droguiste, qui faisaient une espèce d'appel. » Vinaty a vu Périn Philibert et Ribière « à la tête d'un grand nombre de citoyens. »> « Le peuple entrait en foule à l'hôtel de ville, mais au moment où Périn a pris la parole il n'était accompagné que de quarante à

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cinquante personnes. » Pierre Alis, professeur de mathématique du corps de mineurs, a rencontré dans la cour de l'hôtel de ville « quarante à cinquante personnes qui parlaient avec feu de la reddition de la place. » Périn est revenu par deux fois auprès du conseil défensif,« pour déterminer la faiblesse et la lenteur de plusieurs citoyens qui répugnaient d'abord à suivre l'avis qu'il leur dictait. » (1) Ce que tous désiraient, c'était la reddition immédiate de la place; sur ce point les témoins sont absolument unanimes. « Il vaut mieux se rendre comme des làches, disait Périn, que de se laisser griller comme des cochons. » (2) « Périn, droguiste, parlait encore plus haut que les autres: il disait qu'il fallait absolument rendre la place, que sans cela les propriétés des citoyens. seraient détruites et brûlées. » (3) « Ribière, lui, dit que puisqu'on ne recevait aucun secours et la place n'étant plus tenable, que des batteries nouvelles s'établissaient dans les environs, on était sur le point d'être brûlé cette nuit, il vaudrait mieux se rendre. » (4) Périn lui-même avoua en ces termes les faits incriminés : « Il s'est trouvé à la maison commune avec la généralité des citoyens pour demander s'il était possible de se défendre, et qu'au contraire il suppliait d'épargner l'incendie de la place; il a témoigné ses alarmes conjointement avec tous ses voisins. » Il est évident que Périn, dans son interrogatoire, grossit le nombre de ceux qui l'accompagnaient, pour diminuer sa responsabilité personnelle. Au contraire, le procureur de la commune, Viard, accusé directement par Delaâge à la Convention, et arrêté, a intérêt à diminuer le chiffre des manifestants, puisqu'on l'accuse de les avoir conduits; aussi déclare-t-il qu'ils pouvaient présenter une masse de trente citoyens au nombre desquels se trouvaient quelques femmes. Il est à peine besoin de faire remarquer combien cette assertion est contredite par les dépositions précédentes.

(1) Déposition de Sibillon.

(2) Déposition de Jean Duchesne.

(3) Dépositions d'Alis et de Guillet.

(4) Déposition de Viard. (Archives nationales: W. 1 b, 352, no 718. Ms. 213.)

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