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étaient demeurés intacts. » (1) Il n'y avait eu qu'une victime, Gillon, président du tribunal de Saint-Mihiel, commandant l'une des légions des gardes nationales de la Meuse; il fut blessé d'un éclat d'obus sur le quai de la Boucherie (aujourd'hui quai de la Comédie), et mourut le 6 septembre (2). Le bombardement cessa vers 8 heures du matin, le 1er septembre, mais on continua d'échanger quelques boulets (3) sans grand danger pour les assiégeants. Les Verdunois, en effet, ripostaient courageusement, mais sans résultat. De Neyon, dans son mémoire, dit que l'artillerie de la place ne pouvait atteindre les batteries de l'ennemi. « Du côté de la ville le feu n'est pas rendu avec une grande vivacité : leur artillerie peut à peine atteindre nos hauteurs. Aussi ne nous font-ils pas le moindre mal. » (4) Malgré cela, le duc de Brunswick ne s'attendait pas à une prompte reddition de la place il considérait, nous le savons déjà, Verdun comme trop bien fortifié pour pouvoir être enlevé par un coup de main sans une perte immense d'hommes.

Tous ceux qui étaient aux remparts firent convenablement leur devoir. « Il n'y eut pas un seul citoyen, disent les corps constitués, qui, pendant le feu de l'ennemi ait quitté son poste pas un seul qui ait paru même défiant sur les moyens de défense. » (5) Le rapport des corps administratifs est encore plus affirmatif. Beaurepaire félicita le maire et l'administrateur du district lors de la réunion du conseil de défense: « J'ai fait ma ronde pendant le feu le plus vif, dit-il, et n'ai vu personne s'émouvoir. » (6)

Mais tous les Verdunois étaient-ils au mème degré animés du même patriotisme? Quels étaient, en effet, les sentiments. d'une fraction de la population, de quelques chets des corps. administratifs ou judiciaires, et de certains membres du conseil de défense?

(1) Lemoine Rapport au roi Louis-Philippe, 1835.

(2) Lettre des commissaires Gossin et Ternaux, délégués du département. (3) Goethe: Campagne de France, traduction Porchat, page 29.

(4) Prince Frédéric-Guillaume : Réminiscences, page 20.

(5) Cavaignac : Rapport, page 12.

(6) Mémoire des corps administratifs. Archives du Ministère de la guerre, carton septembre.

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III. Il y avait à Verdun deux partis très distincts: le parti populaire, le plus nombreux, était fermement attaché au nouvel ordre de choses; il avait accepté avec un tel enthousiasme les récentes réformes; il avait embrassé avec une telle ardeur les idées d'indépendance et de liberté qu'il était, avant le 10 août, fort mal noté du pouvoir exécutif; c'est pour éviter quelque pénible aventure que Louis XVI, lors de sa fuite, n'avait osé traversé Verdun, et avait préféré prendre la route de Varennes. Lorsque l'arrestation du monarque avait été connue, les gardes nationales de Verdun et toutes celles des environs étaient accourues en toute hâte, jugeant très sévèrement la conduite de la famille royale il ressort en effet des documents contemporains qu'on n'ignorait nullement dans nos campagnes verdunoises les desseins du roi contre la constitution. (1)

Mais, à côté de ce parti, se dressait une autre faction moins nombreuse, mais plus puissante, celle des gens riches, influents, qui détenaient les principales fonctions et qui assistaient avec terreur à la démolition du passé. Profondé

(1) Impressions et observations personnelles sur les faits principaux de la Révolution de 1789, par le curé Vautrin. Manuscrit appartenant à la mairie d'Aubréville, canton de Clermont, arrondissement de Verdun, Meuse.

Sur cette question, nous avons consulté aux Archives nationales, outre la série C, les dossiers D. III, 160 (Comité de législation, Meuse), D. IV, 1, 43, 71 (Comité de constitution), D. XXIX, 8, 81 (Comité des rapports), D. XXIX bis, 25 (Comité des recherches), D. XL, § 3 et § 4, 51-57 et 53-72 (Comité des pétitions, dépêches et correspondances), FIC. III, 1, 2, 3, 7, 9 et 10 (Esprit public et élections), la série F. 7, en particulier F. 7, 3682-13 (Police générale). Nous n'avons trouvé que très peu de renseignements intéressants, quelques pétitions, quelques adresses de la société des Amis de la constitution, devenue par la suite la société des Amis de la Liberté et de l'Égalité. A noter cependant, outre les adresses déjà signalées, une supplique signée de quatre-vingt-treize citoyens de Verdun qui demandent au roi de déclarer, sans tarder, la guerre à l'empereur (5 février 1792, FIC. III, 9). De même, nous transcrivons cette lettre curieuse du procureur général syndic de la Meuse, Gossin, au ministre de l'Intérieur, Roland (14 avril 1792): « Un mouvement vient d'agiter la ville de Verdun; mais sa cause et son issue vous rassureront. Le sujet de la prise de la Bastille a occasionné une fermentation dans le spectacle que donnait un conducteur de singes : les spectateurs se sont choqués de ce que les assiégeants étaient vêtus de l'uniforme des gardes nationaux ; après beaucoup d'agitation, le tout s'est terminé par la mort des singes et l'on a sauvé la vie du maître, après bien des efforts et des alarmes... » (F. 7, 3682-13.)

ment attachés à la royauté, poussés par un égoïsme inqualifiable, ils considéraient toute résistance comme un désastre pour leurs intérêts: souvent d'ailleurs la bourgeoisie aisée fut plus antirévolutionnaire que la petite noblesse besogneuse. Or de ceux-là il en existait parmi les officiers municipaux, et quoi qu'on ait dit, ils mirent tout en œuvre pour exercer une pression néfaste sur le conseil de défense. Depuis quelque temps déjà, leurs opinions étaient connues. Nous avons vu comment l'administration du district et le conseil général de la commune avaient cru devoir agir à l'annonce. des événements du 10 août. Du moment où les autorités assemblées avaient approuvé l'envoi, au directoire du département, d'une adresse blàmant la suspension dont le roi avait été frappé, c'est que les corps administratifs comptaient une majorité suffisamment attachée aux idées rétrogrades.

Ces mêmes corps administratifs étaient en outre sollicités dans cette voie par l'évêque réfractaire de Verdun, Desnos, toujours à Trèves, et qui leur écrivait le 6 août 1792: « J'ai été ce matin faire ma cour au roi de Prusse à son quartier général il m'a fait l'honneur de m'inviter à diner chez lui. J'ai saisi ce moment pour implorer la clémence pour notre ville qui s'est rendue si coupable envers son Dieu. et son souverain, persécutant les ministres des autels et bravant l'autorité d'un monarque qu'elle devait seul reconnaître et respecter. Le roi et Mgr le duc de Brunswick m'ont dit, Messieurs, qu'il ne tenait qu'à vous d'éviter les châtiments qui vous sont préparés et que si vous vous soumettiez aux conditions prescrites dans les deux déclarations de Mgr le duc de Brunswick et que vous missiez bas les armes sans avoir la témérité de faire aucune résistance, vous éviterez par votre prompte obéissance tous les fléaux qui vous sont préparés et prêts à fondre sur vous... Je m'estimerai le plus heureux des hommes si vous daignez fermer vos oreilles aux conseils perfides que ne cessent de vous donner des ennemis bien connus de la religion et de la monarchie qui habitent dans. l'enceinte de vos murs. Desnos. » (1)

(1) Verdun-Révolution, tome II, registre.

Une foule de simples particuliers partageaient ces idées. Ceux mêmes qui ont essayé de laver la mémoire des fonctionnaires administratifs doivent reconnaître que beaucoup souhaitaient la victoire des Prussiens. Galbaud déclare qu'il y avait un grand nombre de familles dont les principes révolutionnaires appelaient l'ennemi » (1) et plus loin, « sans doute il était des traîtres à Verdun ; sans doute il existait des demi-patriotes plus attachés à leurs propriétés qu'à leurs serments; sans doute on y voyait de ces âmes pusillanimes, capables de tout sacrifier pour conserver leur inutile existence. » (2) « Au dedans de la place, des citoyens inciviques travaillaient dans l'ombre » (3) et Cavaignac : « La joie des aristocrates de Verdun éclata alors de la manière la plus scandaleuse (4); ils se portèrent sur les avenues de l'armée prussienne pour la voir défiler. Ils crurent que la prise de Verdun et de Longwy était le présage infaillible de la contrerévolution dans toute la France. Ils firent aux Prussiens l'accueil le plus empressé. Ils arborèrent la cocarde blanche. » (5) Mérat rapporte que l'on prétendait, à tort ou à raison, que les habitants de la ville haute, quartier aristocratique et ecclésiastique, poussèrent l'infamie pendant le bombardement, jusqu'à illuminer leurs maisons afin de mieux diriger les coups de l'ennemi. Enfin Vistot dit que les partisans de la contre-révolution avaient leurs chefs jusque dans le sein du conseil de défense. En effet, si parmi les membres du conseil de défense on comptait des hommes comme Marceau et Beaurepaire, ou même comme Lemoine, Radet, Delaàge qui se firent un nom plus tard sur les champs de bataille de la Révolution et de l'Empire, il s'y trouvait aussi des gens sans grande énergie, comme les chefs de la garde nationale, ou des traîtres, comme Bousmard et Pichon. « Déjà Bousmard, ingénieur en chef et Pichon son commissaire des guerres se

(1) Galbaud, Observations, page 6.
(2) Galbaud, Observations, page 33.
(3) Déposition de Viard.

(4) Au moment de la capitulation.
(5) Cavaignac: Rapport, page 17.

sont jugés eux-mêmes par leur émigration. » (1) Bien qu'il n'y ait aucun fait précis à articuler contre Bousmard (2), les témoignages contemporains l'accusent formellement d'avoir négligé à dessein de fortifier suffisamment la ville, et d'avoir continué son service aux fortifications pendant l'occupation prussienne. Sans doute, il existe une déposition par-devant notaire et qui fait partie des minutes de l'étude de Me Bartement, déposition de soixante terrassiers, affirmant que l'ingénieur Bousmard, très zélé et très actif avant la capitulation, ne parut pas sur les travaux pendant le séjour des Prussiens: mais cette déposition de complaisance ne prouve absolument rien. Nous comprenons difficilement que Bousmard ait jugé la place suffisamment défendue, le 31 août, et incapable de résister à une attaque, le 2 septembre. De plus, si Bousmard se fût senti la conscience tranquille, sans doute se fût-il dispensé de passer dans les rangs de l'émigration; plus tard, en 1807, Bousmard devait défendre Dantzig contre le maréchal Lefebvre. Le cas de Pichon est beaucoup plus grave. Le 4 septembre, trois jours après la reddition de la place, Pichon se présentait avec deux commissaires prussiens et un détachement de hussards chez Claude Poiré, receveur de l'enregistrement à Verdun, et le sommait de lui livrer le contenu de sa caisse, ce que fit le receveur, hors d'état qu'il était d'opposer la moindre résistance. Pichon s'empara ainsi de 5,322 10. En outre, des délégués spéciaux chargés de faire une enquête au sujet de ces événements, Pons de Verdun et Drouet, eurent entre les mains une preuve encore plus convaincante de la trahison de Pichon. Voici la partie de leur rapport relative à ce fait. « On a trouvé dans les scellés du traître Pichon, commissaire des guerres au temps de la reddition de cette ville, l'un de ceux que vous avez décrété d'accusation, une lettre signée de lui dont voici les premières lignes. Elle est adressée à un général alors en

(1) Pétition du citoyen Ybert à la Convention.

(2) Henry-Jean-Baptiste de Bousmard, né à Saint-Mihiel, le 4 mars 1749. Son père était président à mortier au Parlement de Metz. Elève de l'Ecole de génie de Mézières. Capitaine du génie en 1788. Fit partie pour le duché de Bar (ordre de la noblesse) de l'assemblée des notables élue le 31 mars 1789.

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