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II. Le 31 août, à 8 heures du matin, la ville de Verdun était sommée de se rendre. Le porteur du message du duc de Brunswick, Grotthaus, était un ancien étudiant en droit qui avait servi en Corse sous Paoli, puis dans la guerre de succession de Bavière; il était passé dans les rangs de l'armée hanovrienne, puis parmi l'entourage du roi de Prusse. Sa mission donna lieu à de nombreuses plaisanteries dans le camp prussien. « Le matin du 31 j'étais dans la dormeuse, la couche assurément la plus sèche, la plus chaude et la plus confortable ; j'étais à demi réveillé, lorsque j'entendis quelque bruit dans les rideaux de cuir, et en les ouvrant, je vis le duc de Weimar qui me présentait un étranger inattendu. Je ⚫ reconnus aussitôt l'aventureux Grotthaus qui ne répugnant point encore ici à jouer le rôle de partisan, était arrivé pour se charger de la mission délicate de porter à Verdun une sommation. Il venait en conséquence demander à notre prince un trompette major. L'homme qu'on lui donna, fier d'une distinction si particulière, fut bientôt prêt à le suivre. Cette rencontre fut des plus gaies pour deux amis qui n'avaient pas oublié leurs anciennes folies. Grotthaus courut ensuite remplir sa mission qui devint plus tard le sujet de mille plaisanteries. On se racontait comme quoi il s'était aventuré à cheval par la grande route, le trompette devant lui et deux hussards derrière ; comme les gens de Verdun en véritables sans-culottes, ignorant ou méprisant le droit des gens, lui avaient tiré des coups de canon ; comme il avait attaché à la trompette un mouchoir blanc et donné l'ordre de sonner toujours plus fort; comme un détachement était venu le chercher et l'avait conduit seul dans la place les yeux bandés; comme il avait tenu de beaux discours, mais sans produire aucun effet ; et que sais-je encore tout ce qui fut dit pour amoindrir le service rendu et abaisser l'auteur de l'entreprise. » (1)

En effet, pendant une séance du conseil de défense, un garde avait introduit dans la salle un aide de camp de l'armée ennemie, les yeux bandés. Délivré de son bandeau, l'aide

(1) Goethe: Campagne de France, traduction Porchat, pages 22-23.

de camp avait remis au commandant un paquet qui contenait une sommation datée du camp de la Grand-Bras et adressée par le duc de Brunswick, général des armées combinées de Prusse et d'Autriche, d'avoir à livrer de suite la place. La sommation était faite au nom de sa majesté très chrétienne le roi de France. (1) L'aide de camp avait en outre confié au maire un pli destiné « au chef des habitants et autres notables de Verdun. » Pendant que Grotthaus se retirait dans une chambre voisine, le conseil décrétait que la lettre adressée « au chef des habitants » serait lue immédiatement dans une assemblée du conseil général de la commune, en présence de trois commissaires du conseil de défense. « Le conseil, après avoir entendu le rapport de messieurs Bousmard, commandant du génie, et Vercly, commandant de l'artillerie, sur la situation de la place, et avoir délibéré, a arrêté qu'il serait fait à monsieur le duc de Brunswick la réponse suivante : « Le commandant et les troupes de la garnison de Verdun ont l'honneur d'observer à monsieur le duc de Brunswick que la défense de cette place leur a été confiée par le Roy des Français de la loyauté duquel il leur est impossible de douter. En conséquence, ils ne peuvent sans manquer à la fidélité qu'ils lui doivent, ainsi qu'à la Nation et à la Loy, remettre la place tant qu'il leur restera des moyens de la défendre. Ils espèrent être assez heureux pour mériter par là l'estime du guerrier illustre qu'ils vont avoir l'honneur de combattre. » Signé: Beaurepaire, Radet, Lombard, Vercly, Marceau des Graviers, Miorel, Grivel, O'Brien, Thévenon, Bousmard, Trochereau. >> Cette réponse énergique, basée sur le rapport de Vercly et de Bousmard, prouve que les commandants de l'artillerie et du génie considéraient à ce moment la ville comme capable de résister à une attaque. On remarquera que la délibération. ne porte que onze signatures, ce qui laisse croire que, dans une circonstance aussi capitale, quelques-uns des officiers supérieurs n'assistaient pas au conseil; l'influence des membres de la municipalité grandissait donc d'autant; nous

(1) Cf. Pièces justificatives, pages xvIII, XIX.

ajouterons d'ailleurs qu'ils ne songèrent pas, pour le moment du moins, à entraver d'aucune manière le rôle du conseil de défense, car ils remirent au parlementaire, Grotthaus, pour le duc de Brunswick, une lettre très digne : « Monsieur, nous recevons la communication que vous nous adressez ; nous y répondons en déclarant que nos intentions sont pures, que nous n'avons jamais eu d'autres guides que la loi, que nous avons constamment employé nos efforts pour la faire exécuter; que dans la jouissance de la liberté, nous n'avons cessé de réprimer la licence : que nous n'avons point violé les personnes ni les propriétés et que nous avons usé de tous les moyens pour les faire respecter. Enfin nous avons fait notre devoir. Quant à la reddition de la place, la loi ne nous défère ni moyens, ni mission, et nous interdit toutes réquisitions. Ce sont les autorités militaires qui en répondent; elle seront dignes de toute votre estime. » Signé : Lambry, administrateur du district, Caré fils, maire de Verdun. (1)

Malheureusement pour l'honneur des corps administratifs, cette estimable résolution ne persista pas.

On s'attendait, dans le camp ennemi, à l'échec de la mission de Grotthaus « La forteresse ayant refusé, comme il fallait s'y attendre, de se rendre à la première sommation, on dut se disposer au bombardement. » (2)

Ce fut la ville qui commença le feu. « Toute la journée du 31, la place fit un feu très violent avec son artillerie. L'ennemi qui n'en était pas incommodé ne daigna pas y répondre. » (3) Cela donne lieu néanmoins à quelques alertes. « Dès que la nuit commence à tomber, des hommes commandés partent au milieu d'un silence solennel, franchissent les vignobles et se rendent à la place destinée à l'établissement des batteries d'attaque. Il y avait environ une heure que j'étais rentré dans ma tente pour diner, quand s'ouvrit une forte fusillade qui dura plusieurs minutes en

(1) Manuscrits du dépôt de la guerre carton septembre 1792. Reproduit par M. Dommartin, pièces justificatives, n° IX.

(2) Goethe: Campagne de France, traduction Porchat, page 23. (3) Cavaignac: Rapport, page 11.

éclairant tout l'horizon du côté de Verdun. Ce n'est qu'une patrouille des chasseurs du major Spitzmann (cantonné à Belleville) dans laquelle se trouvait, dit-on, le prince LouisFerdinand, et qui s'était approchée un peu trop de la place; la garnison, s'alarmant de sa présence, ouvrit le feu de toutes parts et sans autre motif. Le premier plan est changé, les batteries au lieu d'être établies au-delà des hauteurs et sur le penchant des vignobles sont définitivement placées sur la crête de la côte Saint-Michel tout près, mais en arrière de ces mêmes vignobles. » (1) Cette première batterie était située à peu près à goo toises du corps de place; la deuxième avait été installée auprès des carrières qui bordent la route de Metz, à la même distance; enfin la troisième, sur la côte Saint-Barthélemy, en face de la porte de secours de la Citadelle, à 600 toises environ des remparts. (2)

Le bombardement commença vers onze heures du soir. Ses effets ont été très diversement appréciés. Le rapport de Cavaignac nous paraît contenir sur ce point des exagérations volontaires, sans doute destinées à justifier la capitulation:

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L'emplacement des mortiers, des obus, des pots à feu sur les hauteurs rendait leur effet terrible et certain. Chaque coup portait, chaque éclat de bombe allait incendier une maison.... Déjà quatre maisons étaient réduites en cendres, quatre-vingts autres étaient considérablement endommagées et l'ennemi paraissait décidé à tout embraser. » (3) On peut comparer ces déclarations avec celles du prince royal, Frédéric-Guillaume, dans ses « Réminiscences »: « Notre feu ne fait pas grand effet: aussi est-il arrêté. Arrivée du roi à la batterie environ une heure avant le jour. Le feu recommence. Verdun s'enflamme en quelques endroits; la batterie sise au-delà de la Meuse (4) étant plus rapprochée de la citadelle que nous de la ville peut agir avec plus d'efficacité. Nos mortiers de dix pouces n'atteignent pas les obusiers seuls

(1) Prince Frédéric-Guillaume: Réminiscences, page 19.

(2) Vistot Mémoire, page 42. M. Chuquet place la 2 batterie sur la route d'Etain, ce qui est inexact.

(3) Cavaignac: Rapport, pages 11-12.

(4) Batterie de Kalkreuth, côte Saint-Barthélemy.

portent sur la ville et font quelques ravages. » Vistot et Dufour qui ne firent que transcrire les déclarations de témoins oculaires, considèrent les dégâts comme peu importants : « Il y eut quelques maisons brûlées et quelques autres endommagées.... les batteries étaient trop éloignées et plusieurs trop élevées pour produire quelques effets. » (Vistot) « Les feux ne produisirent que peu d'effet en raison de la distance des batteries et plus encore de l'élévation des deux premières qui ne donnèrent que des feux fichans: peu de maisons furent endommagées; deux seules furent brûlées en partie. >>>> (Dufour).

Les corps administratifs qui n'ont aucun intérêt à dissimuler leurs pertes, au contraire, disent, dans leur adresse du 1er septembre, « que le bombardement qui fut fait cette nuit a réduit en cendres ou considérablement endommagé les maisons de plusieurs habitants. » Ceci ne paraît nullement indiquer qu'il y eût quatre-vingts maisons atteintes par les obus; en outre, le maire, dans l'interrogatoire que lui firent subir les commissaires de l'armée du centre, Carra, Prieur de la Marne, Sillery, déclara que le bombardement avait incendié une maison dans la ville et trois au faubourg du Pavé, et « avait fait manifester le feu dans quarante autres. » Prille prétend même qu'il n'y eut que deux maisons brûlées entièrement, l'une dans la ville, l'autre au Faubourg Pavé.

Enfin, d'une lettre très curieuse, très instructive et évidemment sincère, il résulte qu'une seule maison aurait été complètement détruite (1). Quoi qu'il en soit, les fortifications. n'étaient pas atteintes : « Le bombardement n'avait duré que douze heures et n'avait aucunement ruiné nos ouvrages qui

(1) Lettre adressée de Verdun à l'abbé Rabier, à Trèves. Verdun, 9 septembre 1792. « Enfin, mon cher ami, depuis huit jours, les honnêtes gens respirent ici. Nous en avons été quittes pour la peur. Une seule maison a été brûlée, c'est celle où vous avez couché il y a quatre ans bientôt. Vos amis se portent bien et vous embrassent. Ce soir, Monsieur, frère du roi, arrive ici. La ville est rendue, mais non soumise. Vous n'avez pas idée de la fureur, de la rage qui animent les Français. Dieu veuille y mettre la main!... » Pas de signature. (Archives communales, liasse C. 11, Emigrés, original.)

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