Page images
PDF
EPUB

PÉDAGOGIE

LES SALLES D'ASILE.

Le rapport publié par M. Gréard, inspecteur général de l'instruction publique et directeur de l'enseignement primaire de la Seine doit être considéré dès aujourd'hui comme un document des plus importants dans la question de l'enseignement primaire. Cette étude remarquable est destinée à servir pendant longtemps de base aux travaux qui seront publiés sur le même sujet. M. Gréard a consacré environ une centaine de pages à nous montrer ce que sont les Salles d'asile à Paris. De sérieux documents statistiques établissent qu'à la date du 1er mars 1875, 140 Salles d'asile existaient à Paris et que le chiffre des enfants inscrits s'élevait à 27,000.

Il résulte clairement du rapport de M. le directeur de l'enseignement primaire que l'organisation de ces établissements est défectueuse sur plus d'un point. Les Salles d'asile ne sont pas suffisamment nombreuses et, même parmi les enfants inscrits, il y en a qui ne les fréquentent pas, faute de place. Les Salles d'asile sont trop éloignées les unes des autres, et de trop longues courses sont ainsi imposées aux enfants. Au point de vue de l'hygiène, les salles d'asile laissent également à désirer.

Il y a là une série de réformes qui mériteraient d'être étudiées en détail. Au fond, on peut les ramener à une seule : multiplier le nombre des salles d'asile, afin d'éviter l'encombrement. Mais cet encombrement de jeunes enfants dans un même local a, au

point de vue de leur éducation, des inconvénients plus graves encore, sur lesquels nous voulons insister.

Pestalozzi combattait le principe même des Salles d'asile. Il soutenait que l'enfant, dans son plus jeune âge, ne pouvait recevoir une éducation convenable qu'au sein de la famille, dans la maison paternelle. Qui ne partagerait cette opinion s'il ne fallait compter avec les nécessités qu'impose à la classe ouvrière le travail au dehors ? Sans compter ceux qui n'ont pas de famille, on peut dire qu'en général, les enfants du peuple n'ont point de foyer. De là est née l'idée de la Salle d'asile.

Mais en visitant ces établissements, on se demande s'ils peuvent profiter d'une façon quelconque aux enfants qui les fréquentent; si bien plutôt il n'est pas à craindre que les Salles d'asile n'étouffent en eux tout germe de développement intellectuel et moral.

On réunit dans une même salle deux cents, trois cents et jusqu'à quatre cents enfants; une maîtresse est chargée d'enseigner, et une surveillante a pour mission de maintenir l'ordre. Qu'en résulte-t-il ? Ou bien c'est un troupeau désordonné, ou bien pis encore, un régiment trop bien discipliné, obéissant machinalement au claquoir et au sifflet.

Qui ne voit ici la conséquence nécessaire d'un pareil système? Le soin de la discipline absorbant l'effort des maîtresses, l'enfant est condamné à un état absolument passif. Au lieu de la libre expansion qui lui permettrait d'exercer ses facultés, il reste fixé à sa place, refoulé sur lui-même; il devient sombre, craintif et défiant. Les exercices auxquels on se livre dans ces classes trop vastes, sont purement mécaniques; c'est le chant monotone de quelque cantique ou le : b, a, ba, répété pendant des heures

entières.

Dans ces conditions, l'enseignement collectif ne peut plus porter aucun fruit. Une expérience récemment faite dans une école libre de Paris (l'école Monge) a démontré clairement qu'une classe ne doit jamais se composer de plus de vingt-cinq élèves. Autrement, ce ne serait plus une classe, ce serait un cours. On

voit ici la différence. Dans un cours, c'est le professeur qui parle; dans une classe, ce sont les élèves qui s'exercent à parler, sous la direction et le contrôle du professeur.

Mais, à plus forte raison, cette nécessité de restreindre le nombre des élèves dans une classe s'impose, lorsqu'il s'agit de tout jeunes enfants. L'asile est destiné à remplacer l'éducation de famille; il faudrait donc qu'il s'en rapprochât autant que possible, que l'enfant ne fût plus perdu et opprimé au milieu de cette foule d'autres enfants, qu'on lui rendît la liberté et qu'il sentît près de lui une surveillance attentive, une protection bienveillante et efficace.

Il faudrait au moins établir deux divisions dans les Salles d'asile : les enfants de deux, trois et quatre ans d'une part, ceux de cinq et six de l'autre.

Que doit-on apprendre à l'asile aux termes de la loi ?

Les éléments de l'instruction religieuse, de la lecture, de l'écriture, du calcul verbal et du dessin linéaire ; des connaissances usuelles à la portée des enfants, des ouvrages manuels appropriés à leur âge, des chants religieux, des exercices moraux et des exercices corporels.

Voilà un beau programme, trop beau, assurément, pour pouvoir être appliqué.

Qu'est-ce donc qu'une Salle d'Asile? C'est en réalité une école préparatoire à l'école primaire. Ces Salles d'Asile qui aux termes de la loi du 10 avril 1867, sont destinées à recevoir les enfants de 2 ans à 6 ans ne peuvent donner par elles-mêmes, ni une éducation complète, ni même réaliser le programme dont nous venons de relater les principales dispositions.

Notre programme à nous serait celui-ci poursuivre le développement physique de l'enfant par des exercices gymnastiques, l'éducation des sens de l'enfant par des leçons de choses et obtenir comme résultat dernier le développement de son intelligence.

Alors seulement il pourrait être question de lecture, d'écriture et de calcul, études qui ne peuvent être que nuisibles pour des esprits non préparés.

Dans un programme aussi chargé nous voudrions au moins que l'on fit grâce à l'enfant de ce qu'on appelle l'Instruction religieuse. Et ici nous nous plaçons à un point de vue purement pédagogique. Cette considération nous est dictée exclusivement par ce principe qu'il ne faut jamais présenter à l'enfant des conceptions qui sont au-dessus de son intelligence. Rousseau, qui n'était pas un athée, ne veut pas que l'on parle de Dieu à son Emile, avant qu'il soit en état de comprendre les idées abstraites et générales. « Tout enfant qui croit en Dieu, dit-il, est nécessairement idolâtre ou du moins anthropomorphite. » Rousseau avait raison, et présentait cette objection dans l'intérêt même des sentiments religieux qu'il voulait développer plus tard chez son élève.

Au fond, il est incontestable que l'intelligence de l'enfant 'est pas en état de recevoir les idées générales et les formules abstraites.

En résumé, pour réformer nos Salles d'asile, nous demandons de nouveaux sacrifices d'argent qui permettent d'y continuer l'éducation maternelle. Inspirer à l'enfant la confiance et le laisser agir en liberté, c'est, à notre avis, le seul moyen d'obtenir le développement normal de ses facultés.

P. BEURDELEY.

NOTE BIBLIOGRAPHIQUE.

CH. DELON. Lectures expliquées. Tableaux et récits. Paris, Hachette et Cie.

On sait combien sont recherchés les livres de lecture à l'usage des enfants, on sait aussi combien ces livres sont rares. L'ouvrage de M. Delon, qui se présente sous les apparences les plus modestes,est appelé à rendre de véritables services aux maîtres et

Janv. Févr. 1876

3

aux parents. L'auteur est parti de cette idée qui nous paraît fort juste, à savoir que chez l'enfant le sentiment est ouvert plus tôt que l'intelligence proprement dite. L'enfant devine souvent ce qu'on veut lui faire comprendre et il finit par comprendre ce qu'il a primitivement senti.

L'erreur de ceux qui s'adressent aux enfants est tantôt de leur présenter les idées sous leur forme abstraite, tantôt de tomber dans l'enfantillage et la niaiserie, croyant ainsi se faire mieux comprendre. Il y a des gens qui font des grimaces pour amuser les enfants, il en est de même de certains livres. M. Delon a su être simple sans affectation et il a résolu, à notre avis, un problème pédagogique fort délicat. Ses lectures expliquées sont, comme il les appelle lui-même, des poésies sans rimes qui s'adressent surtout au cœur de l'enfant. Mais comme il ne faut pas que l'esprit scientifique perde ses droits, on le retrouve dans la méthode adoptée par l'auteur. Les récits nous paraissent avoir été choisis et gradués de façon à suivre le développement même de l'intelligence de l'enfant. Au début, nous trouvons une série de tableaux qui nous peignent les merveilles de la nature dont l'impression est si vive sur les jeunes esprits: les oiseaux, les fleurs, les étincelles, c'est-à-dire les astres. Puis le cadre s'élargit, et voici l'homme qui entre en scène : le petit frère nous initie aux sentiments de la famille, la demeure stable et la maison flottante nous disent les premiers efforts de l'industrie humaine.

Chacun de ces récits est suivi de développements et de commentaires et sert ainsi de thème à des leçons d'histoire naturelle de géographie ou de morale. Il appartenait à l'auteur de la Méthode intuitive de nous montrer comment les sentiments naturels des enfants doivent être le point de départ de leur éducation, comment un enseignement général peut sortir de l'exposé de faits particuliers, comment enfin un auteur qui est sincère trouve dans la simplicité du style, la poésie qui éveille l'imagination et la clarté qui parle à l'intelligence.

M. Delon fait trop de cas de l'enseignement par l'aspect pour

« PreviousContinue »