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on leur mettoit dans les mains un javelot (a); dès ce moment, ils fortoient de l'enfance; ils n'avoient été qu'une partie de la famille, & ils en devenoient une de la république (b).

Childebert II avoit quinze ans, lorfque Gontran fon oncle le déclara majeur & capable de gouverner par lui-même (c). J'ai mis (lui dit-il ) ce javelot dans tes mains, comme un figne que je t'ai donné tout mon royaume (d); & le tournant vers l'affemblée: Vous voyez que mon fils Childebert eft devenu un homme, obéissez-lui (e).

On voit dans la loi des Ripuaires cet âge de quinze ans, la capacité de porter les armes, & la majorité marcher enfemble. Si un Ripuaire eft mort ou a été tué (y eft-il dit (f)), & qu'il ait laiffe un fils, il ne pourra pourfuivre ni étre poursuivi en jugement, qu'il n'ait quinze ans complets, & pour lors, il répondra lui-même ou choifira un champion. Il falloit que l'efprit fût affez formé pour fe défendre dans le jugement, & que le corps le fût affez pour se défendre dans le combat.

Chez les Bourguignons qui avoient auffi l'ufage du combat dans les actions judiciaires, la majorité étoit encore à quinze ans. (g).

Les enfans de Clodomir, roi d'Orléans & conquérant de la Bourgogne, ne furent point déclarés rois, parce que dans l'âge tendre où ils étoient, ils ne pouvoient pas être préfentés à l'affemblée. Ils n'étoient pas rois encore, mais ils devoient l'être, lorsqu'ils feroient capables de porter les ar

& cependant Clotilde leur ayeule gouvernoit l'Etat (h). Leurs oncles Clotaire & Childebert les égorgerent, & partagerent leur royaume. Cet exemple fut caufe que dans la fuite les princes pupilles furent déclarés rois, d'abord après la mort de leurs peres. Ainfi le duc Gondovalde fauva Childebert II de la cruauté de Chilperic, & le fit déclarer roi à l'âge de cinq ans (i).

Mais dans ce changement on fuivit le premier efprit de la nation, de

(a) Sed arma fumere ante cuiquam moris quam civitas fuffecturum probaverit. Tum in ipfo soncilio vel principum aliquis, vel pater, vel propinquus, fcuto frameaque juvenem ornant. (b) Hæc apud illos toga, hic primus juventa honos; antè hoc domus pars videntur, mox reipublica.

(c) Il avoit à peine cinq ans (dit Grégoire de Tours, lib. 5. cap. 1.) lorfqu'il fuccéda à fon pere en l'an 575; c'est-à-dire, qu'il avoit cinq ans. Gontran le déclare majeur en Pan 585. Il avoit donc quinze ans.

(d) Guntramnus, data in Childeberti manu haftâ, dixit: Hoc eft indicium quod tibi omne regnum meum tradidi. Ibid. lib. 7. cap. 33.

(e) Gontran déclaroit majeur fon neveu Childebert qui étoit déjà roi, & de plus il le faifoit fon héritier.

(f) Tit. 81.

(g) Tit. 87.

(h) Il paroit par Grégoire de Tours, liv. 3, qu'elle choifit deux hommes de Bourgogne qui étoit une conquête de Clodomir, pour les élever au fiege de Tours qui étoit auffi du royaume de Clodomir.

(i) Vix luftro ætatis uno jam peračło, qui die Dominica natalis, regnare cœpit. Greg. Turon. lib. 5. Cap. 1.

forte que les actes ne fe paffoient pas même au nom des rois pupilles. Il y eut chez les Francs une double administration; l'une qui regardoit la perfonne du roi pupille; & l'autre, qui regardoit le royaume; & dans les fiefs auffi il y eut une différence entre la tutelle & la baillie.

La premiere race de nos rois dont le gouvernement a été plein de difcorde, & où la force & la violence ont fouvent élevé leur voix au-deffus de celle des loix, ne nous préfente aucune regle à confulter. La feconde, qui s'eft fentie des défordres de la premiere, ne nous en montre pas non plus. Mais la regle fe fait voir avec évidence dans la troisieme où là justice & la puiffance royale paroiffent dans tout leur éclat.

Du Tiller a écrit que les régences fous Philippe I & fous Philippe II durerent jufqu'à la quinzieme année de leur âge (a), c'eft-à-dire que la Minorité des rois finiffoit à quinze ans; mais il ne rapporte aucune preuve de fon fentiment; & il contredit les monumens que l'hiftoire nous fournit. Elle nous apprend que Philippe-Augufte, l'un des rois qu'il nomme, étoit encore mineur en 1148, & il avoit alors dix-neuf ou vingt ans. Il paroît que l'ufage commun de ce royaume avoit, dans ce temps-là, fixé là majorité des rois à vingt-un ans (b), & que c'eft à cet ufage que Louis VIH fe conforma, lorfqu'il ordonna (c) que fes enfans fuffent fous la tutelle de Blanche de Caftille leur mere, jufqu'à ce qu'ils euffent atteint vingt-un ans. Saint Louis fon fils aîné n'avoit que douze ans quand il parvint à la cou

& il ne fortit de Minorité qu'à vingt-un ans.

Un écrivain François (d) dit qu'en 1344 le roi Philippe de Valois & la reine fa femme firent une efpece de partage entre leurs enfans, qui porte que, parce que Philippe leur fils puiné étoit mineur d'âge, le roi le aga, le déclara âgé) pour faire la foi & hommage de ce que le roi lui donnoit, & que le roi & la reine promirent que dès que ce même Philippe feroit venu à l'âge de quatorze ans, ils lui feroient jurer d'accomplir ce qui étoit de ce partage. De ce fait, l'écrivain conclut que Philippe de Valois tenoit l'âge de quatorze ans pour un âge légitime. Mais premiérement cette efpece de partage n'a pas le caractere que doivent avoir les loix, il ne feroit tout au plus qu'une loi particuliere fur ce qui en étoit l'objet. En fecond lieu, ce partage ne pourroit renfermer la conféquence qu'en tire cet écrivain, & qui n'y eft pas développée, qu'en fuppofant une loi déjà faite, & l'on n'en trouve point. En troifieme lieu, ce n'eft point ici une loi générale prefcrite par les héritiers préfomptifs de la couronné, ce n'eft qu'un acte de l'autorité fouveraine fur un fait particulier qui regarde un fils puîné de France, & qui ne peut jamais être tiré à conféquence pour la majorité des rois. Autrefois l'émancipation du fils fe fai

(a) Chronicon Tilii.

rois.

(b) Pierre Dupuy en rapporte plufieurs preuves dans fon traité de la majorité de nos (c) En 1226.

(d) Pierre Dupuy, pag. 6. de fon traité de la majorité de nos rois, édition de 1659.

foit en jugement par les peres, il falloit qu'elle fût demandée par Penfant, qui devoit être émancipé, & fi cet enfant étoit mineur, le pere ne pouvoit l'émanciper fans des lettres du roi ainfi, lorfque Charles de Valois voulut émanciper Louis fon fils âgé de fept ans, il obtint des lettres du roi. Difons que comme le roi Philippe de Valois éaga, c'eft-à-dire autorifa fon fils puîné à faire un hommage, comme s'il eût été âgé, quoiqu'il ne le fût pas, il l'autorifa par la même puiffance royale, à ratifier à quatorze ans ce même hommage, quoiqu'il ne dût pas encore être majeur à cet âge là.

Charles V. eft le premier de nos fouverains qui ait fixé la majorité des rois à quatorze ans. Il fit cette déclaration, fondé fur les exemples de Joas & de Jofias, & appuyé de l'autorité de David, de Salomon & de Jérémie, & il la fit d'une maniere folemnelle, car ce fut en tenant fon lit de juftice au parlement de Paris, où il voulut que le recteur de l'univerfité, le prévôt des marchands, & les échevins affiftaffent. Il ordonna (a) que les fils aînés des rois de France préfens & à venir feroient âgés, & tenus pour âgés, dès qu'ils auroient atteint la quatorzieme année de leur âge (b). Le chancelier de l'Hôpital expliqua depuis cette ordonnance, fous le regne de Charles IX; & il fut dit que l'efprit de la loi étoit, que les rois fuffent majeurs à quatorze ans commencés & non pas accomplis, fuivant la regle que dans les caufes favorables l'année commencée étoit tenue pour révolue (c) loi faite pour les cas où il n'étoit queftion que de droits honorifiques, mais qui ne devoit point être appliquée aux cas où il s'agit de gouvernement, d'administration.

Ce prince étant mort au bout de fix ans (d), Charles dauphin de Viennois, fon fils aîné, monta fur le trône fous le nom de Charles VI, & gouverna avant même l'âge de quatorze ans. Louis, duc d'Anjou & de Touraine, comte du Maine, régent du royaume, & les ducs de Berry, de Bourgogne & de Bourbon, tous oncles du nouveau roi, étant allés au parlement (e) avec les prélats & les barons, le régent dit que: » Com» bien que le roi notre fire qui eft à préfent, fût mineur d'ans par la » coutume de France, & ne fût que de l'âge de douze ans, néanmoins » pour le bien de la chofe publique & pour le bon gouvernement, & » pour nourrir bonne paix & union entre le roi notre fire & fes on»cles deffus nommés, ledit monfieur le régent a voulu & confenti que » le roi notre fire qui eft à préfent, foit facré & couronné à Rheims

(a) L'ordonnance qui eft de 1373, fut publiée au parlement de Paris le 20 mai 1374. Elle eft rapportée dans Leibnitz, Codex Juris Diplomat. Tom. 1. p. 231; dans Dupuy Traité de la majorité des rois de France, aux preuves, p. 155; dans le Corps univerfel diplomatique du droit des gens. Tome II, part. premiere, p. 94.

b) Donec decimum-quartum ætatis annum attigerint.

(e) Annus incaptus pro perfecto habetur, loi du digefte de muneribus & honoribus.

(d) Le 16 de feptembre 1380.

(c) Le 2 d'octobre 1380,

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» en la maniere accoutumée; & ce fait, qu'il ait le gouvernement & >> administration du royaume, foit gouverné en fon nom par le confeil » & avis de fefdits oncles meffeigneurs, en tant que chacun touche » & pour ce & à cette fin, monfieur le régent l'a âgé & pour tel ré» puté (a), »

Sous les rois fucceffeurs de Charles V l'édit de ce prince a été ou confirmé ou exécuté. Charles IX, dont la majorité fur déclarée au parlement de Rouen (b), renouvella cette loi de Charles V (c).

J'ai remarqué, en parlant de la Minorité & de la majorité fous la feconde race de nos rois, que les actes de la fouveraineté ne fe faifoient pas au nom du roi pupille. En effet, les régens du royaume touchoient autrefois, fans er rendre compte, les revenus de la couronne; recevoient les foi & hommages; donnoient les charges & les emplois, faifoient la paix & la guerre; publioient des ordonnances pour l'administration de la juftice, & difpofoient abfolument des affaires fous leur propre nom. Toutes les lettres étoient expédiées fous le fceau du régent, fans y employer ni le fceau ni le nom du roi. C'eft pour cette raison fans doute qu'on rompoit le sceau du roi défunt & qu'on le jetoit dans fon fépulcre. Lorsqu'on l'inhumoit ainsi, l'on supposoit par fiction une espece d'interregne entre la mort du roi & l'avènement de fon fucceffeur. On donnoit même, fous la feconde race de nos rois, le titre de rois aux régens, pour les autorifer davantage & pour faire, pendant la Minorité, plus refpecter leurs ordres à des feigneurs qui commençoient à fe faire, de leurs gouvernemens, des fouverainetés féodales. Eudes, fils de Robert-le-Fort, eut le titre de roi, quoiqu'il ne fût que le tuteur du véritable roi (d).

C'étoit un abus manifefte, & un abus dont les conféquences pouvoient être dangereuses. Charles V qui en fentit les inconvéniens, voulut du moins en abréger le temps, & ce fut ce qui l'engagea à abréger la Minorité des rois, comme nous l'avons vu. Il diminua par là le grand pouvoir des régens; & Charles VI le fapa enfuite par les fondemens.

L'ordonnance de Charles VI porte que » lorfque le roi montera sur le » trône, en quelque Minorité qu'il foit, il fera réputé pour roi, & que le » royaume fera gouverné par lui & en fon nom, par les plus prochains » de fon fang & par les plus fages hommes de fon confeil (e). » L'administration des affaires s'eft depuis ce temps-là faite exactement fous l'autorité des rois. Catherine de Medicis, Anne d'Autriche, & Philippe duc d'Orléans, ont toujours fait expédier les lettres & les brevets fous le nom des

(a) Regiftres du parlement de Paris du 2 d'octobre 1380.

(b) Le 17 d'août 1563.

(c) Hift. Thuan. lib. 35.

(d) Voyez-en la preuve dans le quarante-deuxieme chap. du cinquieme livre de l'hif toire d'Aimoin, & dans les mémoires & recherches de du Tillet.

(e) Ordonnance de Charles VI, du mois d'avril 1403.

:

rois pour qui ils gouvernoient, avec l'expreffion De l'avis de la reine régente ou du duc régent.

En Allemagne, on en ufe différemment. L'adminiftrateur (c'eft ainfi qu'on appelle le tuteur que la loi donne, par exemple, à un électeur mineur de dix-huit ans), a droit de faire, pendant la Minorité de l'électeur, tout ce qu'un électeur majeur pourroit faire; & il le fait non comme procureur de l'électeur mineur ou comme le repréfentant, mais de fon chef & en vertu des loix de l'empire, lefquelles transferent à l'administrateur route l'autorité & tous les droits que les électeurs même poffedent. C'est fous le nom d'adminiftrateur qu'il eft invité aux élections, & il y paroît, non en habit ordinaire & après tous les électeurs préfens, comme font les plénipotentiaires des abfens, mais en habit électoral & à la même place que l'électeur lui-même occuperoit s'il étoit majeur (a). Ce que je dis des électorats a lieu également pour les principautés de ce pays-là. Les lettres même doivent être adreffées à l'adminiftrateur de l'électorat ou de la principauté, & non pas à l'électeur ou au prince mineur. C'eft un fait attefté par un miniftre à un fecrétaire d'Etat qui ne s'étoit pas conformé à ce cérémonial dans les dépêches de fon maître (b).

Suivant la regle incontestable, établie désormais en France, nos rois font majeurs à treize ans & un jour, parce qu'en droit, dans les choses favorables, Pannée commencée eft tenue pour complete, & qu'on a regardé le gouvernement de l'Etat, comme un de ces cas favorables ainfi que je l'ai remarqué. C'eft conformément à cet ufage que Louisle-Jufte, Louis-le-Grand, & Louis XV ont été reconnus majeurs dans les lits de juftice qu'ils tinrent dans leurs parlemens le lendemain de leur quatorzieme année commencée. Je dis reconnus & non pas déclarés, parce que nos rois font majeurs de droit à cet âge, & que c'eft la loi de l'Etat qui les fait tels, indépendamment de toute déclaration. Ce n'eft pas même même pour déclarer leur majorité qui ne peut être ignorée, que nos rois vont tenir leur lit de juftice; mais ils prennent occafion de quelque édit qu'ils portent dans leur parlement, pour parler de leur majorité ou pour l'énoncer dans le préambule. Louis XIV, majeur le 7 de feptembre 1651, tint ce jour-là fon lit de juftice au parlement de Paris, & fit publier plufieurs édits. L'avocat général (c) lui parla ainfi » Votre majesté ayant acquis la Majorité royale, telle qu'elle a été établie par les loix de l'Etat, elle n'a pas beloin d'en faire une déclaration particuliere, parce que fes fujets étant bien informés du moment de la naiffance de » leur prince, ne manquent jamais de favoir la plénitude de fon âge..... » La cérémonie en laquelle nous fommes employés aujourd'hui, n'eft pas » une déclaration de majorité, mais plutôt une action publique faite par

(a) Wicquefort, Difcours de l'élection de l'empereur, chap. XI.

(b) Lettre de Vautorte à Brienne du 26 de février 1654, pag. 661 du troifieme vol. du recueil qui a pour titre : Négociations fecretes de Munster,

(c) Voyez les mémoires d'Omer Talon.

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