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Notaire, Secrétaire-général du département des Vosges,

Maire d'Epinal.

D'après un tableau du Musée Départemental des Vosges.

Phot. Scherr.

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Journal de tournée de Lazowski

Inspecteur ambulant des Manufactures

dans les provinces d'Alsace, de Lorraine et des Trois-Evêchés

(1785)

INTRODUCTION

La Révolution française n'a pas été qu'un mouvement politique, démocratique, hostile aux nobles et au clergé. Elle a été surtout un mouvement économique, dont l'un des effets a été d'unir définitivement entre elles des contrées qui, jusque là, étaient à peine associées. Gouvernées, et souvent despotiquement, par le même roi et les mêmes ministres, les diverses provinces n'avaient ni les mêmes droits, ni les mêmes lois. Agrégées' une à une au domaine royal, elles avaient gardé leurs coutumes et leurs privilèges. Elles vivaient chacune sous un régime politique et économique particulier.

La Lorraine, naturellement, n'échappait pas à la règle commune de dissemblance. Bien plus, on trouvait dans la région deux provinces distinctes, la Lorraine proprement dite et les Trois-Evêchés, ceux-ci formés de ce qui était autrefois le domaine des évêques de Metz, de Toul et de Verdun. Mais ces deux provinces n'étaient pas juxRÉVOLUTION DANS LES VOSGES. - 14 juillet 1924.

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taposées elles étaient enchevêtrées. Des flots évêchois parsemaient le territoire lorrain qui, en revanche, poussait des pointes audacieuses au beau milieu des domaines de ses voisins rien ne montre mieux d'ailleurs la complexité de la situation territoriale du pays que l'excellente carte de l'Alsace, des Trois-Evêchés et de la Lorraine en 1789, qu'a publiée M. Maurice Fallex (1).

Il peut être intéressant de se demander quelles étaient les conséquences économiques d'une pareille situation, et de chercher à savoir dans quelles conditions, à la veille de la Révolution, se développaient le commerce et l'industrie de la Lorraine et des Trois-Evêchés. Un document nous apporte aussitôt la réponse : c'est le rapport sur une tournée d'inspection en Alsace, en Lorraine et dans les Trois-Evêchés, adressé le 15 décembre 1785, à M. de Tolozan, intendant du commerce, par M. de Lazowski, inspecteur ambulant des manufactures! (2).

Nul n'était plus qualifié que Lazowshi (3) pour entre

(1) Paris, Delagrave, 1921, in-8°, 30 pages, 1 carte. (2) Archives Nationales. F12 565. Une copie contemporaine et presque identiquement semblable à l'original à quelques détails insignifiants près se trouve aux Archives Départementales des Vosges sous la cote C 10.

(3) Jean-Baptiste Lazowski, « gentilhomme polonais, chef de l'office du Roi, chef de la bouche du Roi, contrôleur des offices de Sa Majesté Polonaise », et Catherine Grandidier, dite Le Brun, mariés à Lunéville en 1746, eurent quinze enfants. Le troisième, ClaudeFrançois Lazowski, né le 6 février 1752, jacobin fameux, mourut en 1793. Le dixième, Joseph-Félix, né le 20 novembre 1759, devint général sous l'Empire et mourut en 1812. Nous ne saurions dire avec certitude si l'inspecteur ambulant Lazowski est Jean-Baptiste, né le 3 février 1753, ou Maximilien-André, né le 14 novembre 1763. M. Charles Denis (Inventaire des Registres de l'Etat Civil de Lunéville (1562-1792), Nancy 1899) penche pour cette seconde hypothèse. On n'y pourrait faire qu'une objection : Lazowski figure comme sous-inspecteur à Elbeuf dans l'Almanach Royal pour 1782; il n'aurait donc eu, alors, que dix-huit ou dix-neuf ans. D'ailleurs M. Charles Denis, imité en cela par M. René Farge (Documents sur Lazowski, dans les Annales Révolutionnaires de janvier et février 1921) confond l'inspecteur ambulant Lazowski et son frère le jacobin Lazowski en un seul et même personnage, ce qui est manifestement inexact. Notre inspecteur est peut-être le Lazowski dont parle Charles Lacretelle (Dix ans d'épreuves pendant la Révolution, 1841, in-8°, p.

prendre une tournée d'inspection dans les trois provinces de l'Est. Né à Lunéville, fils d'un gentilhomme de la cour du roi Stanislas, protégé par le duc de La RochefoucauldLiancourt, puis par Calonne, « actif, spirituel, jeune et instruit », ainsi que le reconnaît Madame Roland, qui pourtant ne l'aimait pas, il avait été successivement sous-inspecteur à Elbeuf, inspecteur de la généralité de Soissons, et fonction qu'on avait créée pour lui

67) et dont M. Henry Poulet, citant Lacretelle, évoque la figure dans son article sur Claude-François Lazowski (Le Pays Lorrain, juillet et août 1922) : « Nos entretiens avec le duc de La Rochefoucauld-Liancourt étaient animés par un homme dont l'amitié me laissera toujours un précieux souvenir. Il se nommait Lazowski; il était d'origine polonaise ; son père avait suivi le roi Stanislas... Il avait élevé deux fils du duc de Liancourt, et maintenant il dirigeait un établissement agricole en homme profondément versé dans cette matière... Comme il avait profondément étudié la constitution anglaise... auprès de grands personnages et surtout de l'illustre Burke, il en était resté un admirateur passionné... Toutefois on ne voit pas très bien comment notre inspecteur, resté dans l'administration de 1781 jusqu'à 1791 (voir les Almanachs royaux et le décret du 27 septembre 1791 qui supprime les inspecteurs ambulants des manufactures) aurait pu être précepteur des fils du duc de Liancourt. Là encore il s'agit peut-être de deux Lazowski, en relations l'un et l'autre avec le grand seigneur philosophe.

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Nous ne pouvons donc dire avec certitude lequel des fils de Jean-Baptiste Lazowski est devenu inspecteur ambulant des manufactures; mais nous pouvons transcrire ici un passage d'une lettre de Madame Roland (Claude Perroud, Lettres de Madame Roland, t. I (1780-1787), Paris 1900, lettre du 21 mai 1784), où celle-ci donne de curieux détails sur l'accession de Lazowski au poste d'inspecteur ambulant. Lowiouski (sic), actif, spirituel, jeune et instruit, dit-on, est très bien chez M. de Calonne et très particulièrement protégé par le duc de Liancourt; depuis longtemps déjà, il presse et tourmente pour être avancé, pour être inspecteur général; il est aimable, il a persuadé qu'il était fait pour le devenir. Point d'inspection générale vacante il faut créer une place; on a imaginé de faire Lowiouski inspecteur ambulant à 8,000 livres d'appointements, destiné à remplacer l'inspecteur général qui le premier laissera une place libre, et devant, pour la mériter, courir le royaume huit mois de l'année, passer les quatre autres dans la capitale... »

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Quoi qu'il en soit, notre Lazowki est lorrain: sa naissance à Lunéville est incontestable. Il est philosophe ses relations avec le duc de Liancourt et les opinions qu'il exprime dans son rapport le prouvent abondamment. Ce sont ces deux qualités qui nous intéressent surtout en lui.

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inspecteur ambulant des manufactures et du commerce (1). Nommé à ce dernier poste en 1784, il entreprit en 1785 un voyage dans une région qu'il devait bien connaître, puisqu'il en était originaire la tournée d'inspection dont nous publions le journal et le résumé est sans doute la première de Lazowski, inspecteur ambulant.

Enfant du pays, Lazowski va s'intéresser vivement, presque passionnément, à cette situation économique de la Lorraine qu'on l'a chargé d'étudier. Il aura peine à garder cette impartialité froide du fonctionnaire qui se borne à dresser des statistiques sans vie, et des rapports d'une indifférente banalité. Mieux que quiconque, il verra, il comprendra la situation de ses compatriotes; mieux que quiconque, sans d'ailleurs perdre de vue les intérêts de l'Etat, il plaidera leur cause auprès des pouvoirs publics. Et il est significatif de constater qu'il est beaucoup moins chaleureux lorsqu'il parle de l'Alsace que lorsqu'il parle de la Lorraine et des Evêchés.

Mais Lazowski est autre chose qu'un Lorrain qui aime sa province. Il est aussi un esprit ouvert où les idées du siècle ont pénétré et se sont imprimées'. Il a étudié les théories des économistes, et paraît gagné à la thèse des physiocrates. Certes, le contact permanent que ses fonctions le forcent à garder avec la réalité atténue chez lui l'absolu des formules. Mais on sent fort bien, à le lire, que son idée directrice est la suivante: « Pour la prospérité des nations, il importe dès maintenant d'appliquer autant de liberté économique, d'abattre autant de frontières douanières qu'il est possible ». Et si parfois il propose quelque droit sur les marchandises étrangères, il prend soin de préciser que ce n'est qu'à contre-cœur, et parce que les autres Etats ne paraissent pas disposés à accorder, de leur côté, l'entrée en franchise dans leurs territoires.

Mais Lazowski est surtout un homme intelligent : il sait observer, mettre les choses à leur place, établir les rapports qu'elles ont entre elles, faire la synthèse après l'analyse. Son mémoire est certainement, parmi ceux qui traitent de la Lorraine et de l'Alsace à la même époque (2), le plus remarquable, le plus solide et le plus bril

(1) Sur l'administration du commerce et des manufactcres voir les Procès-verbaux du Bureau du commerce, recueillis par les soins de MM. Bonnassieux et Lelong, Paris, 1900, un vol. in-4°. (2) Voir Archives Nationales, F12 650, F12 677, etc.

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