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volontés et les lois de la Providence aient besoin du secours de nos décrets? Ne serait-ce pas au contraire porter alleinte au respect que nous lui devons? Ne serait-ce pas vouloir nous assimiler à Dieu même, et la religion n'est-elle pas indépendante de tous les efforts de l'esprit humain?

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» D'ailleurs, dans tout ce qui est du ressort de notre pouvoir, n'avons-nous pas fait, ne faisons-nous pas tous les jours ce qui dépend de nous pour le maintien du culte de la religion catholique? Ne nous occupons-nous pas d'établir et de fixer le nombre des ministres nécessaires au service des autels? Ne travaillons-nous pas à régler les dépenses qu'exigent l'entretien des églises, et toute la hiérarchie ecclésiastique? Voudrait-on, pour jeter la défaveur sur l'Assemblée nationale, persuader au peuple que nous n'avons voulu nous occuper de la religion? Loin de moi cette idée. Tout ce qu'il est possible de faire sans inconvéniens, nous le ferons; mais irons - nous, par des décrets inutiles, je dis même nuisibles à la majesté de la religion, mettre les armes à la main du peuple, favoriser les intrigues, les haines, les vengeances, les crimes enfin de toute espèce, qui s'enveloppent du manteau du fanatisme? Savons-nous quand et où s'arrêteraient le carnage et la destruction? Non, ces idées ne sont entrées dans l'esprit d'aucun de ceux qui composent cette Assemblée; mais s'il était possible qu'elles y entrassent, si l'Assemblée nationale rendait le décret qui a été proposé hier, et auquel je serais forcé d'adhérer parce que la majorité fait loi, je ne crains pas de dire qu'en ma qualité de représentant de la nation entière je rends ceux qui auraient voté pour l'admission du décret responsables de tous les malheurs que je prévois, et du sang qui pourrait être versé ! »

En finissant ce discours, vivement accueilli de tout le côté gauche et d'une partie du côté droit, M. de Menou proposa un décret d'ordre du jour, motivé sur ce que le respect dû à la religion ne permettait pas qu'elle devint le sujet d'une délibération. Dom Gerles appuya généreusement la motion du préopinant, en avouant hautement que

la sienne offrait de trop grands dangers, et qu'il y renonçait de tout son cœur. Cet exemple ne put toucher quelques membres du côté droit; ils luttèrent opiniâtrément contre la majorité, dont le vœu n'en fut pas moins formellement prononcé par le président, qui déclara fermée la discussion quant au fond. Le tumulte en vint au point que l'Assemblée se vit obligée de décréter que MM. de Cazalès et Maury ne seraient point entendus. On mit aux voix les différentes motions d'ajournement motivé qui avaient été proposées; celle de M. le duc de La Rochefoucauld obtint la priorité, et la seconde discussion commença. Les opposans se retranchèrent alors dans les amendemens les plus contradictoires; de la de nouveaux cris, une nouvelle agitation. Parmi ces amendemens nous citerons celui de M. d'Estourmel, dont Mirabeau s'empara avec autant de promptitude que de succès.

M. d'Estourmel.

« J'ai un amendement à proposer; il a pour base le serment que j'ai prononcé, quand on m'a élu député, de présenter les articles mentionnés dans mon cahier. Un de ces articles exige que je demande le maintien des constitutions du Cambrésis, stipulées et jurées par les rois. Le 25 janvier 1677 Louis XIV a juré devant Cambrai qu'il maintiendrait la religion cathoJique dans cette ville, sans y souffrir le culte non catholique, ni la construction de ses temples. Je propose donc pour amendement ces mots : « En maintenant les constitutions des villes et des provinces jurées par les rois. »

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M. le comte de Mirabeau.

Il n'y a aucun doute que sous un règne signalé par la révocation de l'édit de Nantes, et que je ne qualifierai pas, on ait consacré toute sorte d'intolérance; le souvenir de ce que les despotes ont fait ne peut servir de modèle à ce que doivent faire les représentans d'un peuple qui veut être libre; mais puisqu'on se permet des citations historiques dans la matière qui nous occupe, je n'en ferai qu'une. Rappelez-vous, messieurs, que d'ici, de cette même tribune où je parle, je vois

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la fenêtre du palais dans lequel des factieux, unissant des intérêts temporels aux intérêts les plus sacrés de la religion, firent partir de la main d'un roi des Français l'arquebuse fatale qui donna le signal du massacre de la Saint-Barthélemy!!! »

Cette foudroyante apostrophe, accompagnée d'un geste qui semblait encore pousser l'auditoire vers la fatale fenêtre, frappa tous les esprits d'une sorte de stupéfaction; par un mouvement spontané, chacun avait fixé ses regards du côté si énergiquement indiqué.... Après quelques momens de silence, ou plutôt de recueillement, les voûtes de la salle retentirent d'applaudissemens. Mirabeau avait enlevé d'as. saut le décret ; il fut rendu dans les termes suivans, le 13 avril 1790.

«L'Assemblée nationale, considérant qu'elle n'a et ne peut avoir aucun pouvoir à exercer sur les consciences et sur les opinions religieuses ; que la majesté de la religion et le respect profond qui lui est dû ne permettent point qu'elle devienne un sujet de délibération; considérant que l'attachement de l'Assemblée nationale au culte catholique, apostolique el romain, ne saurait être mis en doute au moment où ce culte seul va être mis par elle à la première place des dépenses publiques, et où, par un mouvement unanime de respect, elle a exprimé ses sentimens de la scule manière qui puisse convenir à la dignité de la religion et au caractère de l'Assemblée nationale;

» Décrète qu'elle ne peut ni ne doit délibérer sur la motion proposće, et qu'elle va reprendre l'ordre du jour concernant les biens ecclésiastiques.

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Franklin est mort!.... Ce fut par ces trois mots d'une accablante douleur que Mirabeau, dans la séance du 11 juin 1790, commanda le silence et les larmes des amis de la liberté. Mirabeau, depuis plusieurs jours, était

retenu chez lui par une indisposition : il apprend le malheur dont le nouveau monde est frappé; il sent que la nation française doit en partager le poids; il se rend aussitôt à l'Assemblée, et demande à être entendu; on réclame l'ordre du jour ; Mirabeau veut parler; on insiste; il s'écrie: Franklin est mort! A ces mots tous les yeux se mouillent, toutes les voix s'éteignent dans un religieux silence, et Mirabeau est écouté :

« Franklin est mort! Il est retourné au sein de la divinité le génie qui affranchit l'Amérique, et versa sur l'Europe des torrens de lumières !

» Le sage que deux mondes réclament, l'homme que se disputent l'histoire des sciences et l'histoire des empires, tenait sans doute un rang élevé dans l'espèce humaine.

» Assez longtemps les cabinets politiques ont notifié la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur éloge funèbre! Assez longtemps l'étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites! Les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs; les représentans des nations ne doivent recommander à leur hommage que les héros de l'humanité.

» Le congrès a ordonné dans les quatorze états confédérés un deuil de deux mois pour la mort de Franklin, et l'Amérique acquitte en ce moment ce tribut de vénération et de reconnaissance pour l'un des pères de sa constitution.

»Ne serait-il pas digne de vous, messieurs, de vous unir à cet acte vraiment religieux, de participer à cet hommage rendu à la face de l'univers, et aux droits de l'homme, et au philosophe qui a le plus contribué à en propager la conquête sur toute la terre? L'antiquité eût élevé des autels à ce vaste et puissant génie, qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans; l'Europe éclairée et libre doit du moins un témoignage de souvenir et de regret à l'un des plus grands hommes qui aient jamais servi la philosophie et la liberté.

» Je propose qu'il soit décrété que l'Assemblée nationale portera pendant trois jours le deuil de Benjamin Franklin. »

Cet éloge funèbre, ainsi que la proposition qui le termine, sont accueillis avec transport de presque toute l'Assemblée.... Nous disons de presque, parce qu'on doit à la vérité l'aveu pénible que plusieurs membres du côté droit ne se joignirent qu'avec froideur au vœu général des amis de la liberté : un de ces membres cacha sa résistance sous le doute qu'il éleva relativement à la mort de Franklin; ce qui fit reprendre ainsi la parole à Mirabeau :

« MM. de la Rochefoucauld (1) et de La Fayette, amis de ce grand homme, ont été instruits de sa mort : cette triste nouvelle a été écrite à M. de la Rochefoucauld par

(1) Extrait d'une lettre de M. Vaughan à M. le duc de la Rochefoucauld. Fondres, 4 juin 1790.

« C'est avec le plus vif chagrin que j'ai l'honneur de vous informer que vers le commencement du mois d'avril dernier le docteur Franklin a été attaqué d'un abcès dans la poitrine, qui lui a causé pendant dix jours une grande difficulté de respiration, et qui, après quelques jours de mieux, a fini par l'emporter le seizième jour de sa maladie. Il a conservé sa présence d'esprit ordinaire presque jusqu'à ses derniers

momens.

» Il est mort avec de la fortune, laissant quelques terres à M. W. Franklin, et le reste de son bien presqu'en entier à la famille de sa fille, madame Beach. M. Gay et quatre autres personnes sont ses exécuteurs testamentaires.

» Je n'ai pas besoin de vous dire, monsieur le duc, que l'on a rendu toutes sortes d'honneurs à la mémoire de ce grand homme : personnes publiques et privées de tous rangs et de toutes qualités ont assisté à ses funérailles ; la procession avait un demi-mille d'Angleterre de long, et il s'est forme pour la voir un concours de peuple tel qu'il n'y a peut-être pas d'exemple d'un pareil en Amérique. J'apprends que le congrès et quelques corporations portent son deuil pendant un mois, honneur que l'on n'avait encore rendu à aucun citoyen hors des fonctions publiques. Le docteur Franklin meurt assuré du respect de la nation française; et probablement vous apprendrez avec satisfaction que, malgré l'opposition qu'il fit autrefois naître contre les mesures de ce pays, je ne connais personne, parmi ceux qui ne sont pas sujets de l'empire britannique, qui y laissera plus d'amis et de regrets. Il goûterait sans doute encore quelque plaisir s'il pouvait sentir qu'à cet égard il doit avoir bientôt des rivaux dans votre nation.

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