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ration politique entre les citoyens, et cette séparation se fortifie encore par la dénomination attribuée à chacun des deux partis : le très-petit nombre de personnes qui vont dans l'église des prêtres assermentés, s'appellent et sont appelés patriotes; ceux qui vont dans l'église des prêtres non-assermentés, sont appelés et s'appellent aristocrates. Ainsi, pour ces pauvres habitans des campagnes, l'amour ou la haine de leur patrie consiste aujourd'hui, non point à obéir aux lois, à respecter les autorités légitimes, mais à aller ou ne pas aller à la messe du prêtre assermenté; la séduction, l'ignorance et le préjugé ont jeté à cet égard de si profondes racines, que nous avons eu beaucoup de peine à leur faire entendre que la constitution politique de l'État n'était point la constitution civile du clergé ; que la loi ne tyrannisait point les consciences; que chacun était le maître d'aller à la messe qui lui convenait davantage, et vers le prêtre qui avait le plus sa confiance; qu'ils étaient tous égaux aux yeux de la loi, et qu'elle ne leur imposait à cet égard d'autre obligation que de vivre en paix, et de supporter mutuellement la différence de leurs opinions religieuses. Nous n'avons rien négligé pour effacer de l'esprit et faire disparaître des discours du peuple des campagnes cette absurde dénomination, et nous nous en sommes occupés avec d'autant plus d'activité, qu'il nous était aisé de calculer à cette époque toutes les conséquences d'une telle démarcation, dans un département où ces prétendus aristocrates forment plus des deux tiers de la population.

Tel est, Messieurs, le résultat des faits qui sont parvenus à notre connaissance dans le département de la Vendée, et des réflexions auxquelles ces faits ont donné lieu.

Nous avons pris sur cet objet toutes les mesures qui étaient en notre pouvoir, soit pour maintenir la tranquillité générale, soit pour prévenir ou pour réprimer les attentats contre l'ordre public organes de la loi, nous avons fait partout entendre son langage. En même temps que nous établissions des moyens d'ordre et de sûreté, nous nous occupions à expliquer ou éclaircir devant les corps administratifs, les tribunaux ou les particuliers,

les difficultés qui naissent, soit dans l'intelligence des décrets, soit dans leur mode d'exécution; nous avons invité les corps administratifs et les tribunaux à redoubler de vigilance et de zèle dans l'exécution des lois qui protègent la sûreté des personnes et la propriété des biens, à user, en un mot, avec la fermeté, qui est un de leurs premiers devoirs, de l'autorité que la loi leur a conférée ; nous avons distribué une partie de la force publique qui était à notre réquisition dans les lieux où l'on nous annonçait des périls plus graves ou plus éminens ; nous nous sommes transportés dans tous les lieux aux premières annonces de trouble; nous avons constaté l'état des choses avec plus de calme et de réflexion, et après avoir, soit par des paroles de paix et de consolation, soit par la ferme et juste expression de la loi, calmé ce désordre momentané des volontés particulières, nous avons cru que la seule présence de la force publique suffirait. C'est à vous, Messieurs, et à vous seulement, qu'il appartient de prendre des mesures véritablement efficaces sur un objet qui, par les rapports où on l'a mis avec la constitution de l'État, exerce en ce moment sur cette constitution une influence beaucoup plus grande que ne pourraient le faire croire les premières et plus simples notions de la raison, séparée de l'expérience des faits.

Dans toutes nos opérations relatives à la distribution de là force publique, nous avons été secondés de la manière la plus active par un officier-général bien connu par son patriotisme et ses lumières. A peine instruit de notre arrivée dans le département, M. Dumouriez est venu s'associer à nos travaux, et concourir avec nous au maintien de la paix publique : nous allions être totalement dépourvus de troupes de ligne dans un moment où nous avions lieu de croire qu'elles nous étaient plus que jamais nécessaires: c'est au zèle, c'est à l'activité de M. Dumouriez que nous avons dû sur-le-champ un secours qui, vu le retard d'organisation de la gendarmerie nationale, était en quelque sorte l'unique garant de la tranquillité du pays.

Nous venions, Messieurs, de terminer notre mission dans ce

département de la Vendée, lorsque le décret de l'assemblée nationale du 8 août, qui, sur la demande des administrateurs du département des Deux-Sèvres, nous autorisait à nous transporter dans le district de Châtillon, nous est parvenu, ainsi qu'au directoire de ce département.

On nous avait annoncé, à notre arrivée à Fontenay-le-Comte, que ce district était dans le même état de trouble religieux que le département de la Vendée. Quelques jours avant la réception de notre décret de commission, plusieurs citoyens, électeurs et fonctionnaires publics de ce district, vinrent faire au directoire du département des Deux-Sèvres une dénonciation par écrit sur les troubles qu'ils disaient exister en différentes paroisses; ils annoncèrent qu'une insurrection était près d'éclater: le moyen qui leur paraissait le plus sûr et le plus prompt, et qu'ils proposèrent avec beaucoup de force, était de faire sortir du district, dans trois jours, tous les curés non-assermentés et remplacés, et tous les vicaires non-assermentés. Le directoire, après avoir long-temps répugné à adopter une mesure qui lui paraissait contraire aux principes de l'exacte justice, crut enfin que le caractère public des dénonciateurs suffisait pour constater et la réalité du mal et la pressante nécessité du remède. Un arrêté fut pris en conséquence le 5 septembre, et le directoire, en ordonnant à tous les ecclésiastiques de sortir du district dans trois jours, les invita 'à se rendre dans le même délai à Niort, chef-lieu du département, leur assurant qu'ils y trouveraient toute protection et sureté pour leurs pėrsonnes.

L'arrêté était déjà imprimé et allait être mis à exécution, lorsque le directoire reçut une expédition du décret de commission. qu'il avait sollicité. A l'instant il prit un nouvel arrêté par lequel il suspendait l'exécution du premier, et abandonnait à notre prudence le soin de le confirmer, modifier ou supprimer.

Deux administrateurs du directoire furent, par le même arrêté, nommés commissaires pour nous faire part de tout ce qui s'était passé, se transporter à Châtillon, et y prendre, de con

cert avec nous, toutes les mesures que nous croirions nécessaires.

Arrivés à Châtillon, nous fimes rassembler les cinquante-six municipalités dont ce district est composé; elles furent successivement appelées dans la salle du directoire. Nous consultâmes chacune d'elles sur l'état de sa paroisse : toutes les municipalités énonçaient le même vœu; celles dont les curés avaient été remplacés nous demandaient le retour de ses prêtres; celles dont les curés non assermentés étaient encore en fonctions, nous demandaient de les conserver. Il est encore un autre point sur lequel tous les habitans des campagnes se réunissaient : c'est la liberté des opinions religieuses, qu'on leur avait, disaient-ils, accordée, et dont ils désiraient jouir. Le même jour et le jour suivant, les campagnes voisines nous envoyèrent de nombreuses députations de leurs habitans pour nous réitérer la même prière. « Nous ne sollicitons d'autre grâce, nous disaient-ils unanimement, que d'avoir des prêtres en qui nous ayons confiance. Plusieurs d'entre eux attachaient même un si grand prix à cette faveur, qu'ils nous assuraient qu'ils paieraient volontiers, pour l'obtenir, le double de leur imposition.

La très-grande majorité des fonctionnaires publics ecclésiastiques de ce district n'a pas prêté serment; et tandis que leurs églises suffisent à peine à l'affluence des citoyens, les églises des prêtres assermentés sont presque désertes. A cet égard, l'état de ce district nous a paru le même que celui du département de la Vendée : là, comme ailleurs, nous avons trouvé la dénomination de patriote et d'aristocrate complétement établie parmi le peuple, dans le même sens, et peut-être d'une manière plus générale. La disposition des esprits en faveur des prêtres non-assermentés nous a paru encore plus prononcée que dans le département de la Vendée: l'attachement qu'on a pour eux, la confiance qu'on leur a vouée, ont tous les caractères du sentiment le plus vif et le plus profond; dans quelques-unes de ces paroisses, des prêtres assermentés ou des citoyens attachés à ces prêtres avaient été exposés à des menaces et à des insultes, et quoique là, comme ailleurs, ces violences

nous aient paru quelquefois exagérées, nous nous sommes assurés (et le simple exposé de la disposition des esprits suffit pour en convaincre) que la plupart des plaintes étaient fondées sur des droits bien constans.

En même temps que nous recommandions aux juges et aux administrateurs la plus grande vigilance sur cet objet, nous ne négligions rien de ce qui pouvait inspirer au peuple des idées et des sentimes plus conformes au respect de la loi et au droit de la liberté individuelle.

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Nous devons vous dire, Messieurs, que ces mêmes hommes, qu'on nous avait peints comme des furieux, sourds à toute espèce de raison, nous ont quitté l'âme remplie de paix et de bonheur; lorsque nous leur avons fait entendre qu'il était dans les principes de la constitution nouvelle de respecter la liberté des consciences, ils étaient pénétrés de repentir et d'affliction pour les fautes que quelques-uns d'entre eux avaient pu commettre; ils nous ont promis avec attendrissement de suivre les conseils que nous leur donnions, de vivre en paix, malgré la différence de leurs opinions religieuses, et de respecter le fonctionnaire public établi par la loi. On les entendait, en s'en allant, se féliciter de nous avoir vus, se répéter les uns aux autres tout ce que nous leurs avions dit, et se fortifier mutuellement dans leurs résolutions de paix et de bonne intelligence.

Le même jour, on vint nous annoncer que plusieurs de ces habitans de campagne, de retour chez eux, avaient affiché des placards, par lesquels ils déclaraient que chacun d'eux s'engageait à dénoncer et à faire arrêter la première personne qui nuirait à une autre, et surtout aux prêtres assermentés.

Nous devons vous faire remarquer que dans ce même district, troublé depuis long-temps par la différence des opinions religieuses, les impositions arriérées de 1789 et de 1790, montant à 700,000 liv., ont été presque entièrement payées : nous en avons acquis la preuve au directoire du district.

Après avoir observé avec soin l'état des esprits et la situation des choses, nous pensâmes que l'arrêté du directoire ne devait

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