Page images
PDF
EPUB

qui paraîtra devoir être le plus puissant. (Journal du Club n° LXXIII.)

On voit que les ex-constituans, n'ayant pu établir en droit le système des deux chambres, avaient trouvé le moyen de le réaliser en fait. Ils s'étaient préparé, dans le lieu des séances de la nouvelle assemblée, des tribunes qui leur étaient exclusivement réservées, et d'où ils pouvaient communiquer avec leurs successeurs pour éclairer, guider ou gouverner leur inexpérience. Ces tribunes privilégié furent l'objet d'attaques très vives de la part des journaux et des clubs. Le Moniteur lui-même renferme à ce sujet des réflexions d'une sévérité peu ordinaire à la gazette officielle. En voici quelques extraits :

[Deux tribunes particulières ont été préparées dans le sein de l'assemblée législative pour les membres de l'assemblée constituante. Il s'élève à ce sujet plusieurs questions que nous mettons à l'ordre du jour, faute de mieux.

La première est celle-ci : Qui a donné cet ordre? Est-ce la nouvelle assemblée? où est le décret? Est-ce l'ancienne? où est le droit? Est-ce une des vingt mille et tant de décisions secrètes du comité de constitution? qui l'a signée?

Cette nouveauté est-elle de l'ordonnance de M. Guillotin? Le comité de salubrité prétend qu'elle n'est nullement propre à purifier l'atmosphère.

Qui donc a donné cet ordre? Ce n'est pas le pouvoir législatif, encore moins le pouvoir exécutif. Ne serait-ce pas le pouvoir intrigant?

On a tant de peine à se résigner au néant! Ces décrets sont si sauvages! De grands et de petits personnages ne peuvent plus êtres ni ministres ni représentans en titre. Eh bien! il faut redevenir l'un et l'autre incognito. On s'arrange pour avoir un tabouret dans le conseil intime, et une banquette dans le corpslégislatif; on garde la voix consultative in utroque; on se flatte ainsi de gouverner l'un et de dominer l'autre. Du haut de la nouvelle tribune, comme d'un observatoire, on donnera les signaux au parti qu'on aura déjà su se faire dans l'assemblée, c'est-à-dire

au parti ministériel; on commandera les manoeuvres savantes de la tactique délibérative; on soufflera à celui-ci un amendement, à celui-là un sophisme; à l'un la question préalable, à l'autre, quelques adverbes endécasyllabiques. Là on tentera les forts, ici on séduira les simples; plus loin on effraiera les faibles. Insensiblement on se formera une influence mitoyenne qui peut, avec le temps, devenir d'un très-bon produit.

Et d'ailleurs, n'est-il pas telle circonstance où un corps de membres de l'ancienne assemblée pourrait reprendre une consistance assez brillante? Supposez la législature en démêlé avec le roi sur le sens d'un article constitutionnel, par exemple, eh bien! les fondateurs de la constitution sont là. Qui mieux que ces messieurs peut éclaircir la difficulté? Ce rendez-vous, où ils se retrouvent tous les jours, forme une espèce de comité permanent. Ils se concertent, ils se coalisent, ils sont toujours en vue; ils ont choyé la popularité; ils se font de temps en temps prôner dans quelques feuilles. Qu'arrive-t-il? Les voilà qui viennent tout à coup au secours du veto royal par quelque belle déclaration interprétative. Que sait-on? ils pourraient protester au besoin; le roi agirait. Et voilà ce qu'on appelle un contrepoids politique, une puissance intermédiaire, un équilibre censorial très-ingénieusement préparé ; le tout pour le maintien de l'ordre et le rétablissement de la paix.] (Moniteur du 7 octobre.)

A la séance du 9 octobre, ces tribunes furent supprimées par un décret de l'assemblée, à la suite d'une adresse qu'appuya Couthon.

Le peuple de Paris fit peu d'attention aux deux séances précédentes. Les principaux objets discutés dans les groupes, selon les feuilles qui recueillaient spécialement ces sortes de bruits, étaient la cherté de l'argent, la mauvaise qualité du pain, et les approches d'un hiver rigoureux. Il paraît, en outre, que nonseulement le peuple se détourna faiblement vers le bruit parlementaire du 5 octobre, mais encore que s'il le remarqua un instant ce fut pour l'improuver. Les Révolutions de Paris, no 117, s'en expriment ainsi : « Les déserteurs des Jacobins se sont ras

semblés sur la terrasse des Feuillans; ils ont crié au peuple que le décret du 5 tendait à violer la constitution et à troubler la France. Le pauvre peuple ne s'est pas aperçu qu'on lui dressait un piége, et il a dit, avec ses faux amis, que le décret n'était pas bon dans les circonstances. >

:

Le même journal se livre ensuite à des récriminations contre le président Pastoret. Nos lecteurs ont vu que sa manière de diriger la discussion, dans la séance du 6, lui valut de nombreuses et très-vives apostrophes. Voici les réflexions de Prudhomme : On connaît l'aimable facilité de M. Pastoret; on se rappelle les efforts qu'il avait faits, en sa qualité de président, pour éluder le décret on sait que M. Pastoret, qui se mariait à une femme riche au moment de la prise de la Bastille, disait le lendemain que tout homme fait sa fortune quand il veut la faire; or, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'un tel homme est l'homme de la cour. Il a commencé par être le valet des commis, il est devenu celui des ministres, on s'attend à le voir bientôt celui du roi : il est digne d'être ministre lui-même. Cependant c'est ce même homme que l'assemblée nationale a élevé au fauteuil; c'est lui qu'elle a préféré à M. Garan de Coulon. Hélas! nous avions tort de supposer tant d'énergie dans une assemblée qui venait de choisir un courtisan pour son chef. La nomination de M. Pastoret nous disait assez que l'attente de la nation était encore trompée. Que l'on nous pardonne cette erreur : il nous avait paru si doux de louer ! Dès la soirée du 5, M. Pastoret cabala jouvertement pour faire demander et obtenir le rapport du décret.

Royou couvrit de sarcasmes la susceptibilité outrecuidante d'où procédait la première démarche, et de mépris la légèreté de la seconde. Toute autorité qui mollit, s'écrie Royou (no du 9 octobre), est perdue, à moins qu'elle n'ait l'art de reculer d'une manière lente, insensible; de plutôt paraître céder à la raison qu'à la nécessité de masquer son erreur ou sa faiblesse ; de laisser oublier ses lois plutôt que de les rétracter. L'obéissance n'a que deux ressorts, le respect et la crainte ; tous deux sont faussés à la fois par une rétrogradation brusque et violente; car on

ne peut respecter ni craindre un pouvoir qui plie, qui retire aujourd'hui une loi qu'il fit hier. >

Les royalistes-constitutionnels, revenus de la stupeur momentanée où les avait jetés l'audace du motionnaire Couthon, se montrèrent très-fiers de leur victoire, et se portèrent même à des outrages envers certains députés qui avaient chaudement plaidé pour le maintien du décret. Dans la matinée du 7 octobre, un peu avant la séance royale, se passa le fait ainsi raconté le soir aux Jacobins par Goupilleau.

« J'étais entré dans la salle quelques momens avant l'ouverture de la séance ; j'étais auprès du poêle avec quelques-uns de mes collègues à discuter paisiblement sur le décret d'hier. Alors un officier de la garde nationale s'est avancé vers moi avec des gestes menaçans et m'a dit : Nous vous connaissons bien; nous savons comme vous vous êtes exprimé sur le compte du roi ; nous savons que vous avez blâmé la conduite respectueuse de M. Thouret à son égard. Si vous n'y prenez garde, et si vous continuez dans de tels sentimens, je vous ferai hacher avec mes baïonnettes.

< C'est donc au sein de l'assemblée nationale, au milieu de ce sanctuaire, où les opinions doivent avoir la plus grande liberté, que je me vois menacé par un homme revêtu d'un habit respectable. Cette réflexion me fit frémir: plusieurs de mes collègues s'en aperçurent; des huissiers même, indignés, vinrent me dire: il faut dénoncer cet homme; c'est M. Dermigni. Dans la séance, plusieurs de mes collègues ont demandé la parole pour parler à ce sujet. L'un d'eux s'est servi d'une expression impropre ( il avait appelé satellite le garde national provocateur); on a passé à l'ordre du jour. J'ai demandé moi-même la parole pour un fait particulier; M. le président m'a répondu qu'un fait particulier n'était pas à l'ordre du jour. ›

Après Goupilleau, Couthon et Barrère se succédèrent à la tribune; ils ajoutèrent de nouveaux détails. Le club ferma la discussion, et les députés présens furent engagés à se réunir le lendemain après la lecture du procès-verbal, pour obtenir la réparation due à Goupilleau. ( Journal des Débats des Jacobins,

[ocr errors]

n°. 73.) Le 18, en effet, dès l'ouverture de la séance, l'attention de l'assemblée fut long-temps retenue sur cette affaire. Dermigni, cité à la barre, y fit un discours dont une phrase excita les plus vifs applaudissemens. Si je croyais, s'écria-t-il, que la constitution ne dût pas tenir, j'irais m'enterrer tout à l'heure sous une pierre. » Goupilleau lui-même déclara les explications de Dermigni suffisantes, et l'assemblée passa à l'ordre du jour, La séance royale fut un vrai triomphe pour la cour. Les tribunes applaudirent non-seulement le roi, mais aussi ce fauteuil doré, dont la présence accusait l'assemblée de contradiction et de faiblesse. Le discours de Louis XVI porta en très-grande partie sur les finances, l'armée et les relations extérieures. Les dernières phrases effleurèrent ainsi les deux questions capitales : l'émigration et la dissidence religieuse.

<< Messieurs, pour que vos importans travaux, pour que votre zèle, produisent tout le bien qu'on doit en attendre, il faut qu'entre le corps législatif et le ròi, il règne une constante harmonie et une confiance inaltérable. (La salle et les tribunes retentissent des cris de vive le roi.) Les ennemis de notre repos ne chercheront que trop à nous désunir; mais que l'amour de la patrie nous rallie, et que l'intérêt public nous rende inséparables. Ainsi la puissance publique se déploiera sans obstacle; l'administration ne sera pas tourmentée par de vaines terreurs, les propriétés et la croyance de chacun seront également protégées, et il ne restera plus à personne de prétexte pour vivre éloigné d'un pays où les lois seront en vigueur et où tous les droits seront respectés. C'est à ce grand intérêt de l'ordre que tient la stabilité de la constitution, le succès de vos travaux, la sûreté de l'empire, le retour de tous les genres de prospérité.

› C'est à ce but, messieurs, que doivent en ce moment se rapporter toutes nos pensées ; c'est l'objet que je recommande le plus fortement à votre zèle et à votre amour pour la patrie. » La réponse du président Pastoret se borna à quelques lieux communs sans signification et sans caractère politique.

Le soir, la cour recueillit au spectacle de nouvelles et bruyantes

« PreviousContinue »