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avons fait d'employer tous les efforts moraux et physiques à la défense de notre liberté, nous n'opposerons à nos ennemis qu'une armée dénuée de tout, et commandée par des chefs non moins indignes de la confiance du soldat, que de l'estime de la nation ; qu'une armée qui, pareille à ces légions innombrables de Péruviens, ne sachant suivre aucune tactique, et n'ayant que des flèches contre la foudre de l'artillerie espagnole, a permis à une poignée d'hommes d'en égorger des millions! Je le demande, Messieurs, est-ce là le moment où l'on doit hésiter de dire la vérité quelle qu'elle soit, de mettre au grand jour les manoeuvres des malveillans, de les montrer aussi fourbes, aussi odieux qu'ils peuvent l'être? Si tout le monde se tait, si le vrai patriote marchande avec le zèle, si un excès de pusillanimité peut, dans cette circonstance critique, étouffer sa conscience, qui réveillera le corps de la nation, languissamment endormi dans les bras de l'inertie quand sa tête paraît sommeiller? Que toute la France soit avertie dans un temps utile, qu'elle soit frappée de terreur, en apprenant, en constatant les dangers qui l'environnent! qu'elle recule d'effroi à l'aspect de l'abîme qu'on veut entr'ouvrir sous ses pas ! qu'enfin elle reconnaisse que, pour s'y soustraire, il n'est pas un instant à perdre, et que le seul moyen d'en réchapper est de s'occuper sans délai à se mettre sur la défensive, et à se pourvoir elle-même d'armes et de munitions nécessaires, puisque depuis deux ans entiers que des ministres, notoirement enneniis de son salut, sont chargés de lui en fournir, elle est encore sans en avoir.

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› Certes, Messieurs, Cicéron ne passa jamais, ni parmi ses contemporains, ni aux yeux de la postérité, pour ce que les ministériels contre révolutionnaires et les modérés hermaphrodites appellent une tête chaude. On sait même que Brutus et Cassius ne lui crurent pas assez d'énergie pour l'inscrire sur la liste des vengeurs de la liberté. Cependant la mâle éloquence de ce philosophe tonna contre la conspiration encore méconnue du traître Catilina; et si le consul n'eût pas éclaté dans ce moment décisif, Rome eût été mise aux fers dix-huit ans plus tôt.

» Dès le jour même que le roi est allé à l'assemblée nationale, on s'est empressé de venir vous persuader que son discours exprimait les sentimens les plus dignes de la confiance publique. Mais depuis le commencement de la révolution, Louis XVI n'a fait en ce genre que des chefs-d'œuvre d'admiration. Rappelezvous seulement celui dont les phrases les plus saillantes furent exposées, par l'académicien Bailly, qui s'y connaît sans doute, dans une belle illumination en couleur sur la façade de l'hôtelde-ville? Cependant, à peu près à la même époque, on essayait le commencement d'une contre-révolution, sous les ordres du ministre Latour-du-Pin, en égorgeant à Nanci les meilleurs patriotes, et en opposant avec tant de scélératesse les citoyens armés aux troupes de ligne. Cependant, depuis ce beau discours, la loi martiale a été réclamée au nom du pouvoir exécutif, pour lui faciliter, disait-on, une promenade à Saint-Cloud; cependant ce discours a été suivi, et de la fuite du mois de juin, et de la protestation explicative, qui fort heureusement n'a pas permis de faire prendre le change au peuple sur cet événement.

>On nous invite à la confiance pour donner, dit-on, plus de force aux moyens d'exécution. Mais que ceux qui veulent obtenir cette confiance sachent donc au moins la mériter. Le ministre de la guerre a dit à l'assemblée nationale qu'on ne défendait pas la liberté avec de simples discours. Eh! à qui doit-on s'en prendre, si nous ne sommes pas aujourd'hui à l'abri de toute atteinte? quand ses prédécesseurs ont constamment laissé nos frontières dégarnies de forces suffisantes; quand, dans les villes les plus exposées, ils n'ont placé que des troupes étrangères, ou dont le civisme était le plus suspect ; quand ils ont fait fabriquer hors du royaume des fusils qui n'arrivent point, pour que, sans doute, il nous soit impossible d'en trouver sous notre main dans l'occasion; quand ils ont négligé d'armer et d'équiper un si grand nombre de gardes nationales dévouées à la défense de la liberté; de quel front, l'agent qui remplace de pareils traîtres, ose-t-il rappeler à l'assemblée nationale qu'on ne maintient pas cette liberté avec des mots? et c'est encore après des faits aussi positifs,

après une succession de perfidies aussi évidentes, que ces genslà se plaignent qu'on entoure toutes leurs démarches de défiances! qu'ils ont l'impudence d'élever la voix pour accuser ceux qui réclameraient contre une déclaration de guerre faite, lorsque, loin d'être en état d'attaquer, c'est tout au plus si le courage invincible qu'inspire l'amour de la liberté, nous permettrait de repousser une provocation de nos ennemis !

› Au rapport de ce ministre, cent cinquante mille hommes doivent être assemblés avant un mois sur les frontières. Il est bien temps, lorsqu'il s'est déjà écoulé près d'une année depuis que l'assemblée constituante a ordonné la formation de cette armée. Quoi qu'il en soit, que feront ces cent cinquante mille hommes, si la plupart sont sans armes, si les munitions de guerre manquent, si les canons, si les boulets qu'on aura ne sont pas de calibre? Et cependant, quand tel est l'état actuel des choses, sera-ce dans un mois, et surtout au cœur de l'hiver, où les transports deviennent plus difficiles, que le ministère pourra réparer une négligence de deux ans consécutifs?

› Le ministre de la guerre nous apprend, j'ignore, Messieurs, si c'est dans l'intention de nous mieux rassurer, qu'il part pour aller parler aux officiers et aux soldats de l'armée, et pour inspirer l'amour de la discipline aux braves gardes nationaux. Eh! si nos frères d'armes ont un tort aux yeux de ses pareils, n'est-ce pas d'avoir constamment persévéré dans leur noble résolution, en dépit des dégoûts et des fatigues dont on les a harcelés, afin de les révolter et de les faire déserter, s'il eût été possible? Et puis quel besoin des Français, qui veulent être libres, ont-ils de la présence et des discours d'un ministre pour être enflammés de la gloire, et pour savoir vaincre ou mourir? Au reste, supposerait-on même cet encouragement nécessaire, est-ce par la bouche d'un ministre, d'un de ces hommes qui, fussent-ils vertueux avant d'arriver à ce poste, paraissent pervertis huit jours après, que les peuples seront jamais instruits à repousser les efforts du despotisme, dont tout agent du pouvoir est naturellement le

T. XII.

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Cyclope? Les tours de la Bastille seraient-elles renversées, si l'on eût attendu, pour les bombarder, les conseils Barantin, de ce teneur de lits de justice, en présence d'une assemblée nationale, ou d'un Breteuil, qui prétendait soumettre Paris en y employant pour quinze francs de corde.

» Au surplus, Messieurs, quel langage le ministre de la guerre doit-il tenir à notre armée? Il nous prévient lui-même qu'il lui dira que le mot de trahison n'est d'aucun langage. En ce cas, pourquoi, comment sait-il l'articuler? Mais, fût-il vrai qu'aucun idiome n'eût admis cette expression, il est certain que la conduite de ses collègues, dès le commencement de la révolution, nous eût forcés de créer ce mot, pour peindre d'un seul trait leur caractère. Au surplus, j'interpellerai ici ce ministre, pour lui demander à quel propos il ira parler de trahison à nos frères d'armes, quand surtout il prétend avoir besoin de forger cette expression exprès pour la circonstance. Est-ce avec des termes inconnus et insignifians qu'on éclaire les hommes sur leurs devoirs? Mais que dis-je! le mot est très-énergique; et si le ministre feint de ne le pas connaître, c'est vraisemblablement pour qu'il paraisse autorisé à rendre plus frappante, par un commentaire, l'idée qu'il trace à l'imagination; car je vous l'avoue, Messieurs, l'intention du ministre de la guerre me paraît parfaitement prononcée dans le passage du discours que j'analyse, et je désire que tout le monde puisse l'entendré aussi clairement que moi.

› Ce ministre nous prévient également qu'il doit parler aux officiers et aux soldats au nom de leur intérêt. Mais l'intérêt des officiers particulièrement n'est-il pas une contre-révolution complète, alors que ces ennemis, nés de l'égalité et de la liberté, sont encore, malgré leurs menaces et leurs parjures, les commandans de nos cohortes? Mais ne peut-on pas chercher à tenter le soldat par l'intérêt de quelques gratifications, ainsi que le pouvoir exécutif vient de l'essayer auprès du régiment de la Reine dragons, à qui la liste civile a fait distribuer de beaux surtouts neufs, pour engager ce corps à obéir aveuglément aux ordres de son digne colonel, M. Gouy-d'Arcy? »

Séance du 30 décembre.-M. Brissot lit un très-long discours, et qui est fréquemment interrompu par des applaudissemens, sur la nécessité de la guerre d'attaque; il le termine par une exhortation aux vrais patriotes de se soumettre à la loi, et de ne jamais se permettre d'attaquer en rien la constitution.

› Cette exhortation paraît à MM. Robespierre et Danton une critique et une inculpation faite aux orateurs et écrivains de la société, à cause de l'espèce d'affectation qui leur paraît y être. Ils s'élèvent pour demander le changement de ce passage dans l'impression que l'on arrête du discours. La plus vive chaleur se répand dans toute la société pendant cette discussion, au milieu de laquelle M. Brissot, rendant le plus éclatant témoignage à l'attachement de la société et de M. Robespierre pour la constitution, il s'engage à rédiger la fin de son discours de manière à ce qu'elle ne laisse aucun doute sur ses intentions. »

PROVINCES.

Avignon. La réunion du comtat à la France par le décret de la constituante (septembre 1791), n'arrêta point la guerre civile dans ce malheureux pays. Les médiateurs français, l'abbé Mulot surtout, furent accusés d'avoir toujours toléré, souvent provoqué et même ordonné les meurtres qui avaient été commis à Avignon depuis leur venue. Pour connaître et exposer la vérité dans la discussion ouverte là-dessus, il faudrait dépouiller un immense dossier, et en extraire plusieurs volumes. Les faits se présentent ainsi : Sous la constituante, l'abbé Maury attaque l'abbé Mulot, et les patriotes le défendent; sous la législative, Royou continue cette attaque, et les Jacobins la commencent. Robespierre et l'Ami du roi sont du même avis sur le compte du médiateur. Ajoutez à cette contradiction que les deux partis avignonnais entre lesquels ont lieu tant de sanglantes représailles se disent patriotes l'un et l'autre. Nous donnerons en son temps (9 février 1792) le rapport fait sur les dénonciations de Rovère contre Mulot; et lorsque Jourdan coupe-tête, l'auteur des plus effrayans massacres, sera tradnit devant le tribunal révolution

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