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la connaissance anticipée de son contenu, à des comités particuliers. Les informations secrètes du temps ne seront pas ici démenties par l'histoire. Dans ces comités préparatoires figuraient, d'une part, le ministre des affaires étrangères, et le nouveau ministre de la guerre Narbonne; et de l'autre, un certain nombre de personnages en très-haut crédit dans l'assemblée, dans les clubs, et dans les conseils privés de Louis XVI. Déjà la pensée d'en venir au terrible moyen de la guerre dominait tous les hommes avides de popularité, de pouvoir et de renommée, et déjà cette pensée avait acquis une sorte de consistance politique dans les salons d'une femme célèbre, où se réunissaient les zélateurs les plus marquans de l'indépendance nationale et de la liberté. Ici encore le voile le plus épais serait inutile: on voit qu'il s'agit de madame de Staël, ambassadrice de Suède, femme étonnante, et que l'amour de la célébrité contemporaine mêla dans presque toutes les grandes intrigues de l'époque. C'était elle qui, en dépit du roi de France, et par ses puissans manèges, venait de porter au ministère M. de Narbonne, qu'elle aimait à cause des grâces de son esprit, de son assurance, et de cet élan d'honneur militaire et de bravoure française qui l'animait. On prétendait que le mobile le plus actif de ce ministre remuant, était l'espoir de se faire une haute réputation, et de répondre à tous les sentimens exaltés d'une femme extraordinaire. S'il désirait avec ardeur d'allumer la guerre au dehors, c'était pour signaler son ministère constitutionnel. Son élocution facile lui donnant une certaine vogue dans l'assemblée, diriger la révolution ne lui paraissait pas au-dessus de ses forces, unies à celles de la femme célèbre qui le subjuguait. Ce qui d'abord exerçá leurs actives combinaisons, ce fut d'entraîner le roi et son conseil dans les voies de la guerre. Non-seulement le roi en repoussait l'effrayante initiative; mais les ministres Delessart et Cahier de Gerville eux-mêmes y répugnaient ils travaillaient plutôt à éluder les hostilités qu'à les provoquer. Mais déjà par l'impression des conciliabules provocateurs, un message venait d'être fait au roi, le 29 novembre, de la part de l'assemblée.-Ainsi, les premiers

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cris de guerre véhémens contre les rois seraient partis de l'hôtel de l'ambassadeur d'un roi qu'on savait le plus disposé à tourner contre la révolution française toute la puissance de ses armes ! » (Mémoires d'un homme d'État, t. 1, p. 168-173.)

Le lecteur comprendra maintenant pourquoi les patriotes, soupçonnant une partie de ces détails, comme la suite le démontrera, voyant d'ailleurs Louis XVI proposer la guerre, Narbonne la préparer, la Fayette la diriger, conçurent de vives inquiétudes.

"Voici les discours importans prononcés pour ou contre la guerre d'attaque, au club des Jacobins. Nous les empruntons textuellement au journal des débats des Amis de la constitution.

Séance des Jacobins du 12 décembre. Carra était revenu de sa première détermination; il monta ce jour-là à la tribune «pour appuyer, par de nouveaux motifs, les opinions de MM. Robespierre et Dubois de Crancé, qui pensent qu'il n'y a pas lieu à attaquer les émigrés. ›

N.... soutient l'avis contraire, et propose d'investir l'assemblée législative du pouvoir dictatorial; il s'appuie, pour prouver la possibilité de ce changement, sur les autorités de Jean-Jacques et de Montesquieu.

› Cet opinant, accueilli avec beaucoup de murmures et d'applaudissemens, réunit toute l'attention à l'annonce d'un projet de décret relatif à cette mesure. Mais M. Isnard, président, l'interrompt, en lui faisant observer que cette matière est trop délicate pour être agitée dans le moment, et qu'on n'y doit toucher qu'avec la précaution avec laquelle on s'approche du feu.» (On applaudit.)

M. Robespierre. Il semble que ceux qui désirent de provoquer la guerre n'ont adopté cette opinion que parce qu'ils n'ont pas fait assez d'attention sur la nature de la guerre que nous entreprendrions, et sur les circonstances où nous sommes. On se livre à un mouvement d'attaquer les ennemis de la constitution, parce qu'on croit avoir en main les moyens de diriger les forces, parce qu'on pense que le courage de la nation sera dirigé par des mains

pures, et la force conduite d'une manière franche et loyale: si cela était ainsi, il faudrait déclarer la guerre à ceux qui voudraient soutenir nos émigrés, et leurs protecteurs n'existeraient plus. Mais attendu la difficulté de vous fier aux agens du pouvoir exécutif, il vaut mieux attendre qu'ils l'aient provoquée. Je ne me fixe point ici à la dictature; je porte seulement mon attention sur le gouvernement tel qu'il est, et je laisse aux circonstances à amener les moyens extraordinaires que le salut du peuple peut exiger. Jusque-là, je m'impose silence, et je ne préviens point les événemens. Je dis donc que pour savoir quel est le parti le plus utile, il faut examiner de quelle espèce de guerre nous pouvons être menacés: est-ce la guerre d'une nation contre d'autres nations? Est-ce la guerre d'un roi contre d'autres rois? Non, c'est la guerre de tous les ennemis de la constitution française contre la révolution française. Ces ennemis, qui sont-ils? Il y en a de deux espèces; les ennemis du dedans et les ennemis du dehors. Peut-on raisonnablement trouver au nombre des ennemis du dedans, la cour et les agens du pouvoir exécutif? Je ne puis point résoudre cette question; mais j'observerai que les ennemis du dehors, les rebelles français, et ceux qui pourraient être comptés parmi ceux qui veulent les soutenir, prétendent qu'ils ne sont les défenseurs que de la cour de France et de la noblesse française.

> Je voudrais examiner un peu ce qui s'est passé jusqu'ici, depuis le ministre qui a voulu anéantir l'assemblée nationale, jusqu'au dernier de ses successeurs. Voyez ce tissu de prévarications et de perfidie; voyez la violence, la ruse et la sédition employées tour à tour. Des actes de trahison formelle suivis de proclamations mensongères destinées à la déguiser mieux. Voyez la conduite de la cour et du ministère.... et quand bien même vous pardonneriez à ceux qui ont goûté du despotisme, de ne pouvoir s'accommoder de l'égalité, parce qu'ils se croient au-dessus de la nature humaine; quand même vous croiriez à la conversion des ministres; examinez ce qui s'est passé jusqu'ici, et décidez cette question: Peut-on craindre de trouver les ennemis du dedans contre la révolution française, et de trouver parmi ces ennemis la

cour et les agens du pouvoir exécutif? Si vous me répondez affirmativement, je vous dirai : A qui confierez-vous la conduite de cette guerre? aux agens du pouvoir exécutif? Vous abandonnerez donc la sûreté de l'empire à ceux qui veulent vous perdre. De là résulte que ce que nous avons le plus à craindre, c'est la guerre. La guerre est le plus grand fléau qui puisse menacer la liberté dans les circonstances où nous nous trouvons. Je sais qu'il y a des inconvéniens dans les deux systèmes, soit que nous attaquions ou non, dans le cas où nous aurions la guerre; mais si nous considérons quels sont les véritables motifs de la guerre, si nous nous approchons des véritables intentions de nos ennemis, nous verrons que le seul parti à prendre est d'attendre. Dans le cas où elle aurait lieu d'abord, je ne me persuade pas que nous puissions présumer dans aucune hypothèse que les puissances de l'Europe s'uniront pour nous faire une guerre sanglante. Ce n'est point une guerre allumée par l'inimitié des peuples, c'est une guerre concertée avec les ennemis de notre révolution, et c'est sous ce point de vue qu'il faut examiner quels sont leurs desseins probables. Quel usage veut-on faire de ces puissances, de ces forces étrangères dont on nous menace? On veut nous amener à une transaction qui procure à la cour une plus grande extension de pouvoir : on veut surtout rétablir la noblesse, et dès qu'on aura obtenu ces points, quand ils seront arrivés à leur but, la guerre arrivera. Pour obtenir cette capitulation, il ne sera peut-être pas même nécessaire de faire la guerre. On croit qu'en nous intimidant, qu'en tentant une attaque on nous décidera, et on ne déploiera de puissance réelle contre nous, qu'autant que cela sera nécessaire pour nous amener à capituler. Rapprochez ces idées que j'ai entendu prononcer dans le cours malheureux de l'assemblée constituante, par ces coupables intrigans, qui en ont été le fardeau'; rapprochez cette idée de la conduite actuelle. Il y a des rebelles à punir; les représentans de la nation les ont frappés ; le veto est apposé à leurs décrets : et au lieu de la punition qu'ils ont lancée contre les rebelles, que vient-on leur proposer? une déclaration de guerre; au lieu d'un décret

sage, on veut engager une guerre simulée, qui puisse donner lieu à une capitulation. Si les rebelles dissipés sont anéantis dans l'oubli, tous les complots sont avortés. Mais une guerre donne lieu à des terreurs, à des dangers, à des efforts réciproques, à des trahisons, enfin à des pertes. Le peuple se lasse. Est-il nécessaire, dira-t-on alors, d'exposer les trésors publics pour de vains titres? En serons-nous plus malheureux parce qu'il y aura des comtes, des marquis, etc.? On se rapproche; on calomnie l'assemblée nationale, si elle est sévère; on lui attribue les malheurs de la guerre. On capitule enfin.

› Voilà, si je ne me trompe, les vues de l'intrigue ministérielle. Voilà le véritable noeud de cette intrigue, qui nous perdra, si nous nous environnons de ces terreurs; si nous donnons une consistance aussi funeste que ridicule à ces factieux, qui ne méritent que le mépris de la nation, et qui n'auraient pas dû fixer deux jours son attention. Je suis si convaincu par les plus simples réflexions que le bon sens suggère à ceux qui sont instruits des intrigues de la cour, que je crois être aussi sûr de ne pas me tromper que si j'étais membre du club de Richelieu, de l'hôtel Marsillac et de tous les cabinets conspirateurs. (Ici ce discours est interrompu, le journal en promet la suite, et ne la donne pas.)

Séance du 16 décembre. M. Brissot. «La question soumise à l'examen est de savoir si on doit attaquer les princes allemands qui soutiennent les émigrans, ou s'il faut attendre leur invasion. Cette question ne paraissait pas devoir d'abord entraîner parmi les patriotes une diversité d'opinion, et cependant il en existe une: les esprits sont armés de préventions, de préjugés. Nous voulons arriver à la vérité; nous devons les bannir; nous devons examiner dans la cohue les opinions de l'un et de l'autre parti; nous avons à nous défendre de tout système et à ouvrir les yeux, car autrement on n'agit qu'en aveugle. Défiez-vous de la vue des hommes dont le zèle vacillant à tantôt soutenu, tantôt abandonné la cause du patriotisme. Mais gardez-vous d'inculper par des soupçons les ennemis du despotisme. J'ai reproché au ministre de la guerre d'avoir élevé d'injustes préventions contre les patriotes qui voulaient combattre la proposition de la guerre, et je viens ici dé

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