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M. Lémontey. J'ai employé le mot soulager parce qu'hier le silence m'avait paru pénible.

M. Grangeneuve. C'est faux.

Plusieurs voix. Il faut supprimer cette phrase. ( Qui, oui, Non, non.)

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M. Couthon. Le discours de M. Lémontey est très-éloquent ; mais cette éloquence est une éloquence de mots, et non pas l'éloquence de la dignité nationale. Dans la première phrase M. Lémontey, président de l'assemblée nationale, semble exprimer au roi sa douleur de l'avoir reçu hier avec dignité et avec majesté! ( Murmures.) M. Lémontey s'est conduit hier comme un président pénétré de la grandeur de ses fonctions et de la dignité du peuple dont il était l'organe; aujourd'hui vous allez en quelque sorte vous repentir humblement d'avoir manifesté cette grandeur et cette dignité. (Applaudissemens et murmures.) Je demande que cette première phrase, qui n'est qu'une flagornerie indigne de l'assemblée, soit effacée. (Appuyé.)

M. Lémontey. On paraît désirer la suppression de la première phrase... (Oui, oui. - Non, non.) Elle n'est point nécessaire à l'adresse ; elle exprime le sentiment que j'ai éprouvé, et non celui de l'assemblée.

M. Lacroix. Cette réponse n'est pas faite au nom de M. Lémontey: elle est faite au nom de l'assemblée. Le roi des Français est l'ennemi du despotisme; il doit être l'ami des vérités et l'ennemi des flagorneries. Il ne faut pas faire une réponse au roi pour lui dire des choses obligeantes seulement; il faut encore lui dire de grandes vérités, qu'il est nécessaire qu'il apprenne. (La suppression de la phrase est adoptée. )

M. Couthon. M. Lémontey dans son discours promet au roi, au nom de l'assemblée nationale plus de gloire qu'aucun de ses aïeux n'en a obtenu. Nous n'avons rien à promettre; le roi doit tout acquérir par sa conduite. Sans doute il le fera, puisqu'il l'a promis, puisqu'il a juré de maintenir la constitution, puisqu'il a juré de la faire respecter au dehors comme au dedans. Ainsi je demande que cette seconde phrase soit également effacée. (Mur

mures et applaudissemens.) En un mot, comme ces changemens peuvent déranger l'ordre des idées de M. Lémontey, je demande le renvoi.....

Plusieurs voix: A M. Couthon! - Aux Jacobins ! - Non, aux Feuillans!

M. Couthon, Je la ferais peut-être moins bien, mais avec plus de dignité.

M. Grangeneuve. J'ai remarqué que M. Lémontey fait dire au peuple français qu'il combattra ses ennemis et ceux du roi.... Il n'est pas possible que le peuple français s'arme pour combattre les ennemis particuliers du roi.... (Murmures.)

M. Lémontey. J'adopte l'opinion de M. Grangeneuve, qu'un excès de scrupule porte à trouver ici une équivoque; elle sera levée en mettant : Ses ennemis qui sont aussi les vôtres. (Adopté.)

M. Grangeneuve. Je relève encore cette expression: Sire, voilà votre famille.... Il est très-dangereux de rappeler les anciennes idées qui faisaient considérer les peuples comme la famille des rois, et les rois comme les pères des peuples.... (Murmures.) Le roi est un représentant de la nation française; il est contradictoire de dire que la nation française est sa famille. Il appartient à la nation, et la nation ne lui appartient pas. (Applaudissemens.) M. Lémonley. On mettra : La famille à laquelle vous êtes attaché. (Adopté.)

Le projet de message de M. Lémontey, ainsi réduit et modifié, fut adopté et remis le lendemain au roi par une députation. Voici ce message:

Sire, au langage que votre majesté lui a fait entendre, l'assemblée nationale a reconnu avec transport le roi des Français, elle a senti plus que jamais le prix de l'harmonie des pouvoirs, de ces communications franches et mutuelles qui sont le vou, qui feront le salut de l'empire.

› L'assemblée nationale attachera toutes les forces de son attention sur les mesures décisives que vous lui avez annoncées ; et si tel est l'ordre des événemens qu'elles doivent enfin s'effectuer, l'assemblée nationale, sire, promet à votre majesté plus de gloire

T. XII.

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qu'aucun de ses aïeux n'en a obtenu; elle promet à l'Europe étonnée le spectacle nouveau de ce que peut un grand peuple outragé, dont tous les bras seront mus par tous les cœurs, et qui, voulant fortement la justice et la paix, combattra pour luimême ses ennemis, qui sont aussi les vôtres.

» De puissans intérêts, de douces jouissances, vous sont préparés; du Rhin aux Pyrénées, des Alpes à l'Océan, tout sera couvert des regards d'un bon roi, et protégé par un rempart d'hommes libres et fidèles. Voilà, sire, la famille à laquelle vous êtes attaché; voilà vos amis ! Ceux-là ne vous ont pas abandonné!....

> Tous les représentans du peuple, tous les vrais Français ont dévoué leur tête pour soutenir la dignité nationale, pour défendre la constitution jurée, et le roi chéri dont elle a affermi le trône. »

Réponse du roi.

«Messieurs, je connais le langage et le cœur des Français dans les remerciemens que vous m'adressez. Oui, messieurs, ils sont ma famille, et elle se réunira, j'espère, tout entière sous la protection et l'empire des lois. »]

La discussion sur la guerre ne divisa pas brusquement les Jacobins. Le 28 novembre, le jour même où Robespierre, de retour d'Arras, paraissait pour la première fois au club depuis la clôture de la constituante, on s'occupa du décret par lequel il convenait à l'assemblée de terminer ses délibérations diplomatiques. Robespierre repoussa toute idée de message au roi, toute députation au pouvoir exécutif. Il fallait, selon lui, que l'assemblée nationale agît directement, et sommât Léopold de disperser les émigrés dans un délai fixé par elle, sans quoi « nous vous déclarons la guerre au nom de la nation française, et au nom de toutes les nations ennemies des tyrans. Ou mieux, il faut imiter ce Romain qui, chargé au nom du sénat de demander la décision d'un ennemi de la république, ne lui laissa aucun délai. Il faut tracer autour de Léopold le cercle que Popilius traça autour

de Mithridate; voilà le décret qui convient à la nation française et à ses représentans.»

La conduite de l'assemblée, qui, par son message du 29 novembre, laissait au roi l'initiative de la guerre, sema les premières défiances. Bientôt une lettre de Léopold à Louis XVI, datée de Vienne, le 3 décembre, et communiquée officiellement par Delessart, le 24 seulement, donna à la division un caractère plus grave. On connaissait cette lettre à Paris avant la réponse du roi au message du 29; car, à la séance des Jacobins du 11 décembre, Carra et Réal s'en autorisèrent pour faire la première proposition de la guerre d'attaque. L'un et l'autre pensaient que le plus sûr moyen de résister aux efforts des ennemis, était d'aller les attaquer dans leurs propres foyers. Robespierre s'éleva avec force contre cette opinion. Nous trouverons ailleurs ses argu

mens.

Mais les motifs qui décidèrent Robespierre et plusieurs autres Jacobins, tels que Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois, Couthon, Doppet, Desmoulins, Danton et beaucoup d'autres, à se méfier des partisans de la guerre d'attaque, étaient des soupçons que nous verrons s'éclaircir et se justifier de plus en plus en 1792, et dont nous pouvons donner dès aujourd'hui une preuve irrécusable. Nous la puisons dans les Mémoires du prince Hardemberg. Il résulte du passage que nous allons transcrire, 1° que l'office de l'empereur fut annoncé aux ministériels avant d'être expédié; 2o que les propositions et les projets de guerre partirent des salons de l'ambassade de Suède; 3° que Louis de Narbonne, le nouveau ministre, avait été nommé à l'instigation de cette coterie, dirigée par madame de Staël, l'ambassadrice de Gustave III. Voici ce passage.

L'auteur commence par analyser l'office de l'empereur, daté de Vienne, le 3 décembre. Nous nous contenterons nous-mêmes de l'extrait qu'il en donne, parce qu'il renferme la partie essentielle des pièces.

Il cite cette phrase de la lettre où Léopold annonçait « la résolution formelle de porter aux princes possessionnés en Alsace et

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en Lorraine, tous les secours qu'exigeaient la dignité de la couronne impériale et le maintien des constitutions publiques de l'empire, s'ils n'obtenaient pas réintégration plénière et conforme aux dispositions des traités. ›

Il cite des décrets de commission et de ratification du dernier conclusum de la diète sur cet objet, les clauses suivantes :

1° Que l'empereur et l'empire n'auront aucun égard aux soumissions qu'auraient pu faire quelques Etats aux indemnités proposées par la France, attendu que l'exécution illimitée des décrets de l'assemblée nationale, rendus depuis le 4 août 1789, est une usurpation arbitraire, une infraction, une violation de la souveraineté territoriale de l'empire et de l'empereur; 2° que sa majesté impériale a vu avec peine que la lettre du roi trèschrétien n'avait, ni quant à la forme, ni quant à son contenu, répondu à l'attente générale sur son caractère reconnu de justice et de loyauté, et qu'y ayant remarqué la prétention erronée de croire les terres des princes lésés tellement soumises à la souveraineté du roi, que sauf une indemnité il puisse en disposer librement; sa majesté impériale proteste solennellement en son nom et au nom de l'empire contre toutes mesures prises depuis le mois d'août 1789, qui seraient contraires aux traités; qu'elle se serait déjà empressée de donner aux princes lésés tous les secours qui dépendent d'elle, conformément à la dignité impériale et aux lois de l'empire, si elle n'avait pas espéré terminer amiablement cette affaire. A cette pièce est encore joint un monitoire adressé au directoire des cercles, pour les inviter à empêcher la circulation des écrits séditieux, à prévenir toute perturbation de l'ordre public, en forçant chacun de se soumettre à l'autorité des magistrats, et même de se prêter de mutuels secours en cas d'émeute, le tout conformément aux ordonnances de police de l'empire, et aux recès de Spire et d'Augsbourg.

L'auteur poursuit ainsi: «Cet office, si important avant même d'être expédié pour sa destination, fut signalé et annoncé par l'ambassadeur de France, soit au ministre des affaires étrangères, soit à ses correspondans intimes de Paris, où il donna lieu, par

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