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Enfin, pour couronner sa vie publique par un dernier trait qui ne la démente point, on le voit, après avoir contribué à l'élévation de Duportail au ministère, se brouiller avec ce ministre, dont il n'a pu obtenir les brevets de grades supérieurs dans l'armée, en faveur de ses aides-de-camp trop connus pour ce qu'ils sont. On voit le héros parisien quitter la partie, tout de bon cette fois, en vertu d'un décret sollicité par lui sous main, et s'éclipser un moment en Auvergne, pour reparaître sur nos frontières, quand le roi ira les visiter, et nous rendre Bouillé que nous nous félicitions d'avoir perdu pour toujours.

Voilà une partie des services que Mottié la Fayette a rendus à la révolution française. Nous déclinerons avec la même impartialité toutes nos obligations envers lui: c'est lui qui a dressé les gardes nationales parisiennes aux cérémonies religieuses et civiques; c'est lui qui les a familiarisées au bruit du canon, et aux fatigues des évolutions du matin au Champ-deMars, et aux Champs-Élysées; c'est lui qui a mis les sermens militaires à la mode, ainsi que les repas des bataillons, dont un seul coûta dix-mille livres à défunt Mirabeau. C'est lui....

Mais il serait trop long d'énumérer tout ce dont nous lui sommes redevables, faisons-lui donc nos adieux, et disons-lui en toute sincérité, mais en reprenant le ton qui sied à la gravité du sujet :

La Fayette! jamais peuple ne donna à la terre un plus grand exemple que la nation française au mois de juillet 1789. Pour consommer la plus belle révolution du globe, il nous fallait un chef dont le caractère fût au niveau de l'événement. Plusieurs voix perfides et concertées te nommèrent, et nous t'acceptâmes... Les muscles souples de ta physionomie, ton maintien maniéré, tes allures équivoques, tes discours étudiés, tes apophtegmes long-temps médités, tous ces produits de l'art, désavoués par la nature, parurent suspects aux patriotes clairvoyans, les plus courageux s'attachèrent à tes pas, et crièrent à la multitude idolâtre : Citoyens! ce héros n'est qu'un courtisan; ce législateur n'est qu'un charlatan. Vains efforts! le prestige l'emporta sur la

vérité, et tu respiras sans pudeur l'encens qui n'était dû qu'à la patrie et à la liberté. Grâce à tes soins et à ceux de tes dignes collègues, la révolution ne peut plus faire de mal au despotisme, tu as limé les dents du lion; le peuple n'est plus à craindre pour ses conducteurs; ils ont repris la verge et l'éperon, et tu pars! Les applaudissemens, les couronnes civiques, vont te suivre dans ta retraite.

« Et nous, dans notre solitude, nous nous féliciterons du départ de Marc Antoine : mais où trouverons-nous un Brutus? >

Le sécond article est un commentaire satyrique sur les inscriptions de l'épée à garde d'or, votée à la Fayette par l'état-major de l'armée parisienne, il finit par ces mots : « Mais c'est assez s'occuper d'une épée digne de figurer dans les aventures de don Quichotte, plutôt que dans les annales du peuple français. ›

Fin de l'administration de Bailly:-Vers la fin de septembre, les sections s'occupèrent très-activement de l'affaire des subsistances. On venait de découvrir que la plupart des farines.composant le magasin de la halle, étaient complétement avariées. La section des Lombards fit les premières démarches. Elle envisagea principalement la question du point de vue de la responsabilité de Bailly, et dirigea son enquête de manière à ce que le comité des subsistances de la ville et le maire fussent reconnus et saisis en flagrante prévarication. L'Orateur du peuple a enregistré l'accusation à mesure qu'elle se produisait. Il nous apprend que les autres sections entrèrent sur-le-champ en correspondance avec celle des Lombards, et suivirent ses opérations avec un grand empressement. Les seules conclusions qui soient prouvées dans ces procès-verbaux, que Fréron amplifie de diatribes étourdissantes sur Coco Bailly, etc., etc., c'est la négligence des officiers municipaux, et l'avarie, des farines. Le 9 septembre, les commissaires surveillans de la section des Lombards se sont portés à la municipalité, où ils ont attendu trois heures. Enfin le maire et le corps municipal ont paru. Nos commissaires ont adressé la parole au sieur Huchon, boulanger; ils l'ont prié de vouloir bien dire la vérité sur son ame et conscience,

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et le sieur Huchon a démontré que toutes ces farines n'avaient jamais été bises, et que, conséquemment, elles n'avaient pu être destinées à faire du pain his, comme l'avait supposé la municipalité, mais que par leur vieillesse, et faute de soin, elles s'étaient pestiférées. Après avoir essayé les quatre sortes de farinės soumises à notre examen, le sieur Huchon a dit que celle de 26 et 28 livres ne valait absolument rien, et qu'il se garderait bien d'en donner à son chien, vu qu'il était certain qu'il creverait au même instant; quant à celle de 38 et de 43 livres, qu'il était persuadé que son chien n'en mourrait pas, mais qu'il aurait de cruelles coliques. On a fait du pain de chacune de ces farines séparément : le pain et le four empoisonnaient. Déposé en preuve sur le bureau, ce pain empoisonneur a forcé le maire et la municipalité à convenir, devant nos commissaires, qu'il fallait renfermer les farines qui avaient servi à le fabriquer, pour qu'il n'en soit plus vendu aux boulangers. › (Rapport de la section des Lombards; l'Orateur du peuple, t. 8, n° CXI.) Plus bas, Fréron ajoute que les commissaires des Lombards ont été, le lendemain samedi, dans toutes les sections. On les a reçus, dit-il, de la manière la plus flatteuse, et parfaitement au club des Jacobins.> (Il n'y eut de séance aux Jacobins, ni le 9, ni le 10 de septembre; il y a plus, aucun des samedis de ce mois ne fut jour de séance: on peut donc regarder cette circonstance comme inventée par Fréron.) Le même poursuit en disant que les commissaires chargés d'une mission pour l'assemblée électorale, arrivèrent au moment du scrutin, et que Pastoret les pria d'entrer dans une pièce voisine, en attendant que le scrutin fùt dépouillé, ce qui ne serait pas long. Pastoret les y laissa. Les commissaires, voyant que chacun s'en allait, sont entrés pour faire part de leur mission. M. le président de l'assemblée électorale leur a répondu tout net que la séance était levée. Quelques électeurs ont demandé à M. Pastoret pourquoi il n'avait point annoncé cette députation. M. Pastoret, se tenant les côtes à force de rire, a répondu qu'il l'avait totalement oublié. Et plusieurs de ces Messieurs ont imité M. Pastoret. Je suis bien fâché de vous

dire que vous êtes un polisson, M. Pastoret; c'est l'Orateur qui vous parle, et qui vous défie de lui prouver le contraire. La cabale vous a nommé député; mais, en vérité, la conduite que yous tenez devant des hommes respectables n'annonce rien de bon pour l'avenir. Au surplus, je ne suis point surpris de votre procédé; on sait que vous êtes le factotum du maire, et vous m'étonneriez bien si vous n'étiez pas un fripon initié dans le mystère des farines. » (L'Orateur du peuple, loc. cit.)

Fréron avance sans preuves que la municipalité mêlait les farines avariées à d'autres, et qu'elle les vendait ainsi aux boulangers. Son numéro XI du tome 8 renferme des détails que nous recueillons, parce qu'ils viennent de la section des Lombards. Le membre correspondant de Fréron s'exprime ainsi : « Un bon citoyen, dont j'ai oublié le nom, nous a fait part, dans la dernière séance, qu'il se tenait toutes les nuits, place Vendôme, à l'hôtel de l'Intendance, des assemblées secrètes, composées de plusieurs grands personnages dont voici les noms : MM. Bailly, Fieule (Filleul), administrateur au comité des subsistances pour les grains et farines; Leguiliers, administrateur au même comité pour les viandes; De Joly, secrétaire-greffier de la municipalité, et autres. Plusieurs commissaires se sont chargés d'épier ce conciliabule; ils nous ont rapporté que, toutes les nuits, ces Messieurs, depuis dix heures du soir jusqu'à quatre heures du matin, se concertaient ensemble pour affamer les habitans de la capitale, La section des Lombards a arrêté que le rapport en serait fait au département et à l'assemblée nationale. Je joins ici, M. l'orateur, la liste des endroits où la municipalité cache une grande partie de ses larcins. Magasins à blé. Hôtel de Soubise; à la Place-aux-Veaux; rue de Seine-Saint-Victor; à Saint-Victor; à la Salpêtrière; à la caserne de l'Oursine; aux Chartreux ; à Sainte-Geneviève; à Popincourt; à Trenette; à la caserne de la Pépinière; à celles de la rue Verte et de Babylone; à la Halle au vin et sur le quai de la Tournelle. — Magasins à farines. A l'École-Militaire ; à Saint-Martin ; à l'arsenal; à la caserne de Popincourt; rue du Pont-aux-Biches; à

l'abbaye des Bénédictins ; à la caserne de Saint-Denis ; au Port-laBriche; à Saint-Denis.

> J'observe ici, M. l'orateur, que tous ces magasins se vident avec une rapidité incroyable. On les charge sur des voitures qui vont les unes à Rouen, pour être embarquées dans des vaisseaux, et les autres à Orléans, de là à Nantes et de Nantes à Jersey et Guernesey. J'ai vu cette manœuvre de mes propres yeux, et personne ne m'ôtera de la tête que les projets de la cour et de ses perfides agens, ne soient d'affamer Paris au moment où ils l'incendieront. >

L'article suivant des Révolutions de Paris nous montre la partie grave et vraiment sociale de la question qui s'agitait. La rareté du numéraire, la défiance des agriculteurs, un monopole scandaleux, une mauvaise administration: voilà les causes de l'embarras de la ville de Paris, sur l'objet des subsistances. Les sections se sont assemblées pour discuter sur les moyens de parer à ces inconvéniens; mais si elles veulent obtenir un heureux résultat, elles doivent attaquer les causes du mal sans s'arrêter aux accessoires. Rappelez la confiance, faites reparaître le numéraire, opposez-vous au monopole, soumettez les approvisionnemens à une administration sage, éclairée, dont les opérations se fassent au grand jour, et vous profiterez de tous les avantages de l'abondance.

› De toutes les causes qui s'opposent à nos approvisionnemens, la défiance est celle qu'il est le plus difficile de combattre. Les précautions que l'on prend pour la faire cesser, la crainte que l'on témoigne sur le déficit des magasins, sont de sûrs moyens pour rendre les agriculteurs défians, et donner l'éveil à la cupidité. La peur, une fois manifestée, se propage de proche en proche, et gagne insensiblement tous les cœurs; chacun craint pour soi; les départemens ferment leurs greniers. Vous avez crié famine; l'accapareur profite de cette terreur panique, il double ses magasins; et ne les ouvre qu'au moment où la disette est à son comble. En vain fera-t-on des recherches, ira-t-on à la découverte, ces démarches ne servent qu'à augmenter l'épou

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