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préhendez rien. Si vous obtenez le veto, vous serez encore toutpuissans.

» Si ce n'est pas là ce qu'on dit tout haut au comité des Tuileries, c'est bien là ce qu'on y pense. Mais toute médaille a son revers, et le triomphe de la cour pourrait bien ressembler à ceux des Romains: derrière le char triomphal, des citoyens se fesaient plaisir de jeter quelques feuilles d'absinthe dans la coupe des louanges où s'enivrait le vainqueur; quelques vérités dures s'échappaient du milieu de la foule, et perçaient jusqu'à son oreille superbe à travers le nuage d'encens qui exaltait son

cerveau.

Ne serait-il pas possible de rétablir cet ancien usage? ne se trouvera-t-il pas quelque franc patriote assez courageux pour hanter la cour, dans l'espoir de saisir la première occasion de faire parvenir au roi lui-même quelques vérités utiles et salutaires de l'espèce de celle-ci :

» Louis! tout succède à nos voeux, et même au-delà; la révolution, qui semblait devoir saper la base d'un trône souillé par quatorze cents ans de crimes, n'a fait que vous le rendre plus commode et mieux assuré que jamais. Vous venez de frapper de nullité une loi qui suspendait le glaive de la justice sur la tête des ennemis de la patrie, seule guerre qu'il était de notre dignité de déclarer aux émigrans et à leurs alliés. Votre second veto est encore une grâce accordée à d'autres traîtres, forts de. la faiblesse des esprits, ennemis domestiques plus dangereux peut-être que ceux du dehors,

>Ces deux premiers essais de l'exercice du droit le plus redoutable qu'on ait imaginé de confier individuellement à un homme, ont été trop heureux pour ne pas vous enhardir; et désormais, sans doute, le veto sera comme le van du laboureur, qui retient le bon grain, et ne laisse aller que la balle stérile. Vous manifestez clairement l'intention de ne sanctionner que les décrets insignifians ou qui vous seront agréables, et de refuser le caractère de loi à ceux dictés par l'opinion, attendus par le peuple, mais hors du sens de votre comité,

pas

Vous avez pour vous la constitution; vous n'usez que d'un droit qu'elle vous donne : il n'y a rien à vous dire. Ce n'est pas vous qui avez sollicité la loi du veto, du moins vous ne l'avez fait officiellement; en un mot, c'est un décret constitutionnel. Malheur au mal-avisé qui se lèverait maintenant pour réclamer contre! ce serait un factieux, un mauvais citoyen. N'est-ce pas bien là ce que vous avez droit de répondre, ce que le parti qui vous représente dans l'assemblée nationale a répondu au courageux Delcher? et cette réponse ne souffre pas de réplique, Vous et les vôtres êtes parfaitement en mesure.

› Mais est-ce donc tout que d'avoir pour lui le sens littéral de la loi? et pourra-t-on impunément violer l'esprit qui l'a dictée? Suffit-il d'invoquer et de remplir les formes? Appuyé sur elles, sera-t-il permis d'insulter à la raison, de fouler aux pieds les convenances sociales, et de compromettre le repos et le bonheur de toute une nation? La constitution est chose sainte, et avec les meilleures intentions du monde, personne ne doit y toucher; mais aussi tout ce qu'elle ne défend pas est permis. Voyez l'article V de la déclaration des droits. Or, elle ne défend pas de se mettre en garde contre un prince qui ferait un indigne abus du pouvoir monstrueux que la loi lui donne.

› La loi recommande le respect envers tous les pouvoirs constitués, mais elle ne défend pas le mépris pour la personne du magistrat suprême qui avilirait, par son caractère équivoque, la majesté de la nation dont il se dit le représentant héréditaire; mais elle ne nous défend pas de manquer de confiance envers ceux de nos fonctionnaires publics qui nous deviendraient suspects par une conduite louche et perfide, parce que la confiance ne se donne pas en vertu d'un décret, fùt-il émané du sein de l'aréopage.

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> La constitution accorde au prince un veto suspensif, et ne prononce aucune peine contre les législateurs assez lâches pour le laisser dégénérer en veto absolu; mais elle ne parle pas du veto de l'opinion publique; elle ne défend donc pas, elle per

met donc d'en appeler à l'opinion publique pour frapper à son tour de nullité le veto royal, suspensif ou absolu.

› La constitution a décrété la loi martiale, mais elle ne défend pas, donc elle permet au peuple, de se rassembler sans armes sur le passage du roi ou aux portes de son château, et de lui faire dire par un orateur député par lui :

> Sire! nous sommes ici présens sous vos fenêtres cinquante mille citoyens paisibles, pas si bien habillés que vos gardes; mais nous nous sommes dépouillés pour les vêtir. Écoutez-nous sans intermédiaire : nous venons vous parler de vos veto. Vous avez attendu bien tard pour en user; cependant le décret du marc d'argent vous en offrait une belle occasion. It paraît que vous voulez réparer le temps perdu; mais nous vous le demandons sans humeur, répondez-nous de même si vous prenez l'habitude de dire veto à chaque bonne loi, à chaque décret urgent, à quoi nous servira-t-il d'avoir une assemblée nationale? Ce n'était pas la peine qu'ils accourussent de si loin et qu'ils fissent tant de beaux discours pour bien arranger un décret que vous anéantissez d'un mot! Savez-vous, sire, que c'est bientôt dit, veto, et qu'on a été plus long-temps à combiner la loi contre les émigrans et contre les prêtres? Convenez avec nous, sire, qu'il n'est guère probable que vous possédiez à vous seul plus de lumières et de sagesse que les quatrevingt-trois départemens ensemble; convenez qu'il est étrange d'attacher la destinée d'un peuple immense à deux syllabes tombées de vos lèvres royales. Du fond de votre palais, obsédé la nuit et le jour par une épouse vindicative et une sœur bigote, entre un Barnave et un Dandré, un Malouet et un Talleyrand, comment pourriez-vous vous flatter de connaître la véritable disposition des esprits? Dites! comment s'y est-on pris pour vous persuader de mettre votre volonté particulière, où plutôt les décisions de votre petit comité des Tuileries, à la place du vouloir général? Il faut autre chose que la cour d'un roi pour éclipser le disque éclatant de la raison universelle. Nous sommes bien fâchés que la besogne de nos représentans ne vous plaise pas toujours; mais la nation les a rassemblés pour arranger ses

affaires, et non les vôtres; et puis avez-vous oublié à quelles conditions nous vous avons gardé sur le trône? C'est pour nous que nous voulons un roi nous ne lui appartenons pås, et nous ne devons rien à la maison des Bourbons; c'est elle qui nous doit tout. Nous avons fait bien des ingrats: n'importe!

:

Au reste, pour en revenir à tous les veto, la constitution vous les permet, nous le savons comme vous. Mais, s'il faut vous le dire, vous abusez de la permission; et si vous continuez, cela finira par devenir une véritable tyrannie de votre part. Bientôt nos députés n'auront que faire au manége. Sire, que n'y allezvous plutôt l'un de ces matins, pour leur dire tout bonnement: Sortez d'ici, Messieurs, je viens moi-même pour en fermer les portes. Il est fort inutile que vous y restiez plus long-temps, car je suis bien résolu à dire veto à tout ce que vous feriez de passable. Allez en paix chacun chez vous; je me charge du reste.

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» L'histoire nous assure que ce ton un peu leste réussit parfaitement à Cromwell; mais l'assemblée nationale de France ne doit pas plus ressembler aux parlemens anglais, que nous ne ressemblons aux habitans de cette île. Sire, nous ne vous conseillons donc pas de suivre cet exemple; et, pour en finir, nous vous dirons que si la constitution est pour vous, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen est pour nous. L'une vous donne le droit de veto; l'autre nous donne celui de la résistance à l'oppression, art. II. Or, encore un veto de l'espèce de vos deux premiers, et il y a évidemment oppression de votre part; vous appelez sur nous la guerre civile et religieuse; donc vous nous placez dans le cas de l'art. II de la déclaration acceptée par vous. Prenez-y garde; nous vous laissons y penser: examinez. Nous vous ajouterons seulement que nos frères des quatrevingt-trois autres départemens pensent absolument comme nous et agiront de même, quand votre majesté aura examiné. »

MOTIONS ET DÉNONCIATIONS.

Nous entróns dans le troisième chapitre que nous avons in

diqué dans notre classement des faits accomplis pendant le dernier trimestre de 1791. Ici, comme l'annonce notre titre luimême, devraient se trouver les actes spontanés, les mouvemens d'initiative, si quelque chose de semblable s'était manifesté au sein de l'assemblée. Nos lecteurs se convaincront que les fatalités logiques imposées par la constituante à la législative, furent aussi rigoureuses que nous l'avons annoncé. Ils ont déjà vu à quelle insulte royale répondait la colère démocratique du 5 octobre, si tôt calmée d'ailleurs; à quels délits long-temps accumulés, à quelles provocations, chaque jour plus audacieuses, répondaient les deux lois dont nous venons d'achever l'histoire. Ils vont maintenant constater par les incidens révolutionnaires que tout dans l'assemblée procède d'un choc extérieur, et que la minorité fougueuse de l'extrême gauche ne s'abandonne, ne s'irrite, et ne demande certaines mesures que par besoin de réagir.

La querelle de Dermigny avec Goupilleau, les tribunes réservées aux ex-constituans, et dont ils faisaient l'usage plus haut mentionné, provoquèrent deux motions, déjà connues de nos lecteurs. Elles furent préparées aux Jacobins, avec une troisième dont nous n'avons pas encore parlé. Brissot résume ainsi la discussion ouverte sur ces trois objets : « Demander à l'assemblée nationale, 1° qu'elle exclue de son intérieur la foule d'hommes à épaulettes qui l'inondent; 2o qu'elle éloigne les places privilégiées; 3° enfin, qu'à l'avenir les actes du corps-législatif soient datés de l'année de la liberté française.» (Journal du club, séance du 5 octobre.) Ce nouveau millésime avait été adopté, pour la première fois, par le Moniteur, le 14 juillet 1790. Il était devenu populaire, comme on l'a vu par la date de la pétition du Champde-Mars (le 17 juillet de l'an II). Le jour de la prise de la Bastille servit de point de départ jusqu'au 2 janvier 1792, où, sur la proposition de Ramond, l'assemblée décréta que l'ère de la liberté commençait au 1er janvier 1789.

La question du mariage des prêtres, depuis long-temps traitéé par les journaux, résolue par des exemples particuliers, même sous la constituante, fut posée à la tribune de l'assemblée légis

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