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y venir vendre leurs biens, pour venir débaucher les soldats, exciter les prêtres fanatiques, ranimer l'aristocratie intérieure, assurer le fil de la correspondance, communiquer avec le cabinet des Tuileries, et composer la troupe des janissaires chargés d'escorter le départ de Louis XVI et de sa digne épouse.

› A entendre Louis XVI, son veto était réclamé par l'intérêt du peuple. Toujours ce mot à la bouche! c'est au nom de l'intérêt du peuple que les tyrans adroits asservissent le peuple. Le décret sur les émigrans ne pouvait pas compâtir avec les mœurs de la nation, et les principes d'une constitution libre. » Louis XVI! c'en est trop! il ne t'appartient pas de censurer aussi amèrement la conduite des représentans de ton souverain; et s'il est ici quel que chose qui ne puisse pas compâtir avec les principes d'une constitution libre, c'est l'audace d'un délégué à gages, qui sort sans cesse des bornes du respect qu'il doit aux représentans de la nation. Les principes d'une constitution libre sont de sacrifier toutes les considérations à la liberté, de punir tous les attentats contre la patrie et l'assemblée nationale, qui pouvait, qui devait peut-être sévir hic et nunc contre les conspirateurs. L'assemblée nationale avait été clémente, en leur donnant jusqu'au premier janvier pour éviter la peine que déjà ils devraient avoir en

courue.

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«Sa Majesté se doit à elle-même.... de remplir, autant qu'il est en elle, l'objet important de la loi dont elle n'a pas cru devoir adopter les moyens. Ici le crime est caractérisé ; il y a plus, il est avoué. L'assemblée nationale avait fait une loi, le pouvoir exécutif y a apposé son veto, soit; mais que doit-il résulter de l'apposition du veto? rien. L loi sur laquelle il tombe est censée non-rendue; c'est comme si rien n'eût été décrété à cet égard, et les fonctions du roi ont cessé dès qu'il a prononcé la formule j'examinerai. Or, au cas présent, le roi agit, et déclare qu'il agira en conséquence de son veto. Il n'adopte pas, ditil, les moyens de la loi, mais il en remplira l'objet important, c'est-à-dire que, malgré la distinction des pouvoirs, malgré le décret qui déclare que le roi ne peut faire de proclamations que

conformes aux lois, Louis XVI en fait pour annoncer au peuple qu'il met sa volonté à la place de la loi, en substituant son caprice à la volonté constante du législateur.

• Ceux-là seraient étrangement trompés, qui supposeraient au roi une volonté autre que celle qu'il a publiquement manifestée. »— Il n'en disait pas moins avant le départ de Montmédi.

Le roi leur donne (aux émigrés), en exerçant sa prérogative sur des mesures de rigueur exercées contre eux, une preuve de sa liberté, qu'il ne leur est permis ni de méconnaître, ni de contredire. Et en partant pour Montmédi, le roi avait aussi donné une preuve de liberté. A laquelle de ces deux preuves contradictoires faut-il que les émigrés ajoutent foi ?-L'auteur de l'article analyse ainsi mot à mot la proclamation. Il examine ensuite les lettres aux princes. Il commente de la sorte le mot suivant, renfermé dans la lettre collective du 16 octobre: Vous assurerez l'avantage aux opinions modérées. Qu'entend-on par les opinions modérées? On entend les opinions de ceux qui croient que l'assemblée nationale constituante a été trop loin; qu'il fallait bien réformer certains abus, mais qu'il ne fallait entièrement suppri mer, ni les parlemens, ni le clergé, ni la noblesse; ôter aux nobles leurs priviléges pécuniaires, était tout ce qu'il fallait faire. Mais les modérés croient qu'il fallait leur laisser leurs priviléges de naissance: ces modérés veulent deux chambres, etc., etc. Et voilà l'opinion que Louis XVI veut que ses frères assurent. Votre éloignement, dit-il, et les projets qu'on vous suppose, peuvent la contrarier. Pourquoi? Parce que ces projets tiennent les patriotes en haleine, qu'ils sont éveillés par la nécessité; tandis que si l'or coulait en abondance, si l'on pouvait attacher chaque individu à sa chose particulière, il ne serait pas difficile d'obtenir de la majorité telles conditions que l'on voudrait, pourvu qu'on lui laissât gagner de l'argent tout à l'aise: et l'on a l'impudence de nous dire que ce sont-là des preuves de patriotisme!>

L'auteur termine ainsi son article: «On voit que la prétendue sincérité du roi, n'est qu'une dérision. Mais si nous sommes attaqués, mettons-nous peu en peine de Louis XVI et de son veto;

défendons-nous avec le courage des peuples qui ont le bonheur de n'avoir point de roi.» (Révol. de Paris, no CXXIII)

Le décret sur les troubles religieux fut appuyé par la presse d'une manière plus énergique. Les ressentimens du veto royal s'exhalèrent dans les feuilles patriotes en récriminations amères et en sinistres conjectures. On releva, avec indignation certains articles de tolérance publiés par le Moniteur. Le numéro du 22 octobre renferme une longue lettre d'André Chénier sur les dissensions des prêtres. Cet écrivain que nous avons déjà trouvé rédigeant le Journal du club de 1789, se montre toujours fidèle aux mêmes doctrines. Le morceau dont nous parlons, est encore plus empreint de feuillantisme, que la pétition au roi, par le directoire de Paris.

Cette pétition fut rudement commentée par la presse révolutionnaire, et, de plus, dénoncée à la barre de l'assemblée par un grand nombre de sections. Dans la séance du 11 décembre, on entendit tour à tour celles du Théâtre-Français, de Mauconseil, des Quinze-Vingts, de la Halle, de l'Arsenal, des EnfansRouges, de l'Observatoire, du Luxembourg, de la Croix-Rouge, du faubourg Saint-Antoine. Nous transcrirons les deux adresses de la section du Théâtre-Français. Legendre prit le premier la parole.

SÉANCE DU 11 DÉCEMBRE,

[M. Legendre. Tous les citoyens veulent entourer le sénat français de leur estime; il sera un jour le conseil de l'univers. Nous venons y adorer l'auguste liberté. Suivez les élans de sa superbe audace: souveraine de vingt-quatre millions d'hommes, la liberté doit rouler les tyrans dans la poussière, et fouler les trônes qui ont écrasé le monde. Le salut public nous commande de vous dire, que l'heure approche de le défendre; mais les Français n'ont que leur courage: intrépides comme des Romains, faites forger des millions de piques semblables à celles de ces héros, et armezen tous les bras; annoncez aux départemens ce décret vraiment martial. Que le cultivateur et le journalier, l'artisan et le pauvre

puissent défendre les foyers de la patrie; ils sont, nous sommes tous ses enfans. Il ne faut pas 40,000,000 pour sauver la France, et elle les donne tous les ans pour précipiter sa ruine. Représentans du peuple, ordonnez : l'aigle de la victoire et la renommée des siècles planent sur vos têtes et sur les nôtres. Si le canon des ennemis se fait entendre, le foudre de la liberté ébranlera la terre, éclairera l'univers, frappera les tyrans. Ne laissons pas à la postérité la gloire de les anéantir. Le délire leur tiendrait lieu de courage, si nous restions plus long-temps dans une coupable sécurité. Soyons armés, et nous atteindrons ces fuyards, les mêmes que nous défimes en 89, au seul bruit de nos armes et de nos cris. (On applaudit.)

S'il devient inutile de dénoncer les forfaits des ministres, qui se montrent si ouvertement leurs complices, dites-leur : Nous armons le peuple, nous l'armons pour la liberté; s'il faut que nous périssions avec lui, ce sera pour elle. Que votre supplice commence, les tyrans vont mourir !»

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M. le président à la députation. Le peuple respecte les lois; il est déjà armé contre l'anarchie, il mérite encore de l'être pour la liberté.

M. Camille Desmoulins. Je suis chargé, au nom des mêmes citoyens, c'est-à-dire, au nom de trois cents signataires, de présenter à l'assemblée une autre adresse qui est relative à la pétition faite au roi par le directoire du département de Paris; mais, comme je me défie de ma voix, je prie M. Fauchet de la lire : M. Fauchet, secrétaire, fait lecture de cette adresse, elle est ainsi conçue:

⚫ Dignes représentans, les applaudissemens sont la liste civile du peuple; ne repoussez donc point la juste récompense qui vous est décernée par le peuple. Entendez des louanges courtes,comme vous avez entendu plus d'une fois une longue satire. Recueillir les éloges des bons citoyens, et les injures des mauvais, pour une assemblée nationale, c'est avoir réuni tous les suffrages. (On applaudit.)

Le roi a mis son veto à votre décret comminatoire contre les

rassemblemens d'outre-Rhin, à ce décret digne à la fois de la majesté du peuple romain et de la clémence du peuple français. Beaucoup ont pensé que la constitution ayant refusé au roi le veto absolu, ce décret sur les émigrés était nul et devait être regardé comme non-avenu, puisque ce serait un veto absolu, définitif, et qui ne pourrait être levé par la troisième législature; ce qui est contre l'esprit de la constitution; néanmoins nous ne sommes pas venus nous en plaindre, parce que nous nous sommes dit : ou l'assemblée nationale regardera ce veto comme inconstitutionnel et non avenu, et le premier janvier elle passera outre purement et simplement (on applaudit); ou elle le regardera comme constitutionnel, et alors nous ne devons nous plaindre, ni de la constitution qui a accordé le veto, parce que nous serons toujours respectueusement soumis à la constitution, ni du roi qui en use, parce que nous nous souvenons de la maxime d'un grand politique, excellent juge en cette matière, de Machiavel, qui dit ces mots bien remarquables, et que l'assemblée constituante aurait dû méditer profondément.

Si, pour rendre un peuple libre, il fallait renoncer à la souveraineté, celui qui en aurait été revêtu mériterait quelque excuse, et la nation serait trop injuste, trop cruelle, de trouver mauvais qu'il s'opposât constamment à la volonté générale, parce qu'il est difficile et contre nature de tomber volontairement de si haut..

Dans ce sens, l'inviolabilité du roi est infiniment juste. Et pénétrés de cette vérité, prenant exemple de Dieu même, dont les commandemens ne sont point impassibles, nous n'exigerons jamais du ci-devant souverain, un amour impossible de la souveraineté nationale, et nous ne trouvons point mauvais qu'il appose son veto, précisément aux meilleurs décrets.

>Mais que des fonctionnaires publics, chargés spécialement de faire exécuter la loi, provoquent l'opposition du prince à ce qu'elle ne s'exécute pas, que bien plus ils se permettent de mettre en question, si, supposé que le roi ne mît pas son veto, eux feraient exécuter la loi; que non-seulement, ils doutent s'ils tien

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