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préjugés. On ne met pas brusquement un frein au cheval indompté. Le retour à la liberté dans tous les genres a ses gradations nécessaires, comme l'a eu l'établissement de la servitude; malheur à la loi qui violente la soumission avant d'avoir obtenu les suffrages du peuple! La lumière doit être le grand précurseur de la loi, quand c'est le souverain qui la fait; laissons au despote l'odieuse politique de préparer par l'ignorance ses esclaves à ses commandemens. (Applaudissemens.)

Il faut surtout que, par l'instruction émanée du législateur, le peuple soit préparé à la hardiesse de la loi et amené lentement à sa paisible exécution, quand, au lieu de ne régler que ses intérêts temporels ou ses actions civiles, elle doit parler à sa conscience, et changer ses habitudes religieuses. C'est alors surtout qu'il faut l'éclairer avant de mettre sa docilité à de trop fortes épreuves. Au lieu de lui fournir brusquement un sujet d'émeute et d'insurrection, épargnons-lui des fautes par de sages lenteurs dans l'exécution des lois qui l'étonnent.

Dans les circonstances présentes, il est de l'intérêt même des non-sermentés de ne point précipiter la jouissance d'une liberté de culte encore mal assurée; il est de l'intérêt de tous de n'exposer ni le peuple au crime de l'émeute, ni les sectateurs d'un culte protégé par la loi, aux dangers d'un attentat populaire. La municipalité de Paris, par sa modération en de telles conjonctures, doit servir de modèle au reste du royaume, et a les plus grands droits aux hommages publics.

Dans toute la suite de ce discours, je ne vous ai rien dit, Messieurs, qui ne vous soit familier; mais j'ai du moins prouvé ce qu'on ne croit peut-être pas assez : c'est qu'en matière de tolérance religieuse, la doctrine d'un évêque pénétré du véritable esprit de la religion, ne s'éloigne pas de la doctrine du philosophe, et que le zèle pastoral se trouve ici parfaitement d'accord avec la modération du législateur.

M. Ducos. Le discours qui vient d'être prononcé contient de grands principes de tolérance et de liberté; il est de notre devoir d'en faire jouir nos concitoyens. Je demande l'impression de ce

discours, en expiation du discours intolérant dont l'impression a été décrétée hier.... (Quelques applaudissemens. -- Nombreux murmures. -A l'ordre! à l'ordre!)

M. Ramond. Si vous rappelez M. Ducos à l'ordre, vous y rappellerez les deux tiers de l'assemblée. (Bruit.— A l'ordre! à l'ordre!)

M. Lacroix. Je crois que l'assemblée ne doit expier que sa trop grande facilité à se laisser injurier par ses membres. Lorsque l'assemblée ordonne l'impression d'une opinion, elle n'en adopte pas les principes; mais elle reconnaît que cette opinion contient des vues nouvelles qui méritent la méditation de ses membres. D'après cela, l'assemblée n'a rien à expier, et je demande que M. Ducos soit rappelé à l'ordre. (Bruit.)

M. Fauchet. (Applaudissemens des tribunes.) Très-convaincu que M. Ducos n'a pas eu l'intention de manquer à l'assemblée, et que c'est par un excès de tolérance qu'il a été intolérant envers moi, je crois que l'assemblée ne doit point le rappeler à l'ordre; mais je demande qu'il me soit permis de répondre à M. l'évêque de Bourges, qui m'a attaqué avec beaucoup d'éloquence et d'énergie.... (Murmures.) Je vous prouverai que je n'ai proposé en aucune manière des mesures d'intolérance.... (Murmures.) Je n'ai condamné personne à mourir dé faim....(Bruit.-L'ordre du jour !) Puisque l'assemblée n'est pas disposée à m'entendre, je conclus simplement à ce que M. Ducos ne soit pas rappelé à l'ordre. (Appuyé.)

L'assemblée décrète l'impression du discours de M. Torné, et passe à l'ordre du jour.

SÉANCE DU 3 NOVEMBRE.

M. Fauchet. La tolérance des poisons de la société est la plus grande intolérance contre la société; mais accuser d'intolérance celui qui ne veut pas qu'on paye les empoisonneurs, c'est le comble du ridicule. On m'accuse d'avoir déployé une éloquence cruelle, quand je n'ai été ni cruel ni cloquent, mais seulement

juste et sensé. (Plusieurs voix : Au fait.) Il s'agit de défendre mon opinion contre ceux qui l'ont attaquée.

On trouve que c'est contraindre des hommes à mourir de faim que de les obliger à vivre de leur propriété ou de leur travail; on me trouve cruel quand je sollicite, pour les pauvres qui vous demandent du travail, des sommes immenses prodiguées à des hommes oisifs, inutiles et dangereux. Mon éloquence est cruelle contre les réfractaires: celle de mes adversaires est cruelle contre la partie la plus intéressante de la nation. On veut vous déshonorer par des mesures honteuses; on veut donner le change à l'opinion publique mais il est encore des hommes qui sauront prémunir l'assemblée contre les projets de ces endormeurs. En vain voudrait-on vivre fraternellement avec ces prêtres qui secouent les torches du fanatisme; ils ne veulent pas vivre en amis, ni même vivre en ennemis paisibles : ils ont la haine dans le coeur, et le flambeau de la discorde à la main. Qui peut calculer l'effet de cette scission survenue dans un même culte, entre les ministres et leurs disciples, dont les uns ont continuellement les imprécations à la bouche et le fiel dans l'ame, et dont les autres ne cherchent que l'union, l'égalité et la paix. Renfermez-les dans les mêmes temples, et bientôt les loups dévoreront les agneaux paisibles, à moins que le lion de la garde nationale ne veille sans cesse sur eux.

M. l'évêque du département du Cher doit savoir, comme toute la France, que ce sont les prêtres assermentés qui ont été lapidés, égorgés, et que les prêtres assermentés ne se sont jamais vengés que par des plaintes, qui même n'ont donné lieu qu'à des commencemens de procédures. Voulez-vous savoir à quels excès furieux se portent les non-conformistes dans les départemens. Deux ou trois cents femmes d'une paroisse de Caen ont poursuivi le curé constitutionnel, l'homme le plus paisible, l'ont 'lapidé, l'ont chassé jusque dans son église, où elles ont descendu le réverbère du choeur pour le pendre devant l'autel. (Plusieurs voix: Eh bien! Messieurs les endormeurs!) Ce qui a eu lieu dans le sein d'une gra le ville où veillent douze mille ames

de gardes nationales, ne peut-il pas se répéter dans les campagnes? Mais, dit-on encore, en affectant une sensibilité à contre-sens, une grande et généreuse nation, après avoir accordé une pension à des bénéficiers sans exiger d'eux ni travail ni serment, peut-elle rétracter ses engagemens et les réduire à mourir de faim ? Les biens du clergé étaient destinés à trois usages: au soulagement des pauvres, aux frais du culte, au traitement des ministres. La nation s'est chargée de remplir les deux premières obligations: la troisième se réduit à donner aux prêtres qui font un service le salaire strictement nécessaire. Le prêtre doit vivre de l'autel comme le fonctionnaire de la société du produit de ses fonctions.

On ne paie pas ceux qui ne font rien; on a paru larmoyer sur le sort de ces prêtres qui veulent gagner de l'argent en restant oisifs, tandis qu'une foule de pauvres ne vous demandent que du travail. Mais, a-t-on dit, il ne faut pas que d'anciens fonctionnaires ecclésiastiques, dépouillés de leurs biens, soient réduits à mourir de faim ou à trahir leur conscience. Mais puisqu'ils veulent élever autel contre autel, et que la loi le leur permet, qu'ils vivent de l'autel; et quand les citoyens seront lassés de payer un culte qu'ils pourraient avoir pour rien, ils trouveront à exercer leur industrie, soit dans le commerce, soit dans l'agriculture. Je conclus qu'il ne faut payer que ceux des ecclésiastiques valides qui se présenteront pour recevoir de l'emploi.

M. Gensonnet. En fixant votre attention sur les troubles religieux qui agitent une partie de l'empire, j'examinerai les causes qui les ont produits, et je vous proposerai des moyens propres à en arrêter les progrès. C'est de la décision que vous allez prendre que dépendent la tranquillité intérieure, et peut-être la sûreté extérieure. Si les mesures que vous prenez sont insuffisantes, ou même si elles aggravent la cause du mal, il est impossible de prévoir jusqu'où les malheurs pourront se porter.

L'assemblée nationale constituante, en posant les bases de la constitution, n'a pu tout faire; elle a laissé à ses successeurs le soin d'accomplir ce grand ouvrage par des lois réglementaires

qui en assurent l'exécution; de remplacer une partie de celles qui sont faites, ou de leur donner plus d'ensemble. Telle est la tache que vous avez à remplir; mais, pour vous y livrer avec succès, vous devez commencer par rétablir la paix intérieure. Vos premiers regards doivent donc se porter sur la situation des départemens. Si la tâche de vos prédécesseurs était celle du génie et du courage, la vôtre doit être celle de la prudence et de la raison.

Les troubles intérieurs tiennent uniquement à l'existence des querelles religieuses. Examinons nos moyens et nos forces; écartons surtout de nos délibérations ces mouvemens tumultueux et précipités qui en accuseraient hautement la sagesse. Je vais prouver que tous les moyens qui ont été proposés jusqu'ici sont insuffisans ou absurdes, tyranniques et illusoires. Je vous proposerai des mesures pour faire cesser ces querelles religieuses, et les et les précautions que la prudence peut suggérer contre des perturbateurs du repos public quels qu'ils soient. Il semblerait au premier coup-d'œil que l'ordre public ne devrait pas être troublé par la diversité des opinions. On conçoit, en effet, comment en France toutes les variétés des cultes pourraient s'établir sans que la tranquillité publique en reçût le moindre échec ; cependant les différentes opinions qui se sont élevées sur l'exercice d'un même culte ont déjà produit une scission funeste entre les citoyens de l'empire. Cette situation des choses doit donc être attribuée à une autre cause qu'à la différence des opinions, elle doit être attribuée à l'intimité des rapports qui lient un culte exclusif à l'ordre social et aux différentes institutions publiques, à la ténébreuse malveillance des ennemis de la constitution.

1o. On a laissé subsister trop long-temps entre les mains des prêtres des fonctions qui tiennent à l'ordre civil, il en est résulté que les personnes qui sont restées attachées aux anciens fonctionnaires ecclésiastiquès, n'ont su à qui s'adresser pour leurs baptêmes, leurs mariages, etc. Ainsi, lorsque les lois semblaient assurer la liberté des cultes, les fonctions civiles attachées ex

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