Page images
PDF
EPUB

se propager des opinions qui ne conviennent point aux princes.

A. Dillon. La révolution française a été amenée par l'expérience de 14 siécles; la nation entière est d'accord, et elle a lieu de s'étonner que des puissances étrangères soient venues s'ingérer dans ses affaires domestiques; qu'elles aient craint son ambition, surtout d'après la sublime déclaration de ne point commencer de guerre dans la vue de faire des conquêtes.

Convenez, général, qu'une telle déclaration devait procurer à la France autant d'amis qu'il y a de philosophes en Europe.

Kalkreuth. Rien de plus noble sans doute que cette déclaration: mais quelle caution la France donnerat-elle de sa persévérance dans ce système?

A. Dillon. Son intérêt et surtout la loyauté et la franchise qui doivent servir de base à tout gouvernement républicain. Que le roi de Prusse réfléchisse sur cette vérité, et il regrettera d'avoir fait couler le sang de ses peuples, et dissipé ses trésors, surtout quand il considérera que son véritable intérêt était de s'unir à nous pour humilier l'orgueilleuse maison d'Autriche qui convoite la Silésie, et qui ne voit qu'à regret celle de Brandebourg jouer un des premiers rôles en Europe; mais quoique, comme vous, je n'aye aucune mission, je vous le répète, il faudra, avant de traiter d'aussi grands intérêts, que les armées prussiennes évacuent le territoire français, et que le roi de Prusse reconnaisse la république et les pouvoirs délégués à la convention nationale.

Kalkreuth. La sommation que vous avez faite serait susceptible de bien des observations; vous dictez des lois, et cependant vous n'avez encore gagné aucune

bataille. Nos armées combinées sont aussi fortes que les vôtres; vous aurez Verdun, mais si nous nous obstinons à le garder, vous ne pourrez y entrer qu'après une victoire. J'espère que notre conduite, en vous re mettant la place, vous prouvera le desir du roi de s'arranger avec la France.

A. Dillon. Cette première affaire terminée, il en restera une autre non moins importante, c'est la remise de Longwy. Le roi de Prusse peut, par la prompte évacuation de cette place, prouver son desir de s'accommoder avec la république, et je ne vous cache pas qu'on y fera marcher deux cent mille hommes, s'il le faut.

Kalkreuth. La place de Longwy n'est pas occupée par les troupes du roi; ainsi cette évacuation ne le regarde pas directement. Ce qu'il pourrait promettre, ce serait de ne se mêler en rien de sa défense: je crois même pouvoir vous assurer que ses troupes n'y prendront aucune part.

A. Dillon. Cette assurance ne suffit pas; il faut que l'influence du roi décide l'évacution de cette forteresse sans effusion de sang, et qu'il effectue, par ce moyen, sa sortie du territoire de la république.

Kalkreuth. Je n'ai reçu aucun pouvoir pour traiter. Cette conversation n'est que confidentielle; mais je suis persuadé qu'il ne sera pas difficile de l'amener le premier à déterminer l'évacuation de Longwy aussi facilement que celle de Verdun.

A. Dillon. Le roi de Prusse pourrait en ce moment donner une preuve convaincante de ses disposisions pour la nation française; ce serait de séparer entière- ; ment ses armées de celles de ses alliés, et de ne cesser, comme il l'a fait jusqu'à présent, de protéger et de couvrir leur retraite.

Kalkreuth. Vous savez que quand des voyageurs se sont promis de faire une route ensemble, l'honneur veut qu'ils l'achèvent conjointement; mais ce n'est pas une raison pour qu'ils recommencent une nouvelle route. Je pars, remplis d'estime pour la nation française et pour vous. Je rapporterai au roi notre conversation et je ne doute pas du succès de mes démarches, pour en obtenir une heureuse issue.

A Dillon. Adieu, général ; j'espère que la campagne prochaine ne s'ouvrira pas, sans que la France et la Prusse ne soient réunies; que vous aiderez à affranchir les Pays-Bas. Rappelez bien au roi de Prusse qu'il ne saurait avoir une plus belle alliance que celle d'un peuple libre.

Kalkreuth. Reposez-vous sur moi; croyez que personne n'apprécie mieux les avantages immenses d'une telle alliance; puissé-je aller moi-même à Paris la négocier ! Sûr de la loyauté française, les affaires ne seront pas longues à terminer.

Nous certifions les détails de la conférence ci-dessus, conformes à tout ce qui s'est passé.

Le lieutenant-général. Signé, A. DILLON.
Le maréchal-de-camp. Signé, GALBAUD.

N. XIX. (Page 355.)

Mémoire signé, Kellermann.

Le duc de Brunswick m'envoya, le même jour, le général Kalkreuth, pour me proposer un rendez-vous, pour le 24, au château de Danbrouge, sur le chemin de Luxembourg, en me prévenant, qu'il serait question de propositions de paix,

Les représentants du peuple ayant jugé convenable que je m'y rendisse, j'y fus à midi; je trouvai rassemblés le duc de Brunswick, le prince de Hohenloë, l'ambassadeur de l'empereur, le prince de Reiss, et celui du roi de Prusse, le marquis de Luchésini.

Après les honnêtetés d'usage, le duc de Brunswick prenant la parole me dit: Général, nous vous avons prié de venir à ce rendez-vous pour parler de paix. Je lui répondis que j'écouterais avec plaisir de pareilles propositions pour en rendre compte à la convention nationale, qu'en conséquence je le priais de s'expliquer : alors le duc de Brunswick me dit que je leur ferais plaisir de leur donner une base. Cela ne sera pas difficile, lui répondis-je : Reconnaissez la République française le plus authentiquement possible, et ne vous mêlez jamais directement ni indirectement du roi ni des émigrés. Les autres difficultés pouvaient s'aplanir facile

ment.

Ils me dirent unanimement qu'ils l'acceptaient bien volontiers. Alors je leur dis de s'expliquer à leur tour pour le reste. Hé bien! répondit le duc de Brunswick, nous nous en retournerons chacun chez nous, comme des gens de noces. Je m'adressai sur le champ à l'ambassadeur de l'empereur, et je lui demandai qui payerait les frais de noces? Quant à moi, lui dis-je, je pense que l'empereur ayant été l'agresseur, les Pays-Bas doivent être donnés à la France en dédommagement. L'ambassadeur prit mal cette proposition: cependant le duc de Brunswick, prenant la parole me dit : Général, rendez compte à la convention nationale que nous sommes tous très-disposés à la paix; et pour le prouver, la convention nationale peut nommer des plénipotentiaires et désigner pour les conférences, le lieu qu'elle jugera à propos, et nous nous y rendrons. En attendant nous nous

tiendrons, soit à Luxembourg, soit dans les Pays-Bas, où l'on pourra nous avertir. Ainsi se termina notre conférence, dont je rendis compte aux représentants, qui dépêchèrent un courrier auquel je remis mes dépêches pour le président de la convention nationale, et pour le conseil exécutif, par lesquelles je rendais compte des propositions de paix qui m'avaient été faites dans la conférence du 24 octobre. J'ignore les suites qu'on y a données; mais ce qu'il y a de certain, c'est que, l'année suivante, ayant été appelé à Paris dans le mois de mai, j'en parlai au comité de salut-public, qui ignorait entièrement ces propositions. Je lui presentai mes registres d'après lesquels il se convainquit du compte que j'en avais rendu dans le temps; ce qui fit présumer que l'intrigue avait écarté cette importante négociation.

Fin du second volume.

« PreviousContinue »