Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

Ce Mémoire a été recueilli, ainsi que la pièce précédente.

Extrait d'un mémoire au roi, signé Lafayette.

Il me semble, sire, que dans cette situation, un roi des Français, puissant au dehors, de toute la force nationale, investi au dedans de tous les moyens de faire le bien et d'arreter le mal; tranquille et libre dans ses jouissances personnelles, doit, lorsqu'il est aussi vertueux que votre majesté, ne pas regretter cette apparence de pouvoir qu'on exerçait arbitrairement sous son nom, et que la nation ne cessait de lui envier ou de lui contester.

Mais qui lui dira cette vérité? Seraient-ce des ministres et des commis, que la responsabilité effraiè, qui se faisaient un royaume de chaque département, et dont les opérations étaient souvent un mystère pour la nation et le roi?

Seraient-ce des courtisans et domestiques du roi, pour qui les déprédations étaient devenues tellement patrimoniales, qu'ils se croyaient dispensés de la reconnaissance?

Seraient-ce des magistrats qui possédaient héréditairement le droit de nous juger?

Seraient-ce des financiers qui s'enrichissaient aux dépens du trésor public?

Seraient-ce toutes ces familles qui, par leur noblesse, avaient une existence indépendante du roi, et qui s'étaient tellement partagé les places, les pensions et l'armée, qu'il n'était presque plus au pouvoir du monarque d'accorder une préférence volontaire ?

Non, sire, et voilà les personnes dont yous et la reine

êtes

êtes entourés, qui cherchent à confondre la situation de votre majesté avec la leur, et qui voilent leurs préjugés ou leur intérêt d'une fausse pitié pour le peuple, c'est-à-dire pour la nation, dont la révolution assure les droits et le bonheur.

Quant à moi, sire, après avoir énoncé mes principes, je dois ajouter que je ne conçois pour le roi qu'un moyen de salut.

Je l'ai dit d'avance à votre majesté; elle ne risquait, avant le 4 février, que sa personne et son trône : aujourd'hui elle est liée par l'honneur.

Mais dans cette marche nécessaire, il existe deux écueils; d'un côté les efforts des mécontents, dont le succès aurait soumis le roi au joug pesant de l'aristocratie, mais qui, à présent, ne produiront que des mas sacres, et lors même que cette division d'opinions commencerait dans un coin de l'empire, la victoire plus ou moins sanglante resterait au parti irrésistible du peuple, et tout au plus quelque portion de la France serait-elle démembrée pour augmenter des puissances voisines: voilà tout ce qu'obtiendrait l'opposition, même avec une guerre étrangère.

... De l'autre côté, je vois la faction orléanaise grossie de tous les ennemis personnels du roi et de la reine, et de tous ceux qui voudraient établir en France une confédération de républiques. Ce parti réunit beaucoup de gens inconsidérés qu'on aveugle et qu'on entraîne: et des trésors étrangers sont consacrés à le fortifier. L'union du peuple et du roi désespère les uns, parce que n'ayant plus, par eux-mêmes, aucune chance quelconque, ils voudraient que le roi courût avec eux celle d'un, contre mille; les autres, parce qu'en séparant la liberté du roi, ils enlèveraient à votre majesté le secours de tous les bons citoyens.

Tome II.

Je dois dire au roi que les circonstances sont trop difficiles, trop dangereuses, trop instantes, pour que le salut de la chose publique et le sien, puisse être assuré par des demi-paroles et des demi-confiances.

Votre majesté connaît mes principes; si elle trouve ailleurs des vues, un caractère, des moyens qui lui conviennent mieux, elle doit y placer un entier abandon. Si c'est à moi qu'elle s'en rapporte, ce doit être sans réserve et en même temps que je lui promets tous mes efforts pour assurer les bases que je viens d'établir, j'ai besoin, pour allier les intérêts de la liberté, de la nation et du roi, de trouver en elle une confiance de tous les instants.

Avec une telle disposition, sire, j'ai lieu de croire au succès, du moins n'aurai-je pas à penser qu'un autre en eût plus obtenu que moi, et ce précieux dépôt de la confiance de votre majesté, je le lui remettrai avec autant de reconnaissance que de respect, le jour où la constitution étant achevée, la législature nouvelle, l'ordre judiciaire, un ministère respectable étant établis, il me sera permis d'exécuter le projet que j'ai annoncé depuis longtemps à votre majestélet dernièrement à l'assemblée.

Si, au contraire, je n'obtiens pas cette confiance si honorable, et en même temps si nécessaire, je ne dis pas que je quitterai mon poste; mais je dois déclarer à votre majesté que mon zèle sera sans cesse gêné par des obstacles et des considérations de tous genres.

Je supplie le roi de reconnaître dans ce mémoire la franchise d'un homme qui n'éprouva jamais un sentiment qu'il fût embarrassé d'avouer, et qui joint à une constance inébranlable dans ses principes, à un amour ardent pour sa patrie, les sentiments du plus pur attachement pour votre majesté.

Signé, LAFAYETTE.

Note de la main du roi.

J'ai lu avec attention le mémoire de M. Lafayette : j'en adopte les principes et les bases, et quoiqu'il y ait du vague sur plusieurs applications de ces principes, je crois pouvoir être pleinement assuré à cet égard, par la loyauté de son caractère, et son attachement pour ma personne.

Je promets donc à M. de Lafayette, la confiance la plus entière sur tous les objets qui peuvent regarder l'établissement de la constitution, mon autorité légitime, telle qu'elle est annoncée dans le mémoire, et le retour de la tranquillité publique.

Paris, le 16 avril 1790.

Le rapprochement de ces pièces, vraiment justificatives, répond à l'imputation faite et répétée, faute d'autres, à Bailli et à Lafayette, sur l'évasion de Varenne. Le roi n'ayant mis personne dans son secret, personne ne se sentait intéressé à le défendre; le côté droit de l'assemblée, doublement blessé de n'avoir pas été averti, et d'avoir été laissé exposé aux dangers, se plaignait ouvertement du roi : toute la popularité de Lafayette, et toute la considération dont jouissait Bailli, leur furent nécessaires pour sauver leur tête, que tous les partis poursuivaient par le moyen usitė d'exciter l'animadversion du peuple, qui, ne sachant à qui s'en prendre, devait naturellement s'en prendre à eux comme gardiens négligents ou infidelles; et l'un et l'autre le savaient trop bien, pour s'exposer à l'accusation d'avoir été gardiens complaisants, gagnés ou corrompus.

N.o XIV. ( Page 266.)

Lettre du général Kellermann, au ministre de la guerre.

Au quartier général de Weissembourg, le 23 août 1792, l'an 4 de la liberté.

JE ne puis me dispenser, monsieur, de vous dépêcher un courrier extraordinaire pour vous rendre compte que la formation des nouveaux bataillons de gardes nationales, et qui me sont envoyés successivement à mon armée, la plupart de ces soldats sans armes, sans gibernes, et déguenillés de la manière la plus pitoyable, ne peut et ne saurait être de la moindre utilité, et que ce serait sacrifier ces braves gens dans un moment d'affaire, en les exposant aux coups de fusil; d'un autre côté, le désordre qui pourrait s'ensuivre pour le reste des troupes par la fuite des gens hors d'état de combattre, faute d'armes et d'ensemble, pourrait entraîner les suites les plus funestes pour le bien de la chose ; je viens donc de prendre le parti, monsieur, de renvoyer sur les derrières ces bataillons de nouvelles levées, et de ne conserver de chacun que les compagnies de grenadiers et cent hommes par bataillon, les mieux vêtus et les plus robustes; les premiers pour faire le service avec mes troupes légères, afin de les aguerrir le plus tôt possible, et des seconds, je formerai un ou deux bataillons de pionniers quis eront aussi instruits, pour servir à tirer des bons coups de fusil dans des postes ou derrière des retranchements.

Je n'ai vu que cette mesure pour en tirer parti. Je ne saurais assez vous répéter, que l'unique moyen dans la

« PreviousContinue »