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1792.

à-dire la coalition des plus ardents jacobins; v. Ep. car, l'un et l'autre se balançaient encore dans cette société ; l'un et l'autre avaient pour objet de faire les ministres, et la montagne les laissait nommer par la Gironde, pourvu qu'elle les prît dans son sein, Jusques à la démissiou de Degraves, le conseil patriote avait marché assez uni. Servan remplaça Degraves et rompit l'union. Dumourier se rallia encore avec Lacoste, ministre de la marine, homme sage et éclairé, et ayec Duranthon; mais Roland, Servan et Clavières ne gardèrent plus aucune mesure. Soit rivalité, soit qu'ils fussent d'accord avec la montagne, et même alors avec la Gironde, pour ne pas laisser subsister un conseil quelconque auprès du roi, ils provoquèrent leur destitution par les procédés les plus injurieux, sortant, en plein conseil, du respect dû au moins à la présence et à la dignité du roi. L'un d'eux lui adressa d'abord, comme confidentielle, une lettre où les expressions de trahison et de parjure n'étaient pas même déguisées; il lut ensuite cette lettre dans le conseil; le roi l'écouta froidement, et lui dit : «Vous me l'aviez déja envoyée.»> Servan, peu après, rendit aussi publique une autre lettre relative à la sanction du décret contre les prêtres insermentés. Ce décret, et celui du camp de 20,000 hommes, étaient alors le sujet de discorde prévu et préparé entre les deux pouvoirs; les minis

10 juin.

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V. Ep. tres, et Dumourier lui-même, avaient cru devoir presser le roi de sanctionner ce décret. Par motif de conscience pour l'un, par crainte des suites de l'autre, le roi ne pouvait s'y résoudre. Clavières, Roland et Servan reçurent leur destitution, et peu après Dumourier donna la sienne. Le fil des intrigues de cour, d'assemblée et de parti, est si mêlé à cette époque, que l'histoire peut à peine le suivre ; l'infortuné roi en était successivement l'objet, l'instrument et la victime. Trop méfiant pour se livrer à aucun parti, trop faible pour les maîtriser tous; les girondins lui promettaient leur service; la montagne le menaçait; les jacobins l'insultaient à leur tribune et dans les rues; les feuillants le servaient en crainte et sans confiance; le conseil secret de la reine, lui promettait de les déjouer tous; et les agents de l'étranger observant tous les partis, ayant des intelligences dans tous, instruit de tout, et les opposant l'un à l'autre, seul arrivait à son but; empêcher et détruire. Ce mélange compliqué d'intérêts croisés, de passions exaltées, d'ambitions secrètes et de tis divisés, d'intrigues agissantes et d'intrigants qui ne se connassaient pas et cherchaient à se deviner, tout cet échafaudage, composé de pièces mal a semblées, pesant l'une sur l'autre, au lieu de se soutenir, ne pouvait manquer de s'écrouler par son poids et par l'incohérence

par

des matériaux : on s'y attendait, et les hommes v.• Ép. de sens se tenaient à l'écart, hors d'atteinte de 1792 l'écroulement, et de la chute inévitable des dé

bris.

(

10 juin

La pétulance des jacobins fut un moment contenue par une démarche de Lafayette. Les armées se ressentaient de cette guerre intestine et manquaient de tout; les partis voulaient mener les ministres, et les ministres voulaient diriger les généraux ; les plans d'opérations étaient connus dans les cafés de Paris avant de leur parvenir. Gouvion venait d'être tué dans une 2 juin. affaire d'avant-garde, et cette nouvelle obtint un moment l'attention des Parisiens; il était connu d'eux comme second de Lafayette dans le commandement de la garde nationale, pendant les années précédentes. Il disait, peu de jours avant : «Entre les autrichiens et les jacobins, il n'y a qu'un coup de canon pour se tirer d'affaire. » Il fut regretté. Dumourier vint faire part de cet 13 juin. événement, au moment où les trois ministres renvoyés recevaient les témoignages de faveur de l'assemblée. Le décret qui l'exprimait, était envoyé aux quatre-vingt-trois départements avec la lettre de Roland au roi. On voulait que le nouveau ministre partageât cette mortification; Au moment où il commença son rapport sur l'état de la guerre : « Voyez-vous, s'écria Gua

V.• Ep. « det, il prétend déja nous donner des con«seils. » Eh! pourquoi pas ? dit froidement Du

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mourier.

Cette tranquille saillie en imposa ; il acheva paisiblement son rapport; et les huées et les applaudissements des tribunes furent assez également partagés. Cette tactique des tribunes était assez simple: un ministre même qui essaya de jouer cette contre-partie y réussit ; il n'en coûtait que huit cents francs par jour, un chef, quatre sous-chefs, huit adjudants convenablement distribués, suffisaient pour organiser cent cinquante spectateurs qui, sans se connaître entre eux, pouvaient aux signaux convenus, appliquer à propos les battements de mains et les huées. La guerre était ainsi ouverte entre le corps législatif et le pouvoir exécutif, et poussée à tel point que, Lafayette, devenu le but de toutes les factions, crut un devoir d'essayer son ancienne popularité : il écrivit à l'assemblée une lettre prononcée contre les fac-! tions et les intrigues, et désigna sans détour et nominativement les jacobins ; il les attaqua et les accusa hautement et sans ménagement. Dès lors, ils jurèrent sa perte; et leurs serments de ce genre n'avaient jamais été vains.

Cette lettre, qui fait époque dans l'histoire de ce temps, lui appartient. Jusques-là les ja

cobins avaient épargné Lafayette; ils le crai-
gnaient, et espéraient même de le gagner: ne
l'espérant plus, ils cessèrent de le ménager.
Pour n'avoir pas à le craindre,
à le craindre, ils résolurent
de le perdre. Après cette lettre, le système de
tous les partis changea de manœuvre.

MESSIEURS

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Au moment, trop différé peut-être, où j'allais V. Ep. appeler votre attention sur de grands intérêts publics, et désigner parmi nos dangers la conduite d'un ministère que ma correspondance accusait depuis longtemps, j'apprends que, démasqué par ses divisions, il a succombé sous ses propres intrigues; car sans doute ce n'est pas en sacrifiant trois collégues asservis par leur insignifiance à son pouvoir, que le moins excusable, le plus noté de ces ministres, aura cimenté, dans le conseil du roi, son équivoque et scandaleuse existence.'

<< Ce n'est pas assez néanmoins que cette branche du gouvernement soit délivrée d'une funeste influence, La chose publique est en péril; le sort de la France repose principalement sur ses représentants. La nation attend d'eux son salut mais en se donnant une constitution, elle leur a prescrit l'unique route par laquelle ils peuvent la sauver.

<< Persuadé, messieurs, qu'ainsi que les droits

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